La mission

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  J’étais vautré sur mon trône fait en ossements humain. Un sourire satisfait accroché à mes lèvres, je contemplais la salle du Grand Donjon Qui Fait Peur – le nom n’était pas de moi – le cœur de mon château, après la cuisine bien sûr. C’était une grande pièce avec poutres apparentes au plafond et un immense chandelier aux flammes bleutées y pendait. Le sol était en marbre couvert par endroit de luxueux tapis. Il y avait sur la droite, plusieurs bibliothèques contenant de nombreux ouvrages parlant de différents sujets, que j’imaginais passionnant. Je n’aimais pas spécialement la lecture, mais c’était classe d’entasser ça ici, exposant ma sagesse et ma puissance aux yeux de tous. J’étais devenu le seigneur des lieux depuis que j’avais tué son ancien propriétaire.

  Bien, parlons à présent de moi. J’étais vêtu d’une cape pourpre, trop longue pour ma petite stature et avec une capuche qui retombait juste au-dessus de mes yeux. Le visage ainsi caché dans l’ombre, on ne pouvait voir que mon nez pointu qui dépassait. J’étais torse nu sous ma cape et un simple pantalon de cuir ainsi que d’épaisses bottes recouvraient le bas de mon corps Mes doigts griffus à la peau verte, ornés de bagues tape-à-l’œil, tapotaient l’accoudoir du trône. Geste purement théâtrale pour donner l’impression que j’étais de mauvaise humeur. Première règle de seigneur du mal : feinter la colère en toute circonstance. Je posais enfin mes yeux jaunes sur un être insignifiant qui était à genoux en face de moi. Son gros pif touchait presque le sol, tellement cet idiot s’inclinait. J’aimais qu’on me respecte, là comme vous me voyiez, je jubilais intérieurement. Un rire sadique s’échappa de ma gorge, faisant frémir le pauvre gobelin qui attendait mes ordres. Deuxième règle de grand vilain : avoir un ricanement charismatique.

  Je bondis alors de mon assise pour m’appuyer sur un grand sceptre, symbole de ma toute puissance. Je fis un pas avant de perdre l’équilibre, me rattrapant tout juste à mon bâton magique. Par chance, mon larbin n’avait pas vu que je m’étais pris les pieds dans ma robe de chambre. Je veux dire ma cape ! Je m’éclaircis alors la gorge :

 – Qelkax Sakededan ! Tu es ici pour que je t’offre une mission d’une importance capitale !

Ce pauvre idiot s’était raidit à la prononciation de son nom. Diable que c’était bon d’être le patron !

  Le gobelin me fixait nerveusement et attendait la suite de mon maléfique et incroyable plan. Mais mon attention était portée sur autre chose : l’écran 666 pouces HD que s’était payé l’ancien proprio. C’était l’heure de la diffusion d’un nouvel épisode palpitant de la série à succès : « Amour, Gloire et Pilosité ». Je me demandais si Ken allait retrouver Barbara et lui déclarer son amour. Le pauvre bougre avait souffert lors du dernier épisode : sa fiancée avait disparu, kidnappée par Brad qui tentait le syndrome de Stockholm sur elle. Ken avait été consolé par la belle Barbara et d’aiguille en fil, il s’était attaché à elle. Certains sur les réseaux sociaux trouvaient que cette histoire d’amour naissante, allait trop vite. Personnellement, il avait pleuré pendant quatre longues minutes, il méritait le bonheur après une si longue période de deuil.

  Qelkax leva un doigt et m’interrogea timidement pour savoir ce que je comptais lui confier comme mission. Merde, je l’avais oublié ce boulet. Et il allait me faire rater ma série ! C’était un épisode en exclusivité sur une chaîne de rediffusion ! J’agitais mes doigts nonchalamment dans sa direction tout en lui répondant :

 – Explores le monde et rapportes moi le sceptre du grand sorcier : Kikram Memlo ! Grâce à lui, je dominerai le monde !

 – Oui maitre ! À vos ordres, maitre !

Sa voix me rendit nostalgique sans trop que je sache pourquoi. Ou peut-être était-ce l’apparition de Samantha à l’écran qui me rendit toute chose. Je lançais tout de même un regard à mon fidèle gobelin qui s’éloignait déjà pour quitter le donjon. Ce pauvre idiot allait galérer pour trouver l’artefact magique : je l’avais dans la main. Mais je connaissais mon destin, je veux dire : son destin ! Les deux étant liés car s’il accomplissait sa mission, il réaliserait, en même temps, mes rêves. Il allait parcourir le monde et voir des choses inimaginables ! Enfin, j’arrivais à les imaginer sans mal, c’étaient donc pas si incroyable que ça… ou alors était-ce parce que j’avais effectué également ce périple ?

  Je me laissai tomber sur mon trône pour enfin regarder tranquillement mon feuilleton. Mon prédécesseur possédait des goûts horribles, je ne comprenais pas pourquoi il avait opté pour un château en haut d’un ravin et entouré de lave en fusion. Personnellement, j’aurai opté pour un labyrinthe souterrain avec de nombreux pièges. Mais je devais reconnaitre une chose : il avait quand même eut la bonne idée de faire installer le câble dans ce donjon. Pour ça, je l’aurai presque épargné, mais je ne serai pas devenu seigneur des ténèbres à la place du seigneur des ténèbres !

  Je retirai alors ma capuche, laissant apparaître ma trogne de gobelin, car oui, j’en étais un ! Mais que voulez-vous, personne n’est parfait. J’attrapai alors un énorme couvre-chef en acier, or et diamant que je vins poser sur mon crâne chauve. Quel casque tout de même ! Qui aurait pensé qu’un objet comme celui-ci deviendrait ma couronne ? C’était même grâce à lui que j’en étais devenu le patron de ce bouge. Et tout ça, je le devais à une seule personne : moi. Avec cet artefact, je comptais dominer le monde mais pour y parvenir, je devais m’assurer que le temps serait mon allié.

  Qu’est-ce que ça voulait dire ? Je pourrai vous l’expliquer, mais êtes-vous prêt à entendre une histoire parlant de voyage dans le temps et de mondes parallèles ? Ou encore de chèvres sacrifiées, de livres hurleurs et de WC bouchées ? Sans oublier des vers dans des pommes qui filent une diarrhée explosive et ce, même pour un gobelin ! Mais il y aurait dans ce récit : de l’amour, du suspens, du tragique !

  Comment, vous ne voulez pas ? Tant mieux, car ça aurait été trop long à raconter et la publicité se terminait pour remettre ma série favorite.

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