Dérive

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Les lignes se noircissaient sous l'encre de la plume qui grattait le papier. Au fil de ses pensées, l'enfant reprenait vie en lui et s'enfonçait à nouveau au cœur de cette forêt dans laquelle il se sentait si bien.

Comme à chaque fois, je prends une brindille que je m'amuse à mordiller. J'écrase ces foutus champignons blancs qui s'aplatissent dans un nuage de fumée burtonnien. L'humidité des lieux fait ressortir les senteurs de la verdure, mélange de sapin, de hêtre et de chêne. L'odeur de la terre humectée d'eau remonte jusqu'à mes naseaux. Aujourd'hui, j'ai laissé mon vélo à la lisière et j'ai parcouru une longue distance pour gagner l'immense sapinière. L'homme du précédent songe m'attend, toujours affublé de sa pipe et accoutré d'une tenue identique.

- Te revoilà, enfin. Je me demandais si tu avais renoncé.

- Je suis revenu, parce que je me suis aperçu que j'avais pleuré hier, après votre disparition.

- C'est parfois le cas lorsqu'un souvenir t'émeut particulièrement.

- Vous ne m'avez pas compris. J'ai pleuré, en dehors de la forêt.

- C'est bien ce que je dis.

- Pourquoi pleurerais-je quelqu'un disparu depuis si longtemps ?

- Peut-être as-tu tout simplement enfoui certaines choses trop profondément. Peut-être que tu n'avais pas la possibilité de comprendre ce que signifiait tout ça.

Je me mets à faire des tours dans la clairière, ramassant quelques cailloux et jouant avec. Je chantonne tout en restant l'œil rivé sur celui qui se présente comme son père.

- Si c'est bien toi, mon père, pourquoi tu nous as laissés ? Pourquoi t'es parti ?

- Je ne suis pas parti. Rappelle-toi. Je suis resté avec vous jusqu'au bout.

- Maman dit que tu l'as laissée seule.

- Elle dit vrai.

- Je ne comprends plus rien.

- Tu comprends très bien, mais tu refuses de regarder. La vérité s'étend face à toi, telle une prairie verdoyante, mais tu préfères y voir un jardin.

Je suis de plus en plus agacé. Je fais valser une branche qui traîne au sol d'un coup de pied, tout en pestant. Je ramasse un caillou et je le lance dans sa direction, mais il le traverse et va s'écraser sur le chêne derrière lui.

- Tu es en colère après moi ?

- Oui.

- Tu crois que je voulais partir comme ça ?

- Oui.

- C'est faux. Tu ne sais pas à quel point j'ai souffert.

- Le grand dans lequel je vis, il en souffre encore ! Il pleure, il hurle, il essaye de le cacher, mais ça marche pas.

- C'est parce que tu refuses de l'aider. Tu préfères vivre dans une illusion plutôt que de lui montrer le chemin. Lui seul pourra le prendre, mais il a besoin d'un guide, et c'est toi.

Ce n'est plus de la colère que je ressens, c'est de la rage. Je me rue sur lui, dans l'espoir de le rouer de coups, que tout cela s'en aille et ne revienne plus. Il disparaît et je ne peux que cogner sur l'arbre, de toutes mes forces, espérant que la douleur de mes poings frappant l'écorce fasse oublier celle de mon âme déchirée. Fermant les yeux si fort que j'en ai mal. Lorsque mes paupières se rouvrent, je contemple mes mains, celles d'un adulte. La forêt n'est plus là. Le bureau sur lequel je suis installé porte les stigmates de la violence des coups portés. Cette sensation d'injustice, cette rancœur envers la vie, elle doit finir par sortir, sinon, mon âme continuera son chemin destructeur jusqu'à la nuit.

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