Journal d'un Damné

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Énième entrée. Mais considérez-là comme la première. Au fond elle l'est.

 

Je m'appelle Caïn, fils d'Adam, fils d’Ève, frère d'Abel. Je suis un damné, mais ça vous le saviez déjà, n'est-ce pas ? J'ai été maudit par... par ce que je vais appeler Dieu pour vous simplifier l'existence - et la tâche que j'ai entrepris par la même occasion -. Où plutôt non, je vais l'appeler dieu, sans majuscule. J'ai mes raisons pour ça, et je vous les exposerais, mais plus tard, si vous le permettez (et comme vous n'avez guère le choix si vous désirez continuer à me lire, vous le permettrez, je n'en doute pas).

 

Pour l'heure, je me dois de vous demander une chose si vous choisissez de poursuivre ce texte. Acceptez. Acceptez simplement, sans faire de façons. Acceptez que je sois Caïn. Acceptez que je sois encore en vie aujourd'hui, marchant parmi vous, toujours sous le coup de cette monstrueuse malédiction que j'ai tellement méritée. Car oui, l'Œil est toujours là, constamment, il est là à me regarder alors même que je vous écris ces mots. Et il me regardera encore, où que je sois, au moment où vous les lirez.

 

Hum.

 

Que connaissez-vous de moi ? Que savez-vous - que croyez-vous savoir - de ce que fut mon châtiment? Posez-vous la question un instant et poursuivons. Car je vais commencer par là, et non pas par le début. Ce sera nettement plus simple, et pour vous et pour moi. Car, croyez-le ou non, l'entreprise que j'ai débutée ici est extrêmement délicate à réaliser. Raconter ce que fut ma vie. Pourquoi j'en suis là aujourd'hui. Vous le raconter à vous, pour que vous sachiez. Et oui j'ai mes raisons pour ça aussi, je vous les exposerais également. Ce sera l'objet de mon entrée finale, si je m'en tiens au plan que je me suis fixé. Et rassurez-vous, ce journal n'en comptera pas tant que ça, d'entrées. Seulement celles qui me seront nécessaires.

 

Peu importe, pour l'heure sachez donc que dieu à apposé un sceau sur moi. Un sceau sacré, interdisant à quiconque de me blesser. De me faire le moindre mal. Ce sceau était censé me protéger pour que je subisse pleinement mon châtiment. Mais sur le moment, j'avoue n'avoir pas mesuré pleinement l'entendu de ce châtiment. Car voyez-vous, j'ai été condamné à l'éternité. Ni la Roue ni la Faux ni même la Balance n'ont prise sur moi. dieu m'a placé en dehors de l’Équilibre. Son sceau est si puissant qu'il me met même à l'abri de ses gardiens. Je ne vieillis pas, je ne meure pas, et je ne suis pas soumis à ce que vous appelleriez les lois de la physique. dieu m'a fait ça. Il l'a fait volontairement.

 

Je vous entends déjà d'ici. Et c'est humain, je vous pardonne, comme j'ai fini par me pardonner à moi-même. Oui, oui, je suis sans doute l'être le plus puissant de cet univers, car c'est ainsi que l'a voulu celui que certains d'entre vous appellent son créateur. Et oui, sans doute vous dites-vous qu'à ma place vous régneriez sur les myriades d'étoiles qui vous sont accessibles. Seulement je n'ai jamais quitté la Terre. Je n'ai régné que sur une seule cité dans ma vie, celle que j'ai bâtie, et je l'ai fait sans réel plaisir, uniquement pour accomplir une partie de ma destinée en léguant une lignée me faisant honte à l'humanité. Et oui je sais que cette honte est une partie de mon châtiment, mais... devait-il faire payer à des êtres qui, eux, n'avaient rien fait le prix de mes erreurs? En quoi est-ce juste?

 

Peu importe. Je me pose cette question depuis trop longtemps pour ne pas savoir qu'elle restera sans réponse.

 

Pourquoi, vous demandez-vous donc, suis-je assez idiot pour que vous n'ayez même jamais entendu parler de celui que je suis aujourd'hui, cette personne anodine sur laquelle vous ne lèveriez même pas les yeux si d'aventure vous veniez à la croiser dans la rue au hasard de vos pas ? Parce que, rappelez-vous, ce sceau est une protection, pour m'empêcher d'échapper à mon châtiment pour une raison aussi futile que la mort. Et croyez bien que si je l'avais pu je me serais tué dès la seconde ou la sanction fut mise en application. Que je le ferais à l'instant si je le pouvais, sans même regretter de ne pas mener ma tâche à bien.

 

Et oui je tourne autour, mais vous savez déjà. L'Œil, bien sûr. J'ai toujours trouvé étrange qu'il y ai si peu de références à l'Œil, sinon dans votre inconscient collectif. Car oui, vous savez de quoi je parle, bien sûr que vous le savez. Et puisque vous le savez, je suis sûr que vous pouvez comprendre. Comprendre vraiment. Ai-je besoin d'en dire plus? Le dois-je? Je ne crois pas. Et tant mieux si je me trompe, au fond. Tant mieux pour vous.

 

Je ne vous dirais que ceci. dieu a fait une erreur, même si lui comme moi ne l'avons appris que bien longtemps après. Et c'est pour ça que je ne l'appelle pas Dieu. Car il a commis une erreur. Non pardon, deux erreurs, même si je n'ai fait que récolter les fruits de la seconde. Son œil me permet de le voir, vous comprenez? Oui et non, comme à chaque fois, bien sûr. Il m'a fallut des milliers d'années pour comprendre vraiment. Et encore parfois me dis-je que je n'ai pas encore vraiment compris. Que je ne comprendrais jamais vraiment, moi qui le vis.

 

Je le vois, et à travers lui je vois... tout. Simplement et absolument tout. C'est le reflet d'un reflet, un songe presque irréel, un souvenir évanescent, mais je n'ai qu'a fixer mon attention sur lui et... et je vois tout.

 

Et c'est bien parce que je vois tout que je sais que dieu a fait une erreur. Parce que je le vois la commettre, parce que je le vois en prendre conscience, parce que je le vois se rendre compte qu'il ne pouvait pas la réparer sans me libérer de ce châtiment qu'il m'avait lui-même imposé. Sans me laisser gagner, en somme. Et dites-vous que son arrogance est à l'image de son amour ou de sa colère. Absolue.

 

Il n'y a pas si longtemps que ça, j'ai parlé avec un homme qui prétendait être Ezobriel de la Roue. J'ai vu qu'il était Ezobriel de la Roue. Je suis affecté, tout comme vous, par sa condamnation. Cela m'est même impossible de vous raconter son histoire, j'en oublierais les mots avant même de les écrire. La Balance ne peut pas m'atteindre directement, mais là il ne s'agit pas de moi. Il est le seul à pouvoir parler de lui.

 

Mais je n'ai qu'à regarder l'œil un instant, et je vois. Je vois qui il est. Et je pleure pour lui. Et je me réjouis de savoir qu'il existe. Et j'espère qu'un jour il comprendra. Il comprendra qu'il lui suffit de se pardonner à lui-même pour que sa déchéance prenne fin et qu'il puisse embraser sa Destinée. Je vois ce qu'il sera quand ce jour adviendra -car je le vois advenir- et là... là mon cœur, ce cœur encore humain malgré - ou à cause de, voir grâce à, qui sait ? - toutes ces années, ce cœur bondit d'allégresse. Car il sera fort. Car il sera là.

 

Je les vois eux, les trois que j'ai crées. Et je vois qu'ils ne savent pas, quoique le loup devine intuitivement, ce dont je me réjouis. Il est le pivot de tout. Il est la pierre angulaire de mon plan. Les deux autres sont... une diversion. Une simple diversion. Personne pas même lui ne doit comprendre avant l'heure.  Surtout pas lui, surtout pas avec cette morgue et cette arrogance outrée qui le caractérisent. Oh non. Lui doit être le dernier à savoir. Mais pour l'heure, personne ne doit savoir.

 

Personne sauf vous.

 

Je ne vous épargnerais rien en ces lignes, sachez-le. Et si vous n'êtes pas capable de l'accepter sans colère, je me permettrais de vous conseiller de ne pas continuer à me lire. Car après tout, je suis Caïn, le tout premier être humain à en avoir tué un autre. Mieux que n'importe lequel d'entre vous, je sais ce que c'est que de souiller ce monde. Je le sais, de toute mon âme. Chaque instant de cette interminable existence est vouée à expier ce monstrueux pêché et me le renvoie donc en plein visage, comme il se doit.

 

Et je peux donc me permettre de ne rien vous épargner. Car je suis celui qui expie pour vous, également. Oh, je n'ai rien de la brebis sacrificielle que fut son "fils", non. Je ne suis pas un hommage à son Amour pour les hommes, malgré leur folie, alors qu'il se prenait pour Abraham sacrifiant Isaac aux humains. Non, évidement. Cette simple idée me donne tout à la fois envie de rire amèrement et envie de vomir de dégoût si vous acceptez ma franchise.

 

Non. Je suis... je suis son exemple. Je peux comprendre ça. Je l'accepte. Non, je l'embrasse aujourd'hui, je me l'approprie pour... qui sait, peut-être la rédemption au fond. Quoique non. La seule chose qui me libérerait de mes remords me restera a jamais inaccessible. Je voudrais lui dire. Pouvoir lui dire. Rien que ça, simplement. Lui dire combien je regrette. Combien j'aurais préféré me porter ce coup à moi-même plutôt que le lui porter à lui.

 

Et non. Non. Pas parce que j'ai été puni de la plus effroyable des manières pour ça. Non. Je le méritais. Je le mérite encore. S’il existait un châtiment plus terrible que le mien, je l'accepterais. Non. Simplement parce que... parce que c'était mon petit frère. Parce que je l'aimais. Parce que j'aurais du le protéger. Et que je l'ai tué.

 

Je doute de revenir un jour sur ce point très précis. J'ai dit tout ce que j'avais à dire à ce sujet avec ça. Non. Pardon. Sachez que je pleure alors même que j'écris. Je pleure comme rarement j'ai pleuré de ma si longue vie faîtes de larmes. Car c'est la première fois que j'ose simplement écrire ces mots. Je le fais pour vous, oui, mais étrangement -ou pas- je le fais aussi et surtout pour moi.

 

Pourtant je me suis pardonné. Vraiment. Ca a pris du temps, un temps monstrueux, tellement de temps que vous ne l'accepteriez pas si je vous le disais. Mais je me suis pardonné. Je me suis pardonné quand j'ai compris ce que je devais faire de ma vie.

 

Je me suis pardonné parce que... parce que je ne pouvais rien faire sans ça. J'ai vu la tâche que j'avais à accomplir. Elle est folle, elle est d'une arrogance monstrueuse. Mais c'est une nécessité vitale que de l'accomplir.

Et oui je l'ai vu. Et oui, lui aussi. Nous l'avons vu tous les deux. Tout comme nous avons vu qu'il fera tout pour m'empêcher de l'accomplir. Absolument tout. Et à son sujet c'est un mot que je n'emploie jamais à la légère.

 

Ceci dit, c'est cet absolu en lui qui me donne une chance d'y parvenir, aussi infime soit-elle. Quand, et oui, songez-y, quand il se trompe, il se trompe absolument. Vous me direz un être omnipotent et omniscient peut-il réellement se tromper? Je vous répondrais oui, sobrement. Je vous rappellerais que tout pouvoir signifier réellement tout pouvoir. Et donc pouvoir se tromper. Nécessairement. Et ce faisant, me fournir les armes dont j'ai besoin.

 

Oserais-je vous en parler? Déflorerais-je si tôt mon atout maître pour vous? Le désirez-vous? Sûrement, oui. Mais une part de vous désir tout aussi sûrement ne pas le savoir, je le vois bien. Vous le voyez aussi. Alors j'hésite. Je m'amuse à dire vrai un peu à vos dépends. Ce n'est pas bien méchant, je vous rassure. Mais je suis un conteur. J'ai découvert que c'était un plaisir pour moi. Et comme tout bon conteur et bien j'aime à vous tenir un peu en haleine, tout simplement. Et puis je suis Caïn, je pense avoir le droit d'en profiter un peu de temps à autre non?

 

Bref, non, vous ne saurez pas. Pas avant mon ultime entrée. A moins que vous ne soyez plus malin que moi et qu'un des rares individus connaissant une partie de mon jeu ne vous en dise un peu trop, peut-être. Oui car, j'ai instillé en eux la soif de tenir des journaux semblables à celui que je tiens en cet instant. Oui je peux faire ce genre de choses. D'ailleurs ne leur en veuillez pas trop. Ils sont ce qu'ils sont, et je les force à se raconter devant vous. Un exercice auquel ils répugnent tous. Tous.

 

Je crois que je vais peut-être vous laisser le temps de digérer ceci un peu. Et puis nous nous reverrons. Je le sais même sans le voir. Alors, allez-y, je vous rends - un temp s- à vos vies. Sortez, allez prendre l'air, allez vivre un peu, allez aimer. Allez rire ou pleurer, allez me haïr ou m'aimer. Allez avec indifférence ou avec passion. Mais n'oubliez pas. Jamais. Je suis mon propre Roi. Et un temps, un temps infime je vous l'accorde, ce temps où vous avez choisi en toute liberté de lire mes mots, ce temps-là j'ai été le votre, de Roi. Songez-y, j'ai raison. Tout comme j'ai raison en disant que lorsque vous me lirez, vous serez le mien.

 

Caïn, frère d'Abel

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