VII - Monsieur Bonheur : Troisième consultation

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Cécile patientait. De moins en moins calme, de plus en plus fébrile. Elle attendait ses seuls visiteurs de la semaine. Et une exaltation étrange avait pris possession d’elle. Parce qu’elle n’avait toujours pas vu Monsieur Bonheur. Parce que Clarisse la concierge folle rappliquerait dans quelques instants, et qu’elle ne pouvait absolument pas justifier l’absence de celui qu’elle assimilait à présent à une chimère. Monsieur Bonheur n’existait pas. Point final. Mais elle ne parvenait pas à expliquer sa propre présence dans ce cabinet. Elle tenait son poste sans employeur. Et elle patientait avec au creux du ventre l’espoir que Maxence passerait le seuil de la porte.

Clarisse était comme de coutume arrivée la première. Et comme de coutume elle avait commencé à crier. A hurler. A insulter. A fracasser les esprits de sa rancœur.

Mais aujourd’hui elle se sentait plus malheureuse que d’habitude encore. Alors elle fut plus méchante. Et elle ne voyait pas, aveuglé par son propre mal-être et sa fureur, ses mots se fracasser avec violence contre Cécile. Elle ne vit pas les barrières s’effondrer, ni le dos se voûter sous le poids des reproches. Elle ne perçut pas la cassure chez l’autre, qu’elle s’échinait, sans en avoir conscience, à agrandir à chacun de ses cris. Clarisse ne vit rien de tout cela jusqu’à ce que les larmes s’invitent sur les joues de la blonde.

Et elle se tut.

Mal à l’aise devant les sanglots terrifiants de l’autre, incapable de ressentir cette joie malsaine qu’elle avait finie par apprécier lorsqu’elle réussissait à détruire. Elle se sentait mal, désarçonnée, cruelle et impuissante. Elle se dit qu’elle n’avait pas voulu ça. Mais il était trop tard maintenant. Clarisse entendit vaguement la porte s’ouvrir derrière elle, absorbée par le spectacle de cette femme pleurant comme jamais derrière son comptoir.

Mr Robert ne bougeait plus. Mr Robert n’avait que très rarement vu une personne de sexe féminin pleurer à chaudes larmes. Et pour cela, il s’estima totalement dépassé par la situation. Alors il ne bougea plus d’un pouce, paralysé dans l’ombre de la femme extraterrestre. Il sentit à peine la porte se rouvrir dans son dos. Et le môme se glissa devant lui. Puis, de son pas léger, il contourna la montagne Clarisse et se pencha sur la fontaine humaine.

_Si tu pleures trop, tu vas te dessécher avant même d’être vieille.

Et Max enroula ses petits bras autour des épaules tressaillantes.

Cécile leva les yeux sur la bouille d’ange perchée au-dessus d’elle. Et elle se dit qu’ils n’avaient plus rien à attendre ici. Qu’il était temps de sortir de ce huis clos étrange qu’ils avaient créé, qu’ils avaient cimenté de malheur et rempli de leur passif trop lourd. Cécile se dit qu’elle avait besoin d’air. Elle essuya ses larmes à la va vite et saisie cette main tendue que lui offrait Max. Une fois debout elle encra son regard dans celui de Clarisse.

_ Partons d'ici.

Et Clarisse acquiesça sans piper mots. Elle se tourna sur Monsieur Robert qui décida qu’il suivrait bien encore un peu cette étrange bonne femme, et ils quittèrent tous les quatre la lugubre salle d’attente.

Lorsqu’ils débouchèrent sur la rue, il y avait toujours autant de monde. Il y avait des cris, des rires, des joies, des peines et tout un tas de vie dont ils étaient toujours exclus. Il y avait le fourmillement du monde qui s’étalait devant leurs yeux. Et Max en tête, ils marchèrent quelque temps ensemble. Et ils se sentirent plus légers d’avancer ainsi. Ils n’étaient toujours pas très à l’aise dans cette marée humaine, mais leur radeau tiendrait le coup cette fois. Parce qu’ils étaient quatre et que le malheur se partageait au même titre que le bonheur. Lorsqu’ils s’arrêtèrent, ils étaient dans un square inconnu, quelque part dans la ville. Devant eux se dressait la statue d’un homme qui certainement avait dû faire de grande chose. Mais aucun d’eux n’en avait cure. La nuit recouvrait lentement les alentours et la lune ne tarderait pas à poindre. Le gosse se glissa entre Cécile et Clarisse et passa ses menottes dans les leurs. Hésitant de prime abord, Monsieur Robert se saisit finalement du poignet un peu gras de l’Alien qu’il suspectait être finalement parfaitement terrestre.

Et ils goutèrent en silence au réconfort de ne pas être seuls.

Dans le cabinet miteux du psychologue, la porte du bureau grinça sur ses gonds. Elle s’ouvrit lentement et un labrador, deux chats et trois pigeons en sortir tour à tour. Ils s’arrêtèrent un temps dans la salle d’attente, se félicitant mutuellement de cette éclatante réussite. Puis, les politesses achevées, s’en retournèrent respectivement chez eux, se promettant toutefois de donner régulièrement des nouvelles :

Leurs humains auraient certainement encore besoin de l’aide toute animale de Monsieur Bonheur.

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