En cendres

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- Est-ce que tout est clair ?

Plusieurs d'entre nous ont approuvé. Alors que j'enfilais ma veste, j'ai senti une présence derrière moi suivie d'un poids dans ma poche. Je me suis retournée et y ai porté la main, sentant la bouteille et le tissu imbibé d'alcool qui y était accrochée. Dog s'est approché de quelqu'un d'autre, distribuant les cocktails molotov comme des petits fours. Alors que l'on se dispersait, je me suis approchée de Face.

- Je pense toujours que c'est beaucoup trop casse-gueule, comme plan.

- Ça va fonctionner, tu verras.

Il ne m'a pas accordé plus d'attention. J'ai haussé les épaules et me suis retournée vers Hakeem, qui mettait un flingue à l'intérieur de sa veste. Il m'a adressé un sourire.

- Prête ?

- Ouais.

Bien entendu, je mentais.

La portière a claqué, et Hakeem a fait démarrer le moteur.

- Mets ta ceinture.

- Fous-moi la paix.

L'un des types qui nous accompagnait a ricané. J'ai allumé une clope, tentant de contrôler ma respiration. Avec le temps, les rocades de surveillance avaient payé, et le gang avait identifié certains endroits stratégiques appartenant au Noeud. Bien que l'on ne sache pas - encore - où était leur QG, le fait d'interroger les bonnes personnes avait révélé des informations intéressantes : ce soir-là, la majorité des membres du Noeud serait ailleurs, laissant quasiment sans surveillance l'entrepôt où ils stockaient leur marchandise. Dans de telles conditions, saboter les lieux semblait tout à fait accessible.

J'ai jeté un oeil dans le rétroviseur : à l'arrière, Dog jouait avec son cran d'arrêt. Les deux autres membres qui nous accompagnaient restaient immobiles, concentrés. On était une petite équipe mais Face faisait confiance à chacun d'entre nous.

Au bout d'un moment, on a dépassé les limites du quartier. Hakeem a garé la voiture sur un parking pas loin de l'entrepôt et je suis partie devant, avec lui.

Deux types gardaient l'entrée, comme prévu. Quand ils nous ont vus, ils n'ont pas eu le réflexe de se jeter directement sur nous : erreur fatale. D'un bond, Hakeem a rejoint son garde attitré et l'a assommé. Je me suis dirigée vers le mien et ai voulu faire de même, mais ce dernier a évité mes coups. Avec rage, j'ai attendu une ouverture avant de le planter au niveau du flanc, retirer mon poignard dans un jet de sang. Nos trois acolytes nous ont rejoint alors que je fouillais ma victime, récupérant les clés.

- T'es brutale, a fait remarquer Hakeem alors qu'il le dépassait. Dog m'a mis la main sur l'épaule.

- L'écoute pas, t'as été parfaite.

- J'ai pas besoin de ton avis.

Il a ricané, s'est décalé pendant que j'ouvrais les portes de l'entrepôt. J'ai voulu rester immobile, le temps que mes yeux s'habituent à la pénombre, mais il y a eu un déclic, et Hakeem a crié quelque chose avant de me bondir dessus, m'entraînant au sol, quelques mètres plus loin.

Un bruit de verre brisé a retenti, puis une langue de feu a jailli au-dessus de moi, embrasant le ciel et l'endroit où je me tenais une seconde plus tôt. Un peu sonnée - l'arrière de mon crâne avait salement heurté l'asphalte - j'ai fini par me redresser, jeter un oeil devant moi.

La vision m'a coupé le souffle.

A mes pieds, il y avait une flaque d'essence d'où jaillissaient des flammes surnaturelles, qui s'étendaient jusqu'à l'intérieur de l'entrepôt, commençant à brûler le peu qui y avait été laissé. Mue par un instinct de survie des plus basiques, j'ai commencé à reculer, tentant d'échapper à la chaleur infernale qui s'échappait du brasier. Ma voix est sortie - trop aigüe à mon goût :

- C'était quoi ça, putain ?

Une nouvelle langue de feu - verticale cette fois - a attiré mon attention vers l'entrée de l'entrepôt. Là, en grosses lettres écarlates, était marqué :

BIEN ESSAYE.

J'ai senti un frisson parcourir mon échine : on s'était trompés sur toute la ligne.

Hakeem m'a saisi le bras et m'a entraînée plus loin.

- Faut pas qu'on nous trouve là !

Alors que les flammes de l'incendie n'étaient plus en vue, la présence des clés serrées dans ma main m'a rappelé les mecs qu'on avait laissés là. Ma gorge s'est serrée.

- Hak... Steel !

Mon frère m'a adressé un regard effaré.

- Les deux types...

- ... on a pas le temps.

- Tu vas pas me dire que t'as pitié du mec que t'as planté, Rain ? Tu me déçois.

J'ai fusillé Dog du regard, mais il n'a pas réagi.

Alors que la caisse démarrait et que l'on se cassait de la zone à grande vitesse, j'ai senti la réalisation peser dans mon crâne et mon ventre : déjà, le Noeud avait une longueur d'avance sur nous et surtout : son leader n'avait aucun problème à sacrifier ses membres.

Est-ce que Face en ferait autant avec nous ? J'ai dégluti, me suis rendue compte que je n'avais aucune envie de le savoir.
La voiture a fait une embardée, provoquée par la conduite trop nerveuse de mon frère. Je lui ai jeté un regard.

- Ça va aller ?

Il a serré les dents et m'a menti :

- Bien sûr.

Ma nausée s'est intensifiée. Alors que je regardais à l'extérieur, vers les rues que l'on se battait pour continuer à contrôler, je me suis rendue compte d'une chose : la guerre était déclarée depuis bien longtemps, mais cette tentative d'incendie était le signe qu'elle avait atteint un nouveau niveau.

Et que désormais, avec la Meute, c'était à la vie, à la mort.

Que je le veuille ou non.

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