Ni ciseaux, ni couteau

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 Mon temps est limité, je n’ai pas le loisir de réfléchir. Je fais tout ce que je peux pour le détacher, mais je réalise que mes outils tranchants sont restés chez moi. Je n’ai ni ciseaux ni couteau et les liens sont trop serrés. Je suis en incapacité totale de les défaire dans un délai si court, la tâche est impossible.

Mon meilleur ami reste silencieux, il n’ouvre même pas les yeux. Un silence pesant s’est installé. Des questions s’enchaînent dans ma tête, peut-être sait-il qu’il est attaché ici par ma faute ? S’il le savait, il m’en voudrait sûrement. Je dois me ressaisir, il essaie simplement d’ignorer le moment présent et attend calmement sa fin. Mais je refuse, je ne te laisserai pas mourir. Je suis présent, et j’essaie de détacher ces liens qui t’enchaînent, qui te retiennent prisonnier, ces liens qui pourraient bien être les derniers.

 Je perds du temps, mes doigts tremblent, la panique envahit mon corps et je suis incapable de la contrôler, de la calmer, de me calmer. Je sais que le temps défile, mais je refuse de le regarder, de voir la mort se rapprocher de lui à grande vitesse. Au fond de mon être, je sais que je n'aurai jamais le temps de le détacher, mais je veux essayer, je veux réussir, je ne peux pas l’abandonner.

 Il ouvre les yeux et regarde en direction du train qui apparaît à l’horizon. Est-ce vraiment la fin ? N’y a-t-il aucune solution pour le sauver ? Son visage terrorisé se retourne et m’observe. Aucun son ne sort de sa bouche, aucune larme. Le mien est trempé et n’arrête pas de perler à mesure que l’engin motorisé se rapproche, à mesure que la faucheuse brandit son arme. Le temps s’arrête, les secondes ne défilent plus, le train n’avance plus. Plus rien n’existe autour de moi, plus rien sauf mon meilleur ami. « Je t’aime », je voudrais lui dire. J’aimerais lui avouer qu’il a rendu ma vie plus joyeuse toutes ces années, qu’il n’a pas le droit de s’en aller et que je vais le sauver. Mais j’ai perdu espoir et lui aussi. Mes mains tremblent comme elles n’ont jamais tremblé. Mes mains tremblent pour me signifier que la mort se rapproche de nous deux pour nous emporter dans l’au-delà. Mes mains tremblent pour me rappeler qu’il ne me reste que quelques secondes pour m’éloigner des rails. Le bruit strident des freins du train déchire le silence pesant sur nous et déchire nos tympans. Ce bruit détruit mon cœur à mesure qu’il s’approche pour ôter la vie de mon meilleur ami.

 Je n’avais jamais vu son visage aussi grave. Un visage rempli de tristesse, lui qui est habituellement si serein. Ses lèvres essaient de me dire merci, de me dire adieu. Tout est fini, je n’arriverai pas à le détacher et je vais devoir m’éloigner pour ne pas me faire enlever également. Mais je pourrais me laisser mourir pour terminer cette souffrance avant qu’elle ne commence. Que pourrait-il faire si je venais à mourir ? Détruire ma famille et mes amis encore vivants ? Je ne peux pas prendre le risque. Je recule, à contrecœur, mais ne peux pas détourner le regard. Une seconde… deux… trois… le temps passe si lentement lorsqu’on refuse de voir les événements. Ce train me torture, freine à en détruire mon audition, mais ne pourra jamais l’éviter. Seul le temps est ralenti, la durée de la douleur qui m’est infligée avant de voir la mort l’emporter. Tout est fini, il va se faire percuter… je hurle mon désespoir, son corps s’envole, laissant une trace de sang sur le sol.

 Une scène de massacre. La peinture délavée du train mélangée au sang frais donne une impression de film post-apocalyptique. On peut voir les différents membres du cadavre sur des centaines de mètres, un pied encore accroché aux rails, la tête, les bras, le corps séparés. Je ne peux pas observer ce carnage, je ne veux pas ! Pourquoi n’ai-je pas pu le sauver, pourquoi suis-je si mauvais ? Qu’ai-je fait pour que la vie s’acharne sur moi en une seule journée ? Certains de mes amis parleraient de ma « journée malchance mensuelle », car il est vrai qu’une fois par mois, tout ce que j’entreprends échoue. Mais une journée malchance n’est pas censée être violente, elle n’est pas censée ôter la vie de mes amis ! Plus loin, le train s’est enfin arrêté. Trop tard pour éviter ma peine, trop loin pour ne pas interrompre sa vie.

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