Obéissance

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 Je me déplace pour prendre le bus et rentrer chez moi, mais il est en retard. L’air est glacial et mes doigts n’arrivent plus à bouger. Je suis incapable d’écrire un message sur mon téléphone. Va-t-il penser que je l’ignore, ou va-t-il attendre que je rentre chez moi ? Je ne veux pas l'ignorer et continuer à perdre mes proches, mais mes mains n’obéissent plus à mes ordres. Le bus arrive et je m’empresse de rentrer dedans. Il est étonnamment vide. Mon cœur bat à une vitesse vertigineuse, je voudrais faire accélérer le temps, me téléporter chez moi, finir cette journée, pouvoir répondre à ce message et protéger mon entourage.

 La météo est d’humeur maussade également et la pluie se met à tomber par trombes d’eau dès lors que le trajet est terminé. En l’espace de cinq minutes, mes habits sont suintants, mon visage ruisselle et mes cheveux dégoulinent sans jamais s’arrêter. Je cours dans ma maison en direction de ma chambre pour me changer. Le carrelage de l’entrée me fait glisser et je chute, manquant de m’ouvrir le crâne sur le porte-manteau. Je me relève difficilement, les jambes endolories par la chute et les pieds glissants à cause de l’humidité qui s’est infiltrée dans mes chaussettes. Je continue mon périple dans mes escaliers en essayant d’être à la fois rapide et prudent pour ne pas me blesser. J’arrive à destination sans encombre et me déshabille en quelques mouvements, avant d’enfiler mon kigurumi favori, le koala. Je me jette sur mon lit et saisis mon téléphone.
— Que voulez-vous ?
— Ton obéissance.
— Vous êtes fou.
— Mais je contrôle ta vie. Incroyable, non ?
— Vous n’êtes qu’un monstre, qu’un meurtrier.
— Je pourrais rapidement me froisser, si tu continues. Mais que peux-tu faire contre moi ?
— De nombreuses choses, laissez-moi simplement le temps, je me vengerai.
— Hahaha. Ne sois pas si sûr de toi, chéri. Tu pourrais certes me retrouver, mais j’en doute... et que ferais-tu ? Tu n’as même pas été capable de sauver ton ami, alors que tu en avais largement la possibilité. Avec un tel niveau de médiocrité, oses-tu seulement espérer pouvoir m’atteindre ? Oses-tu réellement me défier ?
Et si je peux me permettre, le seul meurtrier est celui qui laisse son ami mourir sans essayer de le sauver.
— J’ai essayé, c’était impossible !
— Tu n’as pas essayé, c’était possible. Il ne m’aurait fallu qu’une minute pour le sauver.
Je coupe mon téléphone et le lance à travers la pièce. Il s’écrase sur le canapé de l’autre côté de ma chambre sans se briser. Je m’allonge dans mon lit pour me reposer lorsque je vois une lettre se glisser à travers la fenêtre que j’ouvre par réflexe, mais il n’y a personne dehors, je ne vois rien.
Tu penses vraiment que tu peux échapper à la réalité en éteignant simplement ton téléphone ? Quelle jolie preuve d’innocence... ou de naïveté, qui sait ? Peut-être prends-tu même plaisir à voir tes proches mourir un à un ?

 Je me rue dehors pour voir qui se cache derrière ce numéro, mais ne vois personne. Suis-je en train de devenir fou, ou possède-t-il un pouvoir que je ne connais pas encore ? Il faut que je trouve une réponse à cette question pour avoir une chance de rivaliser, d’avoir l’occasion de le détruire et de me sortir de cet enfer. Je vais lui obéir, obéir jusqu’à ce que cette chance se présente. Je rentre en prenant soin de verrouiller la porte d’entrée puis retourne dans ma chambre pour répondre à son message.
Très bien, je ferai ce que vous voudrez.

  Mes sentiments sont bouleversés et je ne sais plus quoi penser. Je n’ai qu’une idée en tête : sauver mes proches et me libérer de ce chantage. Je m’installe à mon bureau pour travailler, mais mes yeux font des va-et-vient entre les exercices et mon téléphone, vide de notifications. Je me laisse surprendre par la porte d’entrée qui claque, suivie d’un « C’est moi, Jamesounet ! »

 Pitié maman, arrête avec ce surnom ridicule. Le bruit de ses talons résonne dans l’escalier alors qu’elle le monte, marche après marche. Je ne sais pas comment elle fait, ma mère. C’est une personne forte, abandonnée par son mari dès qu’il a appris qu’elle était enceinte de moi, je n’ai jamais pu le connaître. Elle a malgré tout tenu à me garder et à m’élever malgré l’adversité. Mes grands-parents ne veulent pas entendre parler de mon existence, ils considèrent que je suis une erreur de parcours et que j’ai complètement détruit la vie de ma mère. Elle n’a jamais essayé de trouver quelqu’un d’autre pour l’accompagner, elle est restée seule toute sa vie, à subvenir au mieux à mes besoins pour que je puisse être heureux.

 Pourtant, elle est charmante, ma mère. Un joli mètre soixante-dix, des cheveux d’un roux resplendissant, les yeux bleus et des lunettes rondes qui glissent souvent sur son nez. Elle rougit et sourit à chaque fois qu’elle doit les remettre en place, ce qui lui vaut d’être très populaire auprès de la gente masculine. Plutôt fine, toutes les robes lui vont à merveille, les rares occasions où elle a accepté d’en porter, tout le monde la complimentait et je la trouvais sublime. Elle a pourtant toujours refusé les avances de ses prétendants. Je ne sais pas si c’est ma faute ou si elle a peur de s’engager dans une nouvelle relation, mais nous n'échangeons jamais sur cet aspect de sa vie, elle détourne constamment la discussion. J’ai arrêté d’essayer de comprendre, à force.

 Je regarde à nouveau mon téléphone, aucun message reçu. La porte s’ouvre. Je vois ma mère, les yeux brillants d’inquiétude.
— Mon chéri, comment tu vas ? J’ai appris pour ton meilleur ami, c’est horrible. Je suis fière de toi, fière de ce que tu as essayé de faire.
— Ne t’inquiète pas pour moi, maman. Tout va bien.
— Tu peux tout me dire, tu le sais mon chéri ?
— Je sais maman, merci.
— Je te laisse travailler, alors. Tu descends manger quand tu as fini ?
— Oui, d’ici trente minutes.
Elle sourit et dépose un baiser sur mon front, avant de sortir de ma chambre en prenant soin de refermer la porte. Elle sait que tout ne va pas bien, mais elle a tout de suite compris que j’avais besoin de temps seul, sans expliquer ce que je ressens à quiconque.

 Je regarde encore mon téléphone, toujours aucune notification. Mon cœur s’emballe et le stress monte. Que prépare-t-il ? N’est-il pas satisfait de ma réponse ? Va-t-il encore s’en prendre à l’un de mes proches ? Je respire profondément pour me calmer, sans succès. Je range mes affaires et m’allonge sur mon lit, alors que j’entends une vibration. Je panique et attrape mon téléphone trop brusquement, le faisant tomber au sol. Je le ramasse et regarde la notification. Clash of Clous – Offre exceptionnelle : -10 % sur tous les packs ! Encore une maudite pub pour l’un de leurs packs à plus de cent euros qui n’apporte rien au jeu déjà pauvre en contenu.

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