Sex-shop ?

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 Le bureau, c’est une toute autre affaire. Situé au troisième étage de l’administration, il faut réussir à se faufiler sans se faire repérer. Le bâtiment se trouve à l’entrée du lycée, surveillée par les employés de l’accueil qui doivent s’assurer que les entrants ne sont pas malintentionnés. Si nous sommes supposés absents mais que nous avons été repérés, nous serons les premiers suspects. Cependant, nous serons déjà présents dans l’enceinte du lycée, ce qui nous donne un avantage puisque nous n’avons pas à nous introduire sans être repérés par l’accueil. La porte d’entrée de l’administration est située en face de leur vitre, et les allées et venues des élèves sont fréquentes pour aller déposer le chèque qui nous permet de payer nos repas le midi. Il suffira de profiter d’un groupe de lycéens affamés pour passer incognito. Nous ne pourrons donc agir que lors d’une récréation en gardant en tête qu’il s’agit du moment de la journée où le personnel de l’administration décide souvent de prendre une pause. Les armoires du premier étage nous seront utiles pour nous cacher. L’une d’entre elles est vide et souvent verrouillée, avec une clé sur la porte. Il nous suffira de l’ouvrir et de nous confiner dedans durant quelques minutes, en espérant que personne ne nous aperçoive. À dix heures trente, les cours auront repris et le principal sera absent pour une durée indéterminée. Il doit assister au conseil de discipline d’un élève soupçonné d’avoir vendu de la drogue au sein de l’établissement. Les événements sont de notre côté, peut-être aurons-nous la même chance ce lundi.

 La seule inconnue est la manière d’entrer. La porte sera sans aucun doute fermée à clé et il est impossible de détrousser qui que ce soit sans se faire repérer.
— Je sais crocheter, si besoin.
— Rapidement ?
— Je ne suis jamais allée dans l’administration, je suis une élève modèle ! Je ne pourrais pas te dire sans avoir examiné la serrure.
— De toute manière, le troisième étage sera vide grâce au conseil. Il faut simplement réussir à l’atteindre.
— Honnêtement, James, on risque gros et on a plus de chances d’échouer que d’atteindre le bureau. C’est complètement fou, tu sais ? Mais je suis partante, ma vie aurait bien besoin d’un peu de piquant, d’un peu plus de tes idioties !
— Je sais, Sophie. Mais si on ne le fait pas lundi, on ne pourra jamais le faire. Des occasions comme celle-ci, il y en a une ou deux chaque année, pas plus ! En plus, on se rapproche dangereusement des examens et de notre départ du lycée.
— Je sais, James. Je ne vais pas me dégonfler, promis ! On ira au bout de notre idée, on détruira son bureau, je te le jure.

 Une fois nos plans rapidement préparés, nous pouvons profiter de notre week-end. Nous décidons d’aller en ville. Je m’attends à passer des heures dans K&L à chercher l’habit le moins moche pour qu’elle soit heureuse puis terminer la journée dans Kikoo à la recherche du rouge à lèvres de l’année, qui lui coûtera un bras et durera un mois. Mais je vais pouvoir passer du temps avec elle loin du lycée, alors j’efface ma mauvaise volonté et je la suis dans le bus. Le samedi n’est pas bien différent des autres jours : il y a toujours plus de personnes que d’espace dans les transports, ce qui les rend désagréables à souhait. Cependant, aujourd’hui, je peux prendre Sophie dans mes bras, alors tout va bien.

 Nous arrivons à l’arrêt, en plein centre-ville. Les rues sont bondées et les magasins pleins à craquer. Elle me prend la main et commence à avancer. Je ne sais pas ce qu’elle a en tête, mais elle semble sûre d’elle, comme si elle prévoyait ce moment depuis des années. Je la suis silencieusement, voyant les enseignes défiler. Nous évitons magasins de vêtements, cosmétiques et autres joyeusetés pour s’arrêter dans une partie de la ville plus calme. Il n’y a ici que des restaurants, un sex-shop et un vendeur de lames. Confus, je la fixe.
— Devine où je t’emmène !
— Le… sex-shop ?
— Raté ! Je t’emmène dans mon magasin préféré. Et même si je dois avouer que l’autre m’intrigue, je n’ai jamais mis les pieds dedans.
— Des lames ? Tu achètes des lames ?
— Rentre, tu vas comprendre ce que j’aime.

 Je pousse la porte et m’engouffre dans la chaleur de la boutique. Des dizaines de dagues serties se trouvent devant moi. Certaines avec un rubis, d’autres avec une émeraude. L’une d’entre elles attire mon regard. Une poignée d’or dans laquelle est gravé un Yggdrasil. De l’autre côté, une tanzanite est sertie et entourée de gravures qui représentent les racines de l’arbre divin, allant jusqu’à le rejoindre. La lame, de la taille de ma main, est parfaitement droite même si légèrement arrondie vers le haut pour former la pointe en douceur. On pourrait presque imaginer qu’il s’agit d’un bijou.
— Elle te plaît ?
— Elle est magnifique.
— Tu pourrais me tuer avec, tu sais ?
— Comment ça ?
Elle sourit innocemment et attrape l’arme, la fait tourner sur elle-même et relève la tête en ma direction.
— C’est un bon choix, James. Elle est légère, facile à manier mais n’en reste pas moins tranchante.
— Tu as l’air d’avoir l’habitude.
— Je viens souvent ici, j’ai connu de nombreuses lames sans jamais les utiliser dans un vrai combat. Mais je sais me battre avec, si besoin.
— Tu en as une sur toi ?
— Toujours, elle ne me quitte pas.
Elle soulève son pull pour me montrer sa ceinture, sur laquelle est accroché un fourreau qui contient sa dague. Comment ne l’ai-je jamais remarqué ? Je ne fais pas assez attention à ce qui m’entoure, quelqu’un pourrait venir avec une arme à feu que je ne m’en rendrais pas compte.

 Je la vois se diriger vers le vendeur, la dague à la main. Je la suis pour écouter leurs échanges.
— Cent euros, s’il vous plaît.
— Quoi ? m’étonné-je. Mais tu ne vas pas l’acheter !
— Si, pourquoi ?
— Mais, tu as déjà la tienne, et…
— Et toi tu n’en as pas, me coupe-t-elle. Tu pourrais bien en avoir besoin, à l’avenir. Je veux que tu la conserves toujours sur toi, que tu puisses te défendre.
— Mais… Sophie…
Elle sort sa carte bancaire et paie sans me laisser continuer. Je vois un sourire victorieux se dessiner sur son visage. « Je l’ai eu, je lui ai offert une dague ! » doit-elle penser. Le caissier la range dans son fourreau et me la tend.

 Je l’attrape. Tout semble différent. Le monde semble plus terne, plus fade, comme s’il disparaissait. Est-ce la fatigue ? Mes forces quittent mon corps et tout s’est arrêté. Le temps n’avance plus, je suis figé. Plus rien ne semble vivre, comme si l’univers tout entier avait cessé de fonctionner, que nous étions tous pris au piège du tableau peignant notre action sur le moment. Je sens mon sang couler à une vitesse phénoménale dans tout mon corps, mes forces revenir, plus puissantes que jamais, et le temps reprend son cours.
— Alors, c’est étrange comme sensation d’avoir sa première dague, hein ?

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