Chute

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 Direction l’atelier de théâtre, ma plus belle échappatoire. J’ai attendu ce moment depuis le début de la semaine. Je vais pouvoir me changer les idées, oublier mes problèmes, devenir quelqu’un d’autre pendant quelques heures. Je m’empresse d’entrer dans la salle, dépose mes affaires dans l’angle des murs, aussi loin de la scène que possible. Personne n’est encore arrivé, alors je prends le temps de me changer pour enfiler mon costume. Dans ce personnage, je suis un paysan mal-en-point, mendiant tant que possible pour essayer de survivre. Je n’ai ni famille, ni amis, ni vivres, ni richesse. Je rencontre une demoiselle riche qui tombe amoureuse de moi et tente de m’aider avant de pouvoir s’échapper à mes côtés. L’histoire n’est pas rose, l’histoire n’est pas belle mais elle a le mérite d’être drôle.

 La petite troupe arrive, suivie de près par notre metteuse en scène, toujours aussi souriante que d’habitude. La salle est n’est pas très grande et les bureaux sont tous accolés contre un mur, séparant la pièce en deux parties distinctes que nous appelons « entrepôt » et « cinéma ». L’entrepôt nous permet de déposer nos affaires au début du cours, de conserver les éléments qui nous permettent de jouer dans un espace à l’abri des regards. On peut y voir des porte-manteaux qui soutiennent nos costumes, des caisses remplies d’accessoires et des armoires contenant tout l’équipement nécessaire à chacune des scènes. C’est la partie que notre enseignante observe à chaque début de séance, laissant échapper un soupir d’agacement, remarquant que nous n’avons toujours pas pris la peine de la ranger correctement. Comme à son habitude, elle nous demande de tout nettoyer avant de commencer et nous nous exécutons.

 Le « cinéma » est un monde entièrement différent. Il y a une estrade avec des paravents de chaque côté pour créer un semblant de coulisses et nous entraîner à patienter sans discuter. Nous sommes tous équipés d’un microphone que nous accrochons sur notre tenue et des amplificateurs sont installés en hauteur, au-dessus de ce qui devrait être un tableau noir. De cette manière, nous pouvons savoir exactement qui parle à quel moment. Les premiers jours étaient bruyants, mais nous avons appris à être sages et silencieux à force de remontrances. Le tableau, quant à lui, nous a servi de moyen d’expression de nombreuses fois. Les premiers exercices consistaient à ne communiquer qu’avec les objets autour de nous, sans échanger. Je ne suis pas certain de l’intérêt mais il me semble que l’objectif était d’aider la troupe à mieux se connaître, mieux s’appréhender et se faire confiance. C’était efficace ! Au départ, nous avions le droit d’y écrire des mots, puis uniquement des dessins, sans jamais avoir le droit de l’effacer. Alors, ayant trop abusé de celui-ci, il s’est rapidement retrouvé recouvert de dessins et de mots n’ayant plus aucun sens désormais, mais nous avons juré de ne pas l’effacer avant la représentation prévue à la fin de l’année.

 Une fois le désordre rangé, nous pouvons démarrer l’atelier. Un premier exercice d’échauffement nous oblige à nous laisser tomber dans les bras de notre coéquipier. La confiance nécessaire pour cet exercice est incroyable, une mauvaise chute pourrait sévèrement nous blesser. Je ne peux pas me permettre de me faire mal, je ne dois pas oublier ma mission lors de la pause repas. J’essaie de faire attention et de croire en la vigilance de ma partenaire que je connais depuis des années, mais le démarrage est assez compliqué. On décide d’échanger et je la vois plonger dans mes bras avec aisance, un sourire se dessinant sur son visage.
— Cette sensation est incroyable ! Je me sens légère, j’ai l’impression de planer et d’atterrir dans les bras de mon bien-aimé. Je suis heureuse, c’est étrange.
Que dis-tu, Sophie ? Es-tu en train de rêver ou la sensation de chute est réellement si attrayante ? Je décide de me laisser faire, moi aussi. Je me tourne dos à elle et ferme les yeux. Je balance mon corps en arrière lentement, perdant l’équilibre à mesure que le temps défile. La peur monte, mon cœur s’emballe. Une force invisible m’attrape avec de grands bras puissants, me tire avec une facilité déconcertante. Je ne subis plus mon poids, je tombe et j’ai l’impression de mourir. Cette sensation est si agréable, je flotte dans les airs, je chute et m’arrête lorsque je rencontre un corps étranger qui me tire de mes rêves. Il s’agit des bras de Sophie. Elle est là pour moi, elle me retient et protège ma vie. Je souris, à mon tour. Je ne suis pas seul et je pense avoir trouvé quelqu’un qui pourrait me donner la force de continuer.
— Alors, James ?
— Tu as raison, Sophie. C’est incroyable.
— Tu as la sensation d’être léger, toi aussi ?
— J’ai eu l’impression de m’envoler, d’être soumis à un être invisible qui pouvait contrôler mon corps comme bon lui semblait .
— J’ai ressenti la même chose. Et puis…
— Et puis une personne t’a sortie de tes rêves, t’a arrachée de ta chute.
— C’était toi.
— C’était moi, oui.

 Nous échangeons un regard et nos corps s’enlacent. J’attrape son visage entre mes mains et colle mon front contre le sien. Elle murmure des mots que je ne comprends pas. Voyant mon regard perdu, ses lèvres bougent à nouveau.
— Tu me fais confiance ?
J’acquiesce sans réfléchir. Je lui fais confiance comme je n’ai jamais réussi de toute ma vie. Tout devrait me faire douter, mais je sais qu’elle ne me trahira pas, jamais. Je la vois sourire à nouveau, fermer ses yeux et se rapprocher lorsque le reste de la troupe nous interrompt.
— La fête est finie ! En place, on a une pièce à répéter !
Elle sursaute et moi aussi. Une autre fois, Sophie, nous aurons d’autres occasions comme celle-ci. En attendant, je m’éloigne et elle aussi. Je vois un début de larmes apparaître dans ses yeux qu’elle essuie immédiatement. Ses joues deviennent roses lorsqu’elle se rend compte que je la fixe avec des yeux doux et que j’ai remarqué son changement d’état soudain.

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