les rencontres (suite)

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Elle roula jusque chez elle, et se dépêcha de s’enfermer dans son appartement. Elle n’avait jamais autant regretté de vivre seule. Ils savaient probablement où elle habitait, qu’est-ce qu’elle ferait s’ils décidaient de lui rendre visite ? Elle ferait peut-être mieux de partir, d’aller à l’hôtel. Mais ensuite ? Demain, elle devra se rendre au travail. Et puis elle n’allait quand même pas se laisser chasser de chez elle aussi facilement. Elle souhaita de toutes ses forces que tout ça ne soit pas réel, que ce soit juste le produit de son imagination. Mais elle n’arrivait pas à se convaincre, elle sentait au plus profond d’elle-même qu’ils étaient là pour elle.

Elle resta cloîtrée chez elle tout le reste de la journée, s’attendant à les voir débarquer d’une minute à l’autre. Pendant la nuit, elle se réveillait en sursaut toutes les heures, un couteau dans une main, et le téléphone dans l’autre. Au petit matin, elle se leva, fatiguée comme si elle n’avait pas dormi du tout. Elle se força à effectuer les mêmes gestes que tous les matins, et partit au travail, en scrutant partout autour d’elle pour vérifier qu’ils n’étaient pas là.

Elle commença sa tournée des malades comme tous les jours, ce qui la calma un peu. Ce qui d’habitude était une routine un peu ennuyeuse, devint une routine sécurisante. Puis ici, elle était entourée, elle ne risquait rien. Mais alors qu’elle sortait d’une chambre, son cœur s’emballa de nouveau quand elle vit les cinq hommes au bout du couloir. Quand ils l’aperçurent, ils avancèrent d’un même pas, les yeux fixés sur elle, ignorant tout le reste. Ils ne firent même pas attention quand Marcy leur demanda si elle pouvait les aider, en minaudant et souriant d’un air séducteur. Sayana se demanda ce qu’elle devait faire, partir en courant ou au contraire aller à leur rencontre ? S’ils lui voulaient du mal, ils ne viendraient tout de même pas en pleine journée dans un hôpital bourré de monde. Pendant qu’elle se faisait cette réflexion, elle ne put s’empêcher de s’étonner de l’effet que ça lui faisait, de voir ses hommes plus beaux les uns que les autres, marcher d’un pas viril le long de ce couloir. Elle sentit quelque chose se combler en elle. Elle ne comprit pas tout de suite ce que c’était, puis réalisa, que c’était comme si son attente était finie. Comme si la chose qu’elle attendait depuis un an, sans savoir ce que c’était, c’était eux, ce groupe d’hommes qui lui voulait peut-être ou peut-être pas du mal.

Avant qu’elle ait pu décider quoi faire, ils l’avaient rejointe. Ils ne semblaient pas le moins du monde, menaçants, au contraire, ils avaient plutôt l’air nerveux. Sayana les dévisagea, les uns après les autres, retrouvant dans chacun d’eux le fameux regard qui la laissait perplexe. Même chez les deux hommes qu’elle n’avait pas approchés avant.

- Qui êtes-vous ? Et pourquoi vous me suivez ? demanda-t-elle avant qu’ils ne puissent ouvrir la bouche.

- On ne te veut pas de mal, commença l’homme qui l’avait abordée au supermarché.

- Je crois qu’on t’a fait peur, mais ce n’était pas notre intention, continua celui avec le chien.

- Dans ce cas, il ne faut pas suivre les gens, répliqua Sayana énervée.

- Nous sommes désolés, normalement, tu n’aurais pas dû nous voir, dit l’un des hommes qu’elle ne connaissait pas.

- Dans ce cas, vous êtes vraiment nuls pour vous cacher, parce qu’il y en a trois d’entre vous qui êtes venus me parler, dit Sayana.

- Ces idiots n’ont pas résisté à l’envie de venir te voir, expliqua l’homme.

- Pourquoi ? Vous ne me connaissez pas. Qu’est-ce que vous me voulez ?

- On veut juste te protéger, dit l’homme de la maison de retraite.

- Me protéger de quoi ?

- On pourrait peut-être aller en parler ailleurs ? demanda l’homme du supermarché.

- Non, je reste là où il y a du monde, je ne sais pas qui vous êtes, et pour l’instant, vous ne m’avez rien dit qui me pousse à vous faire confiance.

Ils hochèrent la tête, d’accord avec elle.

- Alors ? vous êtes supposés me protéger de quoi ? reprit Sayana.

- D’un homme. En fait, c’est plus qu’un homme normal, il te cherche pour te faire du mal, dit l’homme avec le chien.

- Pourquoi il me voudrait du mal ? Et qu’est-ce que ça veut dire, c’est plus qu’un homme ?

- C’est un puissant sorcier, dit l’homme qui n’avait pas encore parlé. Il a déjà tué ma femme et leurs petites amies. Et maintenant, il en a après toi.

- C’était ma femme, et la mère de mon fils, précisa l’homme du supermarché à celui qui parlait.

- C’était aussi la mère de mes enfants, ajouta celui-ci.

- Ça n’a pas d’importance, coupa l’homme avec le chien. Elles comptaient autant pour nous qu’on soit marié ou non.

- Je suis désolée pour vos petites amies ou vos femmes, compatit Sayana, mais je ne vois pas le rapport avec moi. Et qu’est-ce que vous entendez par sorcier ?

- Exactement ce que tu penses, un type très méchant avec des pouvoirs magiques.

- Ouais bien sûr. Vous avez décidé de vous ficher de moi, dit Sayana incrédule.

- Je t’assure que c’est la vérité. Il y a toutes sortes de choses qui existent dans ce monde, que tu ne soupçonnes même pas.

- Ce n’est pas drôle, vous me faites perdre mon temps.

- Tu dois nous croire, il est très dangereux.

- Vous pensiez vraiment que vous pourriez venir me raconter vos salades et que je vous croirais comme ça. Je dois vraiment avoir l’air d’une débile alors. Vous allez me laisserz tranquille, sinon j’appelle la police, et je ne plaisante pas, menaça-t-elle en se forçant un passage entre eux.

- Attends…

- Non, dit-elle en se retournant vers eux. J’ai du travail, et à cause de vous, je suis crevée parce que je n’ai pratiquement rien dormi de la nuit, vous devez être contents. Maintenant s’il vous plaît, vous allez jouer avec quelqu’un d’autre. Partez et oubliez-moi.

Elle les planta là sans se retourner. Pour qui ils se prenaient ? Ils lui foutaient une peur bleue, pour venir ensuite lui raconter un tas d’inepties. Elle ne savait pas ce qu’ils cherchaient au juste, mais elle n’allait pas tomber dans le panneau. Un sorcier qui voulait la tuer. Et puis quoi encore ? Elle aimait bien les histoires de sorciers dans les livres, mais elle savait qu’ils n’existaient pas dans le monde réel. Et de toute façon pourquoi quelqu’un voudrait la tuer ? Elle n’avait jamais rien fait dans sa vie bien tranquille, qui puisse le justifier. Elle resta dans la salle de pause le temps de se calmer, et quand elle ressortit, ils n’étaient plus là.

- Tant mieux, se dit-elle. Pourtant, elle ne put s’empêcher d’être un peu déçue.

- Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Je devrais être contente qu’ils ne soient plus là, c’est ce que je voulais. Alors, pourquoi j’ai envie de les revoir ? Je ne peux pas leur faire confiance, pourtant je n’ai jamais ressenti ce que j’ai ressenti pendant que j’étais avec eux. J’avais l’impression d’être enfin entière. C’est officiel, je suis complètement folle.

Elle se remit au travail, ignorant le regard curieux de ses collègues, mais elle n’arrivait pas à se concentrer.

La fin de son service arriva enfin. Elle voulait rentrer chez elle pour réfléchir tranquillement à tout ça, mais d’un autre côté, elle n’était pas rassurée. Ils n’avaient peut-être pas renoncé à leur blague stupide, et la prochaine fois ils pourraient aller plus loin. Elle sortit de l’hôpital et monta dans sa voiture. Elle tourna la clé pour démarrer, mais le moteur toussa et refusa d’aller plus loin. Elle recommença encore et encore, mais il n'y avait rien à faire. Cette saleté de voiture était en panne, c’était la troisième fois qu’elle lui faisait le coup cette année.

- Il faut vraiment que je m’achète une autre voiture, pensa-t-elle. En plus il fallait que ça arrive ce soir.

Elle sortit de la voiture, et regarda autour d’elle. Il n’y avait personne qu’elle connaissait. Elle hésita à appeler un taxi, c’était hors de prix, et elle n’habitait pas si loin que ça. En marchant vite, elle pourrait arriver chez elle avant qu’il fasse complètement nuit. Elle se mit en marche en maudissant les hommes qui l’avaient effrayée ; avant ça elle aimait bien la nuit, elle n’avait jamais craint d’être dehors à cette heure-là.

Ça faisait une demi-heure qu’elle marchait, la nuit tombait plus vite qu’elle ne l’avait pensé, heureusement, elle n’était plus très loin. Elle accéléra le pas quand elle se rendit compte qu’il y avait presque plus personne dans les rues. Elle n’avait plus qu’à traverser le petit parc, et son appartement était à un pâté de maisons. Elle courait presque sur le chemin de gravier bordé d’arbres, du parc, quand la silhouette d’un homme s’immobilisa à une cinquantaine de pas devant elle. Elle s’arrêta en l’observant. Il se tenait face à elle, dans l’ombre d’un grand chêne, et elle eut l’impression d’avoir déjà vécu ce moment. Elle fut envahie par la terreur, persuadée qu’elle allait mourir si elle restait ici. Elle allait faire demi-tour en courant aussi vite qu’elle le pouvait, mais quelqu’un se jeta sur elle en la plaquant au sol avant qu’elle ait pu faire un geste. Un arbre s’écroula avec un grand bruit, à l’endroit où elle se trouvait une seconde plus tôt.

- Tu n’as rien ? demanda la personne qui l’entourait de ses bras.

Elle tourna la tête et vit que c’était le jeune homme de la maison de retraite.

- Non ça va, répondit-elle.

En fin de compte, ils n’avaient pas renoncé à la suivre, bien qu’elle leur avait demandé, et elle s’en réjouit. Elle regarda vers l’homme qui lui avait tendu une embuscade, et vit que ses quatre autres sauveurs se battaient avec lui. Ils étaient rapides et, à première vue, ils avaient de l’expérience dans le combat, mais le sorcier était encore plus rapide, et se servait de ses pouvoirs pour les propulser loin de lui. Puis, il y eut une lumière blanche, et il disparut. Sayana n’en crut pas ses yeux.

Le jeune homme l’aida à se relever, pendant que les autres les rejoignaient et demandaient tous ensemble.

- Ça va ?

- Tu n’es pas blessée ?

- Je vais bien, grâce à vous, les rassura Sayana. Vous ne m’aviez pas menti alors, ajouta-t-elle encore sous le choc.

- Non, désolé.

- Vous pourriez me ré-expliquer en détail ce qu'il se passe s’il vous plaît ?

- D’accord, mais on ne devrait pas rester là, le bruit a dû attirer des gens qui vont rappliquer d’une minute à l’autre.

Elle hocha la tête, et les suivit.

- Alors qui c’était exactement ce sorcier ? demanda Sayana.

- Il s’appelle Feejin. C’est le plus puissant sorcier qu’on n'ait jamais rencontré.

- Et pourquoi est-ce qu’il veut me tuer ?

- Nous ne le savons pas exactement. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il y a un an, il s’est mis à assassiner nos petites amies une par une. Depuis on le pourchasse, mais il nous file à chaque fois entre les doigts.

- Mais pourquoi moi ? Je ne le connais pas, je ne lui ai jamais rien fait. Comment vous avez su qu’il s’en prendrait à moi ?

- Ça, c’est la partie de l’histoire que tu vas avoir du mal à croire.

- Parce que cette partie était simple peut-être ?

- Disons que ce n’était rien à côté du reste.

- Je ne vois pas comment ça pourrait être pire.

- Commençons par le début. Si on te disait que nous te connaissons tous très très bien, tu nous croirais ?

- Je ne vois pas comment.

- Pourtant c’est le cas. Nous ne t’avons jamais rencontré en personne, mais c’est comme si.

- Je ne comprends rien.

- Est-ce que tu connais la théorie qui dit qu’il n’y aurait pas qu’un seul monde, mais plein de dimensions parallèles qui se chevaucheraient ?

- Oui je l’ai déjà entendu. Tous ces mondes seraient pratiquement identiques, sauf pour certains détails qui seraient divergents selon les choix que certaines personnes auraient fait. Mais ce n’est qu’une théorie, elle n’a jamais été prouvée.

- Pourtant c’est réel. Nous venons tous d’une dimension différente.

Sayana les regarda s’attendant presque à ce qu’ils s’écrient « On t’a bien eue ». Mais ce ne fut pas le cas, ils la regardaient tous avec sérieux.

- C’est impossible, lâcha-t-elle enfin dans un souffle.

- C’est assez dur à réaliser, ça nous a fait la même chose au début. Tu tiens le coup ?

Elle hocha la tête.

- Je ne suis pas encore sûre de vous croire. Mais continue.

- D’accord, le reste aussi va te surprendre. Donc, tu sais qu’on a presque tous une sorte de double dans chaque dimension. Toi également. Et tous tes doubles, étaient une de nos femmes.

Sayana eut presque envie de lui rire au nez, mais soudain, elle se souvint de leurs regards, et tout d’un coup, elle comprit ce qu’ils exprimaient. C’était l’amour, la joie de revoir celle qu’ils aimaient en vie. Et c’est pour ça qu’ils n’avaient pas su résister à l’envie de venir la voir. Mais elle n’était pas elle, pourtant, elle avait bien senti quelque chose de spécial, cette attirance bien plus que le simple désir physique qu’elle éprouvait pour eux.

- Je sais que c’est dur à croire, mais chacun de nous connaît la vraie Sayana. Tes réactions, tes gestes, ta personnalité. Je suis sûr que comme les nôtres, tu ne laisses personne voir à travers ta carapace, mais avec nous, elles s’étaient ouvertes. Tu dois nous faire confiance.

Sayana réfléchit encore quelques secondes.

- Tout ça a commencé il y a un an ?

- Oui, confirma l’homme du supermarché. Ma Sayana est morte il y a six mois, la sienne (il désigna l’homme avec le chien) il y a trois mois, lui (il désigna l’homme de la maison de retraite) il y a neuf mois, et ça fait un an pour lui (il montra l’homme qui disait avoir des enfants avec sa Sayana).

- Toi, tu n’avais pas de Sayana, dit-elle au dernier homme qui n’avait pas été désigné. Je veux dire pas comme pour eux, tu es son frère (elle montra l’homme avec le chien).

- Oui, répondit-il, surpris. Sayana était comme une sœur pour moi.

Sayana hocha la tête, elle sentait bien en le regardant que ce n’était pas les mêmes sentiments qui les unissaient. Puis elle continua avant qu’ils puissent lui demander comment elle le savait.

- Je peux vous demander comment elles ont été tuées ?

- Elle a été brûlée, répondit l’homme dont la Sayana avait été tuée en premier.

- Moi, elle a été empoisonnée, dit l’homme de la maison de retraite.

- Poignardée, dit l’homme avec le chien.

- Et noyée, répondit Sayana à la place du dernier homme.

- C’est ça, confirma celui-ci. Comment…

- Il y a un an, j’ai eu une sorte d’allergie qui m’a couverte de plaques rouges sur tout le corps, mais on n’a jamais trouvé d’où ça venait. Plus tard, je suis tombée malade comme jamais je ne l’avais été, mais les médecins ne trouvaient aucun virus dans mon sang. Ensuite, j’ai cru que j’avais de l’asthme quand une fois, je n’arrivais plus à respirer, mais ça ne s'est jamais reproduit. Puis il y a trois mois, j’ai eu une douleur au thorax qui ne m’a pas quittée pendant plusieurs jours, pas d’explication non plus.

- Tu as ressenti les effets de leurs morts, dit le frère de l’homme avec le chien, abasourdi. On dirait bien.

- Tu es Matt n’est-ce pas ?

Il hocha la tête.

- Et toi, continua-t-elle en s’adressant à son frère, tu t’appelles Aïdan. Derek (à l’homme du supermarché), Chris (à l’homme de la maison de retraite), et Zaine (au dernier).

Ils acquiescèrent tous, c’était à leur tour de ne plus comprendre.

- Comment tu peux le savoir ?

- Je dois vous montrer quelque chose. Il se peut que je me trompe totalement, mais après tout ça, ça m’étonnerait.

Elle les conduisit chez elle. Une fois arrivée, elle alluma son ordinateur, et expliqua.

- Depuis environ un an, je me suis mise à écrire des histoires. Quatre pour être exact. D’abord une avec comme héros, un homme qui s’appelle Zaine, puis une avec un Chris, puis avec un Derek et la dernière avec un Aïdan, et Matt comme frère d’Aïdan. Mais c’était toujours à peu près la même héroïne, pour l’instant j’avais laissé mon prénom, parce que je n’en trouvais pas d’autre qui convenait. Elles ne sont pas finies, parce que je n’arrive à voir la suite, je ne sais pas pourquoi, je bloque. Je ne les ai jamais montrées à personne, mais je pense que vous les connaissez déjà.

- Tu penses que tu as écrit nos vies ? Nos histoires avec toi, enfin avec les Sayana ? dit Aïdan.

Sayana haussa les épaules.

- A vous de me le dire.

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