Ni grue ni bétonnière

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Je me souviens du vent qui soufflait. Froid et bruyant, il rameutait l’air tel des spectres venus se heurter à vous dans une violence glaciale. Il fallait dire aussi que l’altitude m’avait bouché les oreilles et donc difficile de percevoir autre chose que le râle résonnant du vent qui frappe. Et pourtant, par-delà le chaos hivernal dans lequel je m’étais engouffré, le spectacle était au rendez-vous. De l’autre côté, après la vallée et la plaine. Les rayons de lumière même semblaient choisir leur direction, comme lorsque Dieu se manifeste, car l’ombre était telle que seul le flanc opposé était illuminé. C’était comme si, d’où je me trouvais, les penchants vicieux de Dame Nature s’amoncelaient pour n’offrir qu’aux plus courageux le tableau qu’elle avait peint.

Les collines polychromes dévoilaient leurs couleurs face au soleil couchant, une palette de mille nuances qui lui avait valu son surnom. Du jaune, au rouge, à l’ocre, les strates traçaient dans le sillon de la Terre des triangles d’une précision artistique. On devinait les couches que composent la surface de la planète, comment la vie en elles avait provoqué leur collision, puis leur élévation au ciel. C’était si rare. D’être témoin de la naissance d’une montagne, c’était comme remonter le temps, voir notre Terre à plus grande échelle. C’était prendre de la hauteur sur toute la vallée et s’émerveiller du résultat. Je me souviens l’horizon orange, ce hameau dans l'aridité du canyon, et par-dessous les couleurs parsemées dans un filtre pastel. C’était comme si l’univers avait voulu y peindre un arc en ciel, en dépit de toutes les règles et les coutumes. Et du haut de mes 4761 mètres, le mirador avait un goût de trésor. D’autant plus l’ascension à travers la poussière et la taule ondulée qui lui conférait une valeur ajoutée.

Je ne pouvais m’empêcher de me prosterner devant les talents de Gaïa pour avoir réussi à produire un chef d’œuvre millénaire, d’une telle agilité, qui faisait l’unanimité au sein de tous les êtres humains.

C’était le clou de ce canyon. Le trophée de cette sècheresse pré-colombienne dont les vestiges perduraient. Il n’était pas difficile d’imaginer entre les cloches qui teintent, la poterie qui se claque au gré du vent. Oui, je pouvais entendre le souffle des Oumaguacas qui se joignait à celui du vent qui provenait des montagnes argentines. Ils gardaient cette merveille géologique pour eux. Moi, je n’étais que de passage.

Et après avoir tenté le plus fort que je pus d’ancrer ce panorama dans les cases les plus lointaines de mon esprit, afin qu’il y demeure le plus longtemps possible, je repris la route descendante à la recherche d’un peu d’oxygène.

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