Tout le monde roupillait à poings fermés dans le village. Même les animaux domestiques avaient eu droit à leur dose de somnifère, mode Mama. De fait, et c'était assez rare pour mériter la précision, la jungle environnante entière était silencieuse. Chose qui ne s'était produite qu'aux temps reculés qui précédèrent la venue des hommes sur Terre. Et le détail pourrait encore aller un peu loin si on disait "depuis l'arrivée des femmes sur la planète". Ces redoutables petits animaux étant, en effet, très doués pour briser le silence, voire même le tuer définitivement...

C'était donc un silence mortel qui régnait dans le coin. Pas même un courant d'air. La zone, quoi.
Pourtant, planqué dans les épais feuillages à l'orée du village, un regard vif scrutait tout ça avec gourmandise. Inutile de chercher, il s'agissait de ce vieil Edwin Finn, l'ancien prince de la flibuste. Avec ses guiboles un peu flagada, il avait eu du mal à recoller avec le peleton, mais à force de volonté, et surtout grâce aux âneries de Tarzan, il avait retrouvé les traces des européens.

Certes, il avait failli concéder sa peau et ce qu'il y avait dedans à de nombreuses reprises, surtout quand il tomba nez-à-nez avec une tarentule grosse comme une vache, mais il se révéla encore très tonique malgré son âge avancé, et dans le tumulte de ses fuites échevelées, il piqua quelques sprints qui auraient mérité une médaille, voire plus encore. Encore humide de sa traversée du fleuve, essoufflé de sa course contre un énorme saurien qui prétendait l'inscrire à son repas du midi, il restait planqué derrière des taillis à reprendre son souffle.
A présent, rendu prudent par les mauvaises expériences d'une balade dans la jungle sans accompagnateur, il avait fait le ménage autour de lui, prenant même soin de laisser quelques cordes autour de sa position, dans le vain espoir (mais il l'ignorait) de tenir les reptiles à distance.
En attendant, il était là, et bien là.

C'est donc tout à son aise qu'il put observer le manège de la vieille chipie, appréciant en connaisseur ses qualités de manipulatrice. Surtout, depuis sa position d'invisible sniper, il avait eu le temps de repérer les différentes huttes où étaient emprisonnés les autres.

Pourtant, il manqua se faire repérer quand il vit Mama Fishandships s'attaquer à Tarzan. Comment ne pas s'alarmer quand, sans prévenir, la bougresse s'attaqua sans préliminaires à la vertu de l'homme singe endormi ? Mama Fishandchips subodorait du massif, planqué sous les zébrures savantes du calcif du poncif...

• A nous, mesdemoiselles les orphelines de la Jungle ! gloussait-elle. Je vais vous faire surchauffer un peu, z'allez voir !

Finn en fut pour ses frais pour entendre la suite du discours puisque la cheftaine ne pouvait plus articuler grand chose, le gosier passablement encombré...

Tarzan semblait pourtant faire obstacle au intentions de la dadame. En effet, sa banane personnelle, peut-être perturbée par les effets du puissant narcotique, tardait à satisfaire les efforts véhéments de la vieille gloutonne...

• Mais c'est pas possib', ça ! enragea-t-elle assez vite. On m'aurait raconté des salades à propos des qualités du môssieur ? En guise de gourdin, je ne vois rien de plus qu'une saucisse molle ! Bordel de merde, maman m'avait bien dit de ne jamais croire ce que disent les publicitaires !

Tarzan n'était pas au faîte de sa gloire, c'était incontestable. C'était aussi le grain de sable dans la machination de la Mama qui avait cru pouvoir s'envoyer en l'air, en plein air et en chantant sur tous les airs avec la légende vivante. Et le plus rigolo fut qu'un autre grain de sable, un peu plus vieux et un peu moins flamboyant, arriva en silence pour finir le désastre de la Bérézina de la vioque...

A suivre...