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« Un jinmeken, se dit-elle, je suis un jinmenken ! Je peux sans doute parler, si je m’y emploie, si je me force, m’efforce de ne pas aboyer. Mais que diront mes chers parents ? Je ne suis plus que chimère ! Suis-je encore leur fille, malgré tout ? Comme j’ai honte d’être ainsi, de ne plus pouvoir me présenter à eux. Suis-je vouée à errer ? Et comment vais-je vivre ? Mais ce sont mes parents, ils devraient m’aimer, non ? »

Toutes ces pensées défilent dans la tête de Yumi qui ne sait que faire, mais, d’un pas lent, se dirige vers son village tandis que le temps fraîchit, au kanpuu qui se lève. La nuit, qui pénètre le monde de ses doigts d’ombres, plonge dans l’obscur le cœur des choses et la forêt d’encre noire au loin prend des allures menaçantes, avec ces silhouettes filiformes qui se tordent jusqu’aux cimes tranchantes. Au sol, les fleurs de sakura qu’elle piétine comme des papillons morts couvrent ses pattes rudes de baisers orchidées, à peine une caresse.

Devant sa noka, Yumi verse une pluie de larmes et se couche, docile, sur le seuil de sa porte ; ses pleurs en lamento résonnent au-delà de l’ōdo. Le père, curieux, s’arme de son arquebuse puis, d’un œil acéré regarde, furète à l’horizon pour découvrir ce qui se trame dehors.

Quelle est donc cette musique plaintive, cet étranglement sourd comme il n’en a jamais entendu ?

Alors qu’il achève d’ouvrir la porte, il voit de ses yeux étonnés cette créature de l’impossible, ou bien un chien errant, malade, galeux, qui vient là vivre, dans l’ombre d’une noka, ces derniers instants : voilà qui semble vrai !

Et cette créature, dont il lui semble qu’il a le visage d’une petite fille, d’une petite fille qui dans les ténèbres ressemble à sa petite Yumi, Yumi qui ne devrait pas tarder de rentrer, car le soleil s’éteint, l’appelle papa, difficilement, d’une voix plaintive, étranglée dans un râle de bête ! Et le père frémit ! Frémit jusque dans les chairs ! Frémit de cette ruse d’oni : une menace réelle !

« C’est le démon, hurle-t-il, le démon devant mon ōdo ! »

Et puis, d’instinct, la peur au ventre, il tire dans cette bête une balle fumante, au coin de ses yeux éplorés. Et une seconde, jusqu’à ce qu’elle taise sa lente agonie, ces sons qu’elle étrangle en vain : « Papa, c’est moi ! Papa, me tue pas ! » Et qu’elle étrangle jusqu’à la dernière syllabe : « Papa, je t’aime ! Papa, pitié ! »

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