La tache d'encre

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Au premier étage, l’escalier débouchait sur une salle presque aussi grande que celle du dessous, mais il semblait n’y avoir personne à l’intérieur. Stéphane continua à grimper, en jetant quelques regards en arrière pour vérifier qu’on ne le suivait pas.

Au second, il aperçut deux femmes, visiblement sur le point de redescendre. Il se cacha sur le côté dans une petite niche.

– Ça va bientôt fermer, on y va ?

– Oui. Mais je n’ai toujours pas trouvé ce que je cherchais.

– T’es sûre que tu ne veux pas jeter un œil au-dessus ?

– Non, j’y suis déjà allée, il n’y a rien que des vieilleries. Tant pis, je prends celui-ci et on y va.

– Bon, très bien.

Les deux femmes s’engagèrent dans l’escalier vers le premier étage. Stéphane attendit cinq secondes et sortit de sa cachette. Il avait toujours éprouvé cette forme de curiosité, ce besoin d’aller voir plus loin, plus haut, tout au bout, tout là-bas, dans les moindres recoins des lieux qu’il traversait, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus nulle part où aller ou plus rien à découvrir. Il continua donc vers le troisième et dernier étage.

La pièce dans laquelle il déboucha était nettement plus petite, et plus basse de plafonds que les autres salles.

Personne aux alentours. Il entra.

Il ne savait pas vraiment ce qu’il cherchait, ou même s’il cherchait quelque chose, mais il avait besoin de voir ce qui se trouvait ici. Il s’avança dans l’allée principale, silencieusement, comme pour mieux contempler le trésor de son aventure.

Pour la première fois, il se sentit réellement impressionné par les livres. Jusque-là, la bibliothèque lui était apparue comme un super terrain de jeu, avec plein d’endroits où se cacher. Mais là, tout seul, dans le silence du troisième étage, il se surprit à regarder les livres eux-mêmes. « Tous ces livres fermés, toutes ces pages, toutes ces histoires… Comment peut-on écrire et lire tout ça ? », se demanda Stéphane. Déjà que pour finir le « Petit Nicolas », il lui avait fallu plus de deux semaines, alors là… Il était totalement fasciné.

« Des vieilleries », avait dit la dame.

À les voir, tous bien droits et bien serrés, il fut pris de compassion. Il eut d’un coup envie de tous les ouvrir, pour en lire quelques lignes, pour les aérer, pour voir leur couverture, pour faire défiler leurs histoires.

Il s’approcha d’une étagère et jeta un regard autour de lui.

Personne.

Il saisit un ouvrage et choisit une page au hasard. Il eut à peine le temps de poser les yeux sur une phrase qu’un bruit sec le fit sursauter.

Cela venait d’une rangée adjacente. Un frisson le traversa. Qu’est-ce que c’était ? Il n’avait pourtant vu personne en entrant, il en était sûr. Il remit livre en place délicatement.

Prenant son courage à deux mains, il s’avança vers le rayon suivant et glissa la tête avec précaution... Rien. Ça doit venir de la prochaine rangée, se dit-il. Il eut soudain envie de courir vers la sortie… Mais cela impliquait de passer devant cette fameuse rangée et Dieu seul sait ce qui s’y cachait et pourrait lui sauter dessus.

« Y a quelqu’un ? », demanda-t-il timidement.

Le silence lui répondit et son cœur se mit à battre plus fort. Il eut envie de faire pipi. Il fallait regarder. Il fit un pas et pencha la tête, tout doucement, prêt à crier ou à courir au moindre doute.

Centimètre par centimètre et…

Rien, personne.

Il allait relâcher sa respiration lorsqu’il remarqua le livre par terre et son sang se glaça. Il n’y avait pas de livre sur le sol quand il était passé devant cette rangée. Il fit un pas pour le voir de plus près. L’ouvrage gisait là, ouvert face contre le plancher. Il avait l’air très vieux. Stéphane n’arrivait pas à en lire le titre, mais il ne voulait pas s’avancer davantage. Il leva la tête et repéra l’étagère d’où il était apparemment tombé. C’était l’avant-dernière. On ne pouvait pas l’atteindre sans escabeau.

Il regarda à nouveau le vieux volume par terre et un cri monta dans sa gorge qu’il lâcha avec horreur. Une tache d’encre noire s’était formée autour du livre et se répandait lentement.

Il se jeta dans l’escalier en hurlant. En bas, plusieurs personnes appelaient son nom.

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