Chapitre 6

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Et voilà Tarzan, nu comme un ver, pas très reluisant, qui s'élança en catastrophe hors de sa cache, ne sachant où aller pour échapper à la vindicte volante ! D'Arnot, ne tarda pas à lui emboîter le pas, lui-même assailli de toutes parts par quelques escadrilles égarées. Où pourraient-ils se réfugier ?
La loi de la gravitation, toujours elle, décida pour eux de la direction à suivre. Ce fut donc par le chemin qui demandait le moins d'efforts, qui présentait peut-être le moins de danger. Au moins, celui qui pouvait leur sauver la vie. Bref, par des chemins de traverse qui descendaient quelque part.
Vers les rives du fleuve Congo, en l'occurence.
Pourtant, les dieux de la forêt n'en avaient pas fini avec eux...
Et plus particulièrement celui des vents, le célèbre Dieu Peythaumhanne, très redouté par toutes les impénétrables voies des tribus humaines de la Jungle. Celui-ci, heureux de secouer un peu son ennui en cette saison trop calme, se piqua de jouer un peu avec les deux intrus. Aussi décida-t-il d'insufler à la reine des insectes en furie quelques bonnes idées.
Dans la jungle où couraient éperduement les deux hommes, ce n'était pas précisément le petit matin, mais la reine des guêpes conçu pourtant des stratégies pas...piquées des vers.

Ainsi, dominant la sylve, au sommet de la canopée, elle observa la situation, puis décréta qu'elle allait laisser quelques souvenirs brûlants aux visiteurs.
Cela prit quand même quelques instants. Il lui fallut, en effet, réunir son conseil de guerre. Malheureusement, c'étaient des guêpes un peu difficiles... Elles durent se réunir en conciliabule aérien ; discutèrent fermement d'une stratégie qui fit tardivement l'unanimité ; segmentèrent l'espace en divisions, escadres, escadrilles ; perdirent encore un peu de temps pour choisir l'heure du premier assaut.
Passons sur les longues négociations passées entre les guêpes les plus prétentieuses, celles qui estimaient que la Jungle ne serait rien si elles n'étaient pas là pour la diriger, pour l'attribution des rôles principaux, mais aussi des médailles à recevoir (plus chichement à distribuer...) et des privilèges à briguer sans vergogne pour arriver enfin à l'instant fatal pour l'épiderme des victimes qui cavalaient sur le plancher des vaches.

En attendant, Tarzan fuyait à toute allure, gesticulant dans tous les sens pour éloigner les plus proches bestioles. Son slip à la main, et la bistouquette fatalement à l'air, il hurlait toutes sortes de conseils à D'Arnot qui n'en avait cure, et qui pestait comme un charretier parce que, quelques pas derrière le jeune homme, il avait l'honneur des premières escarmouches des dites bestioles. Heureusement, l'épaisseur de ses vêtements le protégeait un peu.

Alors que Tarzan... Maintenant assailli par des milliers de guêpes, il se défendait avec vaillance, utilisant son unique et trop petit vêtement pour les repousser. A grands moulinets rageurs, il assommait des armées entières de guêpes sans pour autant ressentir la moindre amélioration de la situation. Il était, en plus, forcé de vider régulièrement son arme, qui n'avait jamais été aussi bien remplie...
Pour s'aider, il poussa même son fameux cri qui résonna dans toute la forêt.
En vain, bien sûr.
Ils couraient à perdre haleine, mais leur course prit fin brutalement quand, au détour d'un baobab, ils se retrouvèrent acculés au fond d'une impasse. Bloqués par un immense rocher gris, couvert de lichens carnivores, très courants dans cette improbable forêt préhistorique !

Parce qu'il n'avait plus d'autre choix que de faire front, Tarzan se retourna, jambe gauche tendue, la droite un peu fléchie, pour la beauté du geste, le service trois-pièces pendant lamentablement entre ces deux-là. Bandant tous ses muscles, sans s'inquiéter du précédent évoqué juste avant, (inutile dans ces circonstances, pensa-t-il avec la fulgurance coutumière qui était la sienne) il gonfla le torse en signe de défi. Comme un gorille lui avait appris à le faire, il y avait bien des années de cela, quand il était temps d'estimer que le combat était perdu, il fit appel à toute sa musculature pour une ultime tentative d'intimidation.

Ce qui fut absolument sans effet sur ces idiotes de guêpes qui ne pouvaient, de toute manière, pas lutter sur ce point. Elles s'approchèrent en formation groupée, c'est-à-dire en un essaim compact et immense, s'offrant même le luxe d'ignorer cet humain vêtu d'étoffes trop épaisses pour leurs dards et cernèrent en un coup d'ailes le pauvre Tarzan.

De ce dernier, le magnifique corps d'athlète n'était pas sans rappeler celui d'Héraclès abattant un lion, ou celui d'Achille hurlant sa rage sous les remparts de la ville du roi Priam, , voire même la superbe silhouette d'un de ses anciens cousins germains, l'antique Rahan. Sa peau bronzée, sauf entre le nombril et le haut des cuisses, détail qui aura vite son importance, était luisante de sueur. Et de boutons rouges aussi, premiers stigmates des piqûres qu'il avait reçues par dizaines, déjà...

Et les guêpes attaquèrent, leurs dards se fichant profondément dans sa peau.
La reine, dans un langage inconnu des hommes, avait donné ses ordres. Des centaines de ses ouvrières se ruaient à l'assaut, comme autant de Spitfire le feront un peu plus tard, sous les ordres fermes mais secrètement désespérés de ce cher Churchill !

Des groupes d'assaut franchissaient les maigres défenses du jeune blond et le bombardaient sans relâche. Planqué sous un taillis épais, le pauvre D'Arnot en était encore réduit à voir la scène sans rien pouvoir faire. Il aurait bien voulu protéger Tarzan, peut-être même lui proposer son manteau de feutre noir pour cacher cette nudité qu'il le gênait, en bon hétérosexuel français de l'époque ! Mais la peur lui tordait le ventre, qu'il avait fort fragile au demeurant. Alors, il restait caché, tétanisé et muet de terreur.

Puis, au beau milieu de la bataille, une escadrille volante plongea ! C'était un groupe d'élite, au nom célèbre dans toute la région subéquatoriale du Congo : L'Abeille Cool.
Elles évitèrent sans effort le slip panthère qui tournoyait à toute allure, imprimant malgré Tarzan un très surprenant mouvement de rotation à une certaine partie de lui-même. Rotation qui, d'ailleurs, inspirera plus tard l'inventeur de l'hélicoptère. Pour l'instant, le slip tournait à la vitesse d'un ventilateur à fort régime. Et le reste aussi !

La plus gradée des guêpes, nommée Dard-des-Villes, fit soudain signe à ses compagnes de combat. Droit au but ! semblait-elle dire. Alors, toutes ensemble, soit quelques centaines, virèrent sur l'aile gauche du théâtre des opérations pour feinter les défenses de Tarzan qui n'y vit que du feu !
Et du feu, le malheureux en ressentit quelques secondes plus tard la terrible sensation !
Enfin, pour être plus précis, là où sa peau était la moins bronzée.
Les insectes attaquèrent sans répit, et sans tenir compte des pertes qui ne manquèrent pas de se produire quand le slip vola au secours de son habituelle locataire...

Pourtant, et c'était bien là un de ces imprévisibles aléas des chaos qu'engendrent les guerres, une méprise lourde de conséquences se produisit un peu après cette chevauchée épique !
Dard-des-Villes fut sauvagement fauchée par la poche à boules de l'homme-singe, projetée avec une violence usuellement décrite comme inouïe contre l'écorce rousse d'un immense et robuste Azobé d'une cinquantaine de mètres de haut. L'arbre n'en ressentit aucune secousse, même si la pauvre guêpe se trouva instantanément incrustée dans ses fibres. C'était une perte terrible pour la reine et sa population ! Son dernier vol, plané pour mieux le décrire, fut suivi par les millions d'yeux à facettes de ses soeurs ailées qui hurlèrent d'effroi...
Et ce fut à cet instant crucial du combat que la méprise se produisit, pour le plus grand malheur de Tarzan qui n'eut pas seulement le temps de comprendre la tempête qui se forma immédiatement au-dessus de ses admirables épaules qu'il aimait tant.

En effet, constatant que leur chef d'escadrille venait de se faire sèchement ratatiner, le reste de sa meute volante se rua à l'assaut dans un sursaut désespéré. Toutes y passèrent, sans exception, sous les coups du tissu panthère, devenu bien plus efficace avec l'expérience...

Alors, toujours conseilée par Peythaumhanne, la reine décréta l'assaut général. Elles allaient lui faire avaler son bulletin de naissance, à ce fichu blondinet au corps de rêve !
Ainsi, le message se répandit comme une traînée de poudre, qui ordonnait de poursuivre la lutte jusqu'à toucher le coeur de l'homme. Devenues guêpes-kamikazes, toutes foncèrent dard en avant, ce qui n'était pas simple, mais quelle importance, après tout ? relayant sans se lasser le message de la reine : Bombardez à l'endroit où l'escadrille l'Abeille Cool avait disparu !

Et toutes, preuve d'une abnégation sans limite, de se jeter à piqûres perdues sur les décombres de leurs camarades tombées entre les poils blonds de Tarzan ! Un tel ordre revenait à honorer la mémoire d'une vaillante et exceptionnelle combattante. Mais...toutes n'étaient pas faites du même bois, et surtout pas en Azobé !
En effet, il est bien connu que, parmi les éléments constitutifs d'une armée, tous ne sont pas du même calibre. Après l'élite, viennent les chevronnés, suivis des aguerris, le tout s'achevant par les bons à rien, les couards et, pires parmi les pires, les ahuris passionnés de violence et de sang, incapables de contenir leurs pulsions assassines.
Cerise sur le gâteau, ce sont aussi ceux qui ne comprennent jamais rien.

C'est pourquoi le magnifique message de la reine, ne visant que gloire et postérité, se transforma peu à peu en un curieux cri, disant à peu-près ceci : Bombardez-lui les couilles !

Ce qu'elles firent sans se poser la moindre question, bien entendu...

Et c'est ainsi que Tarzan, bien avant de perdre connaissance sous la violence des chocs, et sans être jamais touché au coeur, sinon celui de ses roupettes, perdit la bataille sous le regard éploré du Capitaine D'Arnot qui se décida, enfin, à lui porter secours.

A suivre...

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