Celui qui contait sa vie

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Je descends d’une famille de conteurs illustres depuis plus de deux siècles ! Avec mes ancêtres, nous nous transmettons les contes, les légendes et récits de génération en génération, à l’exactitude quasi parfaite, à la virgule près certains aiment à dire. Et je me targue encore de proposer les miens avec une fidélité irréprochable.

L’histoire raconte que les premiers d’entre nous descendent du peuple des arbres qui, dans un lointain passé, se serait mis à courtiser des princesses, des rois, des philosophes, des érudits… et même des moines ! Et cela aurait fait couler beaucoup d’encre depuis. Mais cela reste une légende.

Mon arrière-grand-père a servi un roi de France, rendez-vous compte. Pour ma part, je n’ai pas connu un destin aussi illustre. Si je n’ai pas officié dans une livrée royale, je n’ai cependant pas à rougir de ma vie. Et comme on dit, il ne faut pas toujours juger un livre à sa couverture.

Au moins trois générations d’enfants sont venues rêver avec moi, glousser ou frissonner parfois. Des adolescents me trouvèrent en quête d’aventures et de premières passions… Je me souviens encore qu’ils m’arrêtèrent plus d’une fois pour rougir timidement quelques secondes à l’audace d’un baiser, à la caresse d’une main.

Recommandé de famille en famille, j’ai passé ma vie à partager mes mystères et mes secrets. Il me paraît bien loin ce temps où les gens avaient besoin de conteurs comme moi. Jamais je ne m’ennuyais à cette époque et j’aimais cela.

Ce travail me porta jusque dans une ville de taille moyenne où je m’installai et trouvai une place à temps plein, pour la bibliothèque municipale. Il y avait moins d’effervescence, mais j’y rencontrai quelques illustres dont je n’aurais jamais rêvé : Balzac, Voltaire et Stendhal, oui, Maupassant, Rousseau et j’en passe. Peut-être pas royal le crouton, mais il en a vu du monde !

Et je connus une passion aussi. Une vraie.

Avec la fille de madame de Lafayette. Ah ma princesse… Et ce n’était pas qu’une histoire sous les couvertures, je vous prie de me croire ! Car si nous n’étions pas du même rang, il est des sentiments qui se jouent de toutes les barrières, et notre amour fut de ceux-là. Si vous aviez touché sa peau lisse et ambrée… Je frémis encore de la sentir pelotonnée contre moi.

Elle partit un jour pour un voyage qui ne la vit jamais revenir et me laissa dans un chagrin effroyable. Il s’ensuivit une période de vie apathique où plus rien ne se passa, où personne n’eut besoin de mes services, où je fus si mal que je faillis en perdre la mémoire et ne plus rien vouloir raconter. Cela devait se lire alors sur mon visage, car je voyais bien que les gens m’évitaient.

Comment en suis-je sorti ? Le temps… Le temps qui racornit et craquèle, qui souffle les maux et consume les chagrins, sans vraiment les faire disparaître tout à fait. Et un beau jour, on fit de nouveau appel à moi.

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