Chapitre 6 - Le Cycle Eternel

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Quelques minutes plus tard, Lahynn se sentit d’aplomb pour s’asseoir. Ses symptômes commençaient à s’estomper. Même si elle avait beaucoup dormi, elle sentait une grande fatigue la faire vaciller par moment. Avisant le reste de la pièce, elle était bien dans une maisonnette ronde, démunie de porte, « un refuge » se corrigea-t-elle. Ces refuges avaient été construits pour les voyageurs qui n’avaient pas de quoi se payer une nuit dans une auberge. Ou pour fuir une éventuelle menace… D’ou lui venaient toutes ces informations ? « De ma mémoire d’enfant, trop immature pour tout comprendre ». A force de réfléchir, la migraine la guettait de nouveau. Elle avisa plutôt le reste de la pièce :

Un matelas à même le sol.

Un arc debout à côté de l’entrée.

Une table de chevet vide.

La pièce n’avait pas été meublée, ce qui attestait de son utilisation en tant que refuge : le séjour de courte durée.

Son corps n’étant pas encore prêt à la porter, elle se recoucha sur le flanc, le regard vissé sur l’entrée en demi-cercle. Lâchant toutes résistances, elle laissa un souvenir jouer devant ses yeux gris perle…

… — Tu es sûr qu’on a le droit d’être là ?

— Chut ! Papa m’a interdit de venir mais je voulais te montrer quand même, on va juste attendre que le vieux ferme la porte.

Ils attendirent tapis derrière un buisson, puis un homme sorti d’une sorte d’atelier, baillant et s’étirant il ferma soigneusement la porte à clé, jeta un œil alentours, vérifia que la porte était bien fermée et s’enfonça dans la nuit. Au bout de quelques minutes Tory sortit de sa cachette :

— Attends-moi, j’vais voir si la voie est libre, chuchota-t-il excité avec un sourire en coin. Il disparût derrière l’atelier, et revint triomphant, faisant signe à Lahynn de venir. Elle se hâta curieuse, Tory la fît monter dans un arbrisseau juste capable de soutenir leur poids d’enfant de cinq ans.

Se faufilant comme des chats, les enfants passèrent à travers une lucarne en hauteur, dont il manquait une vitre. Passant les pieds devant, Tory se réceptionna sur un meuble non loin, et atterrit au sol. Lahynn suivit le même processus.

Le garçon souleva alors un tissu couvrant une vitrine épaisse et lui montra un pendentif rayonnant au clair de lune : Isindh.

Magiquement et physiquement protégé, le bijou paraissait des plus ordinaires :

— Tu vois ! Papa m’avait parlé d’un collier qu’Iéonïsse aurait fabriqué pour qu’on retrouve ses enfants et pour se protéger du mal, et je suis certains que c’est celui-là.

Posée sur un bureau, une pile de feuilles représentait fidèlement le bijou avec autour des inscriptions manuscrites dans l’intention de déchiffrer le rôle de chacune des six pierres, incrustées sur les pointes d’une étoile à cinq branches et de la dernière en son centre. Un croissant de lune englobait les quatre branches inférieures.

En y regardant de plus près, le bijou n’avait aucune imperfection. Sûrement de l’or blanc, aux perles translucide comme du verre. Lahynn se sentait étonnamment attirée par le pendentif, posant les mains sur la vitrine elle était persuadée d’avoir entendu une voix, celle qui lui parvenait souvent en rêve et chassait ses cauchemars. La voix d’une femme l’appelant par son prénom.

Le souvenir s'éteignit comme les derniers rayons d’un soleil couchant. Elle se sentait plus sereine. Une porte en elle s'était ouverte, tous ce qu'elle avait refoulé pendant des années revenait peu à peu librement. Son estomac gargouilla sonnant ainsi la fin du repos. Elle s'assit de nouveau sur le bord du lit et son corps se mit en marche vers l'odeur de nourriture qui commençait à flotter dans l'air.

Le jeune garçon était en train de jeter des herbes aromatiques dans sa petite marmite en fonte. Le ciel avait déjà pris des teintes roses-orangés dissipant les derniers nuages. Il leva la tête vers elle.

- En forme ?

- Oui, merci.

Lahynn fit quelques mouvements d'étirement avant de venir s'asseoir en face de lui.

Le récipient en ébullition faisait remonter à la surface un mélange de viande et de feuilles de laurier. Comme les questions qui se bousculaient dans sa tête mais n'osaient pas sortir, de peur que tout débordent et finissent en un bafouillement de questions incompréhensibles.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle se sentait plus sereine. Peu à peu, des souvenirs, car elle savait à présents que c’en étaient, lui revinrent. Une porte en elle s’était ouverte, tout ce qu’elle avait refoulé pendant des années revenait librement.

Tory se tenait à quelques pas, en train de jeter des herbes aromatiques dans une petite marmite en fonte. Le ciel avait déjà pris des teintes roses-orangés dissipant les derniers nuages. Il leva la tête vers la jeune femme :

— En forme ?

— Oui, merci.

Le récipient en ébullition, faisait remonter à la surface un mélange de viande et de feuilles de laurier. Comme les questions qui se bousculaient dans sa tête mais n’osaient pas sortir, de peur que tout débordent et finissent en un bafouillement de questions incompréhensibles.

Elle savait qu’ils avaient été très proches dans leur jeunesse, mais l’amnésie qui commençait à laisser filtrer quelques souvenirs, la mettait mal à l’aise.

Le crépitement des dernières brindilles, donnaient un bruit de fond au silence qui s’installait, comme la nuit au-dessus de leurs têtes.

— Le temps a passé, reprit Tory. Pas toujours aussi bien que j’ai pu l’espérer, mais… (Il goûta une cuillerée de la pitance) tu es revenue, c’est le principal.

Il ajouta une pincée de sel dans le récipient et mélangea, le regard vague.

— Je suis désolée, Tory de … si je t’ai laissé seul, tout ce temps

— Tu n’as pas à être désolée, voyons ! Tu avais une destinée, une possibilité d’être protégée. Moi je n’avais pers… Non, vraiment tu n’as pas à t’en vouloir, se reprit-il.

Il sourit, eu un geste hésitant vers elle, avant de se ressaisir et de prendre les bols posés à côté de lui pour servir le ragoût.

Prenant son bol, Lahynn huma le fumet les yeux fermés :

— Ca a l’air vraiment bon, merci.

Elle prit une cuillère en bois que lui tendait le garçon, et touilla son mélange afin de le faire refroidir :

— J’ai des souvenirs qui me reviennent par vagues, avoua-t-elle en fixant le fond de son bol, elle sentie le regard de Tory sur elle. Mais on dirait qu’un souvenir ne m’appartient pas, c’est étrange

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je vous ai vu, toi et Valcor, à votre première rencontre.

— Notre première rencontre ?... Ah oui ! C’était près du lac des Iéoniens. Le lac où est faite prisonnière l’âme d’Iéonïsse.

« Iéonïsse, Mère de nos mères… » Se souvint brusquement Lahynn. C’était le début des prières adressées à la déesse de la paix et de la guérison.

— C’était peut-être un de ses souvenirs, je ne la sens plus dans mes rêves depuis un petit moment…

— Lahynn, est-ce que tu sais pourquoi tu es revenue ? Demanda-t-il à brûle pourpoint.

La jeune femme suspendit son geste, la cuillérée qu’elle s’apprêtait à manger, coula dans son bol.

— Non.

— Parce que tu possèdes l’essence d’Iéonïsse en toi. Elle t’a béni, au moment où ta mère est… partie. Elle a pris sa place dans ton cœur, et si tu es là aujourd’hui, c’est parce que tu es à ta majorité.

— A seize ans ?

— Oui, l’âge où l’on devient moins influençable, certaines forces maléfiques ne font plus effets sur toi.

— Des forces… maléfiques…

— Certaines illusions destinées aux enfants, que les parents leur racontent pour les garder près d’eux.

Lahynn n’en avait aucun souvenir. Mais même à son âge, elle ne serait pas totalement protégée.

— Racontes-moi ce que je dois savoir !

— Eh bien, pour faire court et ne pas te surcharger d’informations, je vais aller à l’essentiel. Nous avons grandis presque ensemble, on était jeunes et insouciants, on n’a pas compris qu’une réelle menace planait sur nous. Puis un jour, tout a éclaté… Je me souviens que tout le village était saisi par la peur, c’était la folie, ils courraient partout, et là j’ai vu. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu la menace.

Il fit une pause, revivre ce souvenir était encore traumatisant. Lahynn tourna les yeux vers lui, avide de connaître ce qui avait peut-être hanté ses cauchemars, à elle aussi.

— J’ai vu la menace, continua Tory, une silhouette entièrement noire avec une grande capuche, montée sur une monture tout aussi noire. On aurait dit qu’ils avaient fusionné ensemble. L’animal était une sorte de cheval, ou plutôt son squelette, galopant entouré d’un corps de fumée noire. Il est passé à côté de moi au galop. Cette fumée était glaciale, comme une brume cinglante qui te passe sur la peau.

Tory toucha sa joue à ce souvenir, Lahynn en frissonna. C’était un lointain souvenir, mais son corps se souvenait encore de cet animal, passé furtivement dans son dos. Elle ne l’avait pas aperçu, mais cette sensation était la dernière qu’elle avait retenue d’Ortilâ, avant que la main froide d’Alna n’englobe la sienne pour un nouveau monde.

— Je m’étais réfugié par instinct et je vois encore les détails de cette silhouette qui portait une épée avec un symbole en indigo gravée dessus : un croissant de lune renversé comme une coupe à l’envers, et une étoile de points à cinq branches en son centre. C’était un serviteur d’Isâârd.

Ce nom lui faisait écho, elle l’avait déjà saisi dans des conversations d’adultes.

La nuit commença à s'imposer, ramenant avec elle une légère brise. Tory s'éclipsa dans la petite maison, revenant avec deux épaisses couvertures de laine. Il raviva le feu, accrocha sur une barre de fer, en travers des pieux en bois, une petite bouilloire en terre cuite. En attendant que la boisson chauffe, il se cala confortablement sur le sol.

— J’étais ou, quand c’est arrivé ? demanda Lahynn, même si sa question était rhétorique.

— Une amie du village, Jwane, a pressenti la menace et elle a pris la décision de t’emmener. Tu avais cinq ans, j’en avais six. Et je n’ai appris ton départ que récemment d’ailleurs…

C’était donc bien le dernier de ses souvenirs.

Lahynn serra sa couverture autour de ses épaules attendant avidement la suite.

— Je t’ai fait revenir parce que c’était le moment. Il avait été convenu avec Alna que tu reviendrais accomplir quelque chose à ta majorité ortilienne : seize ans.

« Alna… »

Elle sursauta lorsque la bouilloire siffla, Tory la retira du feu, versa le liquide fumant dans deux gobelets en fer, laissant une mystérieuse vérité suspendue dans l'air du soir.

Lahynn prît le verre que le jeune homme lui tendait, et le posa prés de ses pieds, le laissant refroidir. Tory souffla sur sa liqueur, goûta du bout des lèvres, estima qu’il était encore trop chaud, puis continua son récit :

— Pour le moment on doit retrouver certains alliés, l’étendu du pouvoir d’Isâârd grandi chaque jour.

Isâârd, le dieu du chaos et de la souffrance, avait fait un pacte avec un humain depuis de nombreuses années. De leur fusion était né le personnage de Tzaïr, mi-Homme, mi-Dieu.

Isâârd s’était auto-proclamé souverain du monde d’Ortilâ, mettant fin au règne d’Iéonïsse, déesse de la paix. Après avoir trahi la déesse, en l’an 100, ils moururent tout deux. Il était le second à mourir et son essence avait déjà pris le pas sur celle de la déesse, son corps se transforma en un lac aussi noir que son âme. Guettant l’occasion de prendre possession d’un corps afin de finir ce qu’il avait commencé.

Iéonïsse quant à elle, avait fait héritage d’un don qui se confierait de génération en génération. Le sang qui avait coulé de son sein, avait été recueilli par le jeune chêne qui avait amorti leur chute. Plus tard une femme en avait récolté sa sève et le contact avec sa peau avait permis à au don de la déesse de se transmettre. Les siècles passèrent, et quand la menace frappa aux portes d’Ortilâ, le don avait été confié à une petite fille brune aux yeux de perles : Lahynn.

Le combat d’Isâârd et d’Iéonïsse était une lutte infinie depuis plusieurs siècles. Un souverain avide de pouvoir pactisait avec le dieu du chaos et seule une héritière du pouvoir d’Iéonïsse était à même de lui conférer suffisamment de pouvoir et une enveloppe charnelle pour lui permettre de mettre fin aux agissements du chaos. Mais cette fois, Tzaïr avait opté pour une stratégie plus pernicieuse, agissant dans l’ombre, il parvint à enfermer les détenteurs des six éléments, en les privant de leurs pouvoirs. Ainsi, le cycle repris son cours.

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