D'un monde à l'autre - Pseudo : Coquillette

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Les retours sont toujours étranges : les mots du livre se mélangent aux miens. Mes idées s'entrelacent avec celles qui suintent d'entre les pages. Je lis sans plus comprendre. C'est le signal qu'il est temps pour moi de quitter l'immobilité. De me diriger vers où me poussent mes pensées. Temps de revenir, de marquer une pause dans ce voyage imaginaire, de regagner mes pénates, mon salon, mon appartement, ma rue, ma vie, de réintégrer mon corps.

Je décoince mon pied, que je cale toujours sous la jambe opposée. Ma cheville ankylosée m'élance, si je me lève, elle ne supportera pas mon poids. Le degré de la douleur est proportionnelle au plaisir de ma lecture. Et là, je pourrais hurler tellement je souffre ! Mes mains malaxent le tendon d'Achille, tente de réactiver la circulation sanguine. Je prends appui, grimace, puis boitillante enchaîne trois pas afin de retrouver la faculté d'avancer. Un coup d'œil à la pendule et une simple soustraction me permettent de comptabiliser mes heures d'absence au monde, celui qui m'entoure, le vrai, le moche, le gris, le dur. Celui dont je m'échappe, que je fuis, dès que possible.
Malheureusement, mes escapades ont leurs limites. Mon estomac réclame de la matière à digérer. Ma bouche est pâteuse, ma langue épaisse. J'avale un verre d'eau et elle claque, à nouveau agile, contre mon palais. Face à la lumière froide du réfrigérateur, j'hésite. J'ai laissé Cora, l'héroïne de papier, à sa dégustation d'huîtres. Le livre me rattrape, je me souviens du début, de là où nous en sommes, je me demande la fin. Cette envie de savoir dépasse de loin mon désir d'omelette, de coquillettes, ou d'épinards à équeuter puis jeter dans l'huile d'olive, tandis qu'un chèvre frais fondrait au four sur une tranche de pain. La gourmandise finit par l'emporter, mais en effectuant les gestes qui combleront mes papilles, je repars à des centaines de kilomètres, sur la côte Normande où cette femme m'attend pour partager un verre de vin blanc. Je refais le chemin avec elle, celui qui l'a conduite au bord des falaises de granit. Ses questions existentielles m'interrogent sur le sens de ma trajectoire, de mes choix, de mon cap, sur ce qui m'entoure. À l'intérieur le silence est total. Par la fenêtre, mon regard se perd dans le paysage. Ne m'atteignent que les saveurs acides et salées, les textures moelleuses et croustillantes, qui explosent sous l'effet de mes mâchoires. J'assiste, impuissante, à la chute de la lumière vers les ténèbres. Nous sommes peu de choses. Si peu de choses, que j'ai besoin que l'on me conte d'autres horizons ?

C'est alors qu'une voie s'ouvre face à moi, que je perçois une lueur dans la nuit profonde. Je vais franchir une nouvelle étape, pousser ce voyage encore plus loin !
Je souris au livre, saisis un stylo et traverse la frontière qui sépare la lecture de l'écriture.

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