Et si

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Les jours ont passé.

On a vécu de belles heures, entre nous. Ça a commencé quand Hope a décrété qu’il nous faudrait un peu de temps, pour nous retrouver et nous remettre. Je me souviens que Face a protesté, mais qu’elle a su le convaincre.

Pendant quelques jours, on a été tranquilles. À rester au QG le soir, regarder des vieux films et juste parler. De par les différences de leurs horaires, les filles se mêlaient rarement au reste de la Meute, pourtant il y avait quelque chose de naturel à les voir interagir avec les membres.

Tamiko passait beaucoup de temps allongé, à dormir ou discuter avec ceux qui passaient par là. On ne s’était plus reparlé seule à seul depuis la conversation sur le toit, mais je l’avais observée, avais vu comment les filles lui parlaient à voix basse. Des fois, c’était ”elle”, des fois, c’était ”il”. Mais jamais au masculin devant les mecs, comme un secret qu’elles gardaient et dont je faisais partie, malgré moi.

Et j’ai rien dit, jamais.

Je suis pas une balance.

Je me souviens d’une soirée en particulier et de Tamiko qui, comme à son habitude, s’était calé sous plusieurs vieilles couvertures, devant la télé. Un film passait en fond, mettait en scène des enfants perdus et sauvages sur une île où on ne grandissait jamais. Dans un coin, Dog et d’autres jouaient à un jeu de fléchettes alors que Hope et Face, un peu plus à l’écart, semblaient entretenir une conversation secrète.

Alors que les commentaires sur le film allaient bon train, Tamiko a voulu se lever un peu trop vite et a vacillé. Avec nonchalance, Gold - qui était assis à côté d’elle - lui a attrapé le poignet et l’a poussé à se rasseoir.

- Reste tranquille.

- J’ai envie de fumer, a ronchonné Tamiko en réponse et Gold s’est marré. D’un geste curieux, il a posé sa main sur son crâne et lui a ébouriffé les cheveux. Sans trop avoir l’air de réfléchir, Tamiko s’est appuyé contre lui et a soupiré.

- T’as même pas mangé.

- On mange, alors ?

Il a souri.

- Je peux rien préparer, t’es sur moi.

Un sourire vicelard s’est dessiné sur le visage de Tamiko alors qu’elle s’étalait un peu plus contre lui. Flirting éhonté mais pas forcément inhabituel : au fil des années, certains membres s’étaient mis ensemble, puis séparés. Je ne savais jamais qui était avec qui et à quel moment mais au fond, je m’en foutais : les couples se faisaient et se défaisaient à un rythme trop difficile à suivre.

Après une inspection des réserves et une série de jeux rapides destinés à savoir qui irait chercher à bouffer, Dog et moi avons été désignés. Alors que, bon gré mal gré, je mettais ma veste, Jezebel a posé sa main sur mon bras.

- Je viens aussi.

Surprise, je lui ai jeté un regard perplexe avant de me tourner vers Dog.

- Vous vous êtes réconciliés ?

Il a ricané.

- On se bouffe toujours le nez, en famille. C’est normal et c’est réglé.

Sur le chemin de la supérette miséreuse où l’on avait l’habitude de faire nos courses, on a parlé de tout et de rien. Puis la conversation a dérivé sur Tamiko et les habitudes qui l’avaient mené à l’overdose. Quand j’ai lâché un :

- C’est bizarre, ça faisait un moment qu’elle avait l’air mieux.

Dog s’est mis à ricaner.

- Il y a eu d’autres accidents, aussi. D’autres de nos clients qui en seraient morts, ces temps.

Un silence s’est installé entre nous. À ma gauche, Jezebel semblait plongée dans des réflexions profondes. Lorsqu’elle a brisé le vide, j’ai senti qu’elle pesait ses mots.

- Et si c’était intentionnel ?

Je me suis arrêtée, elle a fait de même. Dog a marché avant de capter et revenir vers nous.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

Elle m’a fixée avec gravité.

- C’est Vlad qui lui a refourgué sa came, et sans doute celle des autres. Il aurait pu la couper avec de la merde.

- Mais pourquoi il aurait fait ça ?

Ce n’est pas moi qui aie eu l’illumination en premier. Un peu plus loin, Dog a laissé échapper une ribambelle de jurons avant de conclure :

- ... le Noeud.

J’ai ri nerveusement.

- Ça fait des années que Vlad bosse pour nous. Tu penses vraiment qu’il nous aurait trahi comme ça ?

Le regard de Jezebel s’est durci.

- On peut faire beaucoup, pour de l’argent. Je ne vais pas vous l’apprendre.

Un silence, brisé par la voix de Dog.

- Pourquoi on irait pas lui demander ?

Sur sa face blanche s’est étalé un sale rictus, plus cicatrice que sourire. J’ai voulu protester mais la colère qui a soudainement grondé dans mon ventre m’a stoppée. À la place, Jezebel a répliqué :

- Il bosse pas loin, non ?

Je l’ai fixée, surprise : je l’avais toujours vue comme quelqu’un de cérébral et raisonnable, mais j’imaginais que tout le monde finissait par craquer, dans ce genre de climat. Elle-même m’observait sans ciller, ne souriait pas, mais je sentais sa fébrilité. Je les ai inspectés du regard, tour à tour, sans rien dire, consciente qu’ils attendaient mon retour. C’était un plan foireux, mais prometteur. Comme l’appel d’un truc inconnu qui bouge à la lisière du bois, la nuit. Un mouvement suspect, attirant un instinct dangereux et viscéral.

Je n’ai eu qu’à dire trois mots pour enclencher la machine et nous précipiter dans une série d’emmerdes gigantesques.

- On y va.

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