Littérature onirique 17/52

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  Tout n’était que lumière et néant. Une immensité aveuglante par sa clarté où venait s’y mêler mon incrédulité. Où étais-je et pourquoi y étais-je ? Ma mémoire semblait incomplète, ma personnalité était fragmentée et tout se bousculait inlassablement dans mon esprit. Des traits noirs se formaient ici et là sans prendre une apparence particulière ce qui ajoutait encore des questions sans réponses. Il faisait un froid horrible et je frissonnais. Amusant de ressentir qu’on grelotte alors qu’on n’a pas conscience de son corps, non ? Les filaments formaient à présent des symboles, ceux-ci représentaient des lettres et mis ensemble : des mots. Des phrases apparaissaient sans explication autour de moi. « Quel est cet endroit ? », « Comment suis-je parvenu ici ? », « J’ai faim », « Est-ce que j’ai pris ma pilule ? ». Cette dernière interrogation me laissa perplexe par son sens que je ne comprenais pas. Cela sous-entendait-il qu’on m’aurait drogué ? Que tout ceci n’était qu’une hallucination ?

  La lumière s’estompait lentement pour laisser place à une obscurité créée par tous les mots qui apparaissaient. L’atmosphère au départ étrange et calme devenait oppressant et anarchique. Certains mots me sautaient aux yeux, comme une évidence. J’y avais vu mon nom, des récites de ma vie mais rien qui expliquait ce qu’il se passait en ce moment. Petit à petit, je commençais à entrapercevoir ce que les phrases voulaient me montrer. Ce n’était pas le contenu qui était important, mais la forme. Car comme on le sait, dans un texte il y a le fond et la forme. Tout ce méli-mélo de lettres formaient un immense dessin : une montgolfière. Ce que cela voulait-dire ? Je n’en savais rien, je me contentais de penser et dire ce que je voyais pour le décrire à vous qui prenez la peine de me lire. Peut-être seriez-vous avisé de m’expliquer si vous veniez à comprendre avant moi car avouons-le, on gagnera du temps et des efforts.

  Lentement, des lettres glissèrent dans ma direction, formant un autre dessin où aurait dû se trouver mes pieds. Les mots se propageaient pour créer mes contours, sculpter mes jambes puis mon torse. Vient ensuite mes bras, mes ailes et ma tête. C’était un drôle de spectacle que d’observer mes doigts fait de mots dont certains voulaient dire : « annulaire », « celui pour se gratter l’oreille », « ne les mets pas dans ton nez ni dans ton slip, du moins pas en public ». Mais ces mots annulaient lentement mes maux. Comprenez par là que mes questions sur mon existence, sur ma présence en ce lieux étrange, commençaient à s’estomper. Je comprenais ou plutôt, tout me revenais.

  On m’avait accroché au mur. Non, on m’avait perforé et suspendu pour me laisser mourir. M’utilisant pour menacer mes compagnons, s’attaquant à moi car j’étais un être sans défense. Quelle grossièreté, moi qui n’était alors qu’un simple grimoire magique capable de communiquer – ce que j’avais fais avec un certain talent, vous en conviendrez – pour aider mon prochain. Mon sang s’était répandu hors de mes pages, ruisselant sur ma couverture, inondant ma reliure pour s’égoutter presque avec poésie sur le sol.

C’était un spectacle mélangeant avec subtilité

L’horreur et la beauté,

L’incompréhension et la fatalité.

En poésie je n’ai jamais été doué.

Alors ne me demandé pas de continuer.

  Mes compagnons étaient apparues pour me secourir ou trouver mon assassin. Je les avais aperçu, leurs visages effarés quand ils posèrent leurs yeux sur mon corps agonisant. Et depuis le néant, ce blanc oppressant, ces mots angoissants. L’encre qui dessinait avec habilité les mots alentours cessa sa danse, un dernier trait cisaillant ce qui semblait être une page blanche pour venir s’accrocher à mon être, pour me relier à toutes ces idioties griffonnées qui m’étaient inconnus. Je fus alors comme un aimant, toutes les phrases foncèrent sur moi pour dessiner mes os, mes veines, mes muscles jusqu’aux moins détails de mon apparence. La lumière laissa place à l’obscurité et une chaleur jusque là inconnu s’insinua dans mon être.

  Qelkax venait de décrocher le grimoire du mur. Sans prononcer un mot, il déposa l’ouvrage sur la table et l’observa un instant. Devait-il lui rendre un dernier hommage ? Certes ce livre avait beaucoup braillé mais il s’était également rendu utile. Au final, il faisait partie de l’équipe, lui aussi était un membre du groupe. Un bruit de trompette fit sursauter le gobelin qui releva les yeux pour voir Fifi ranger rapidement un épais mouchoir à pois. Des larmes coulaient timidement sur ses joues alors que Riri avait détourné le visage comme si elle ne parvenait pas à endurer davantage cette vision. Seule Loulou restait impassible, les sourcils levés, elle portait son regard à chacun des trois autres protagonistes.

 – Ben quoi ? C’était juste un livre, non ?

Elle disait tout haut, ce que tout le monde pensait tout bas. C’est du moins ce que vous, vous devez penser. Mais pour Qelkax, c’était la disparition d’un ami.

  Derrière eux, la flaque d’encre remua légèrement. Une forme en émergea lentement et l’une des guerrières le remarqua, brandissant son arme en alertant les autres. Tous se tournèrent vers la chose qui venait d’apparaître. Un corps étrange, une sorte de caricature pour représenter une mouche à forme humanoïde. La bestiole devait atteindre les soixante centimètres de haut, ce qui n’avait rien d’impressionnant pour le gobelin ni pour trois valkyries. Ses yeux globuleux s’ouvrirent et la mouche secoua sa trogne pour observer le quatuor.

 – Ben alors ? C’est comme ça qu’on m’accueille ?

 – T’es qui ? grogna le gobelin.

 – Un démon prisonnier du grimoire ? demanda Riri.

 – À quoi tu te dopes la mouche pour être si… si… comme tu es ? aboya Fifi avec un peu d’hésitation.

 – Mes sabres vont t’accueillir, microbes. Trancha Loulou qui s’avançait déjà.

  Les lames sifflèrent et la mouche bondit avec agilité, esquiva les attaques, posa ses pieds sur les bras de Loulou pour se projeter contre son visage dans un puissant coup de boule.

 – BOUM ! DANS TA FACE ! C’EST SUPER EFFICACE !!

Il y eut alors un moment de silence. Quelkax fixait la créature avec une certaine incrédulité. Était-ce possible ?

 – Tu es… le grimoire ? se risqua-t-il à demander ?

 – LUI-MEME ! Pardon, vieille habitude… J’étais enfermé dedans. Et l’assassin, croyant me tuer, m’a en fait libéré. PLUTÔT COOL, NON ? Ah, oui ! Mark Thapaj, enchanté de faire enfin et correctement vos connaissances !

Mark tendait sa patte velue à Qelkax qui hésita un instant avant de lui serrer. La mouche lui secoua énergiquement le bras, sa trompette vibrait rapidement et rendait le gobelin nerveux.

 – Mais, t’es quoi exactement ?

 – Ça se voit pourtant ! C’est même évident, gloussa Mark Thapaj. Je suis un farfadet.

 – Ah, oui, évident en effet, ironisa Loulou.


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