11. Des circonstances atténuantes

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— Ça te va ça, bébé, comme circonstances atténuantes ?

Abby n'arrête pas de mâchonner son crayon. À croire qu'il y a une pénurie générale de chewing-gums dans tout l'arrondissement.

— Ça va pas l'faire, joli-cœur.

J'aime bien ce petit nom, dans l'écho nasillard de son palais mal-formé. À cause des bagues, parfois, elle postillonne un peu. Pour se retrouver avec une voix pareille et un appareil dentaire à son âge, c'est sûr, on n'a pas dû l'emmener à toutes ses visites médicales quand elle était petite. Qui peut savoir quoi d'autre on lui aurait diagnostiqué...

— Ça va vraiment pas l'faire, insiste-t-elle, comme pour me gronder.

— Pourtant, il va bien falloir que ça le fasse. Un pauvre bambin abandonné à la naissance, ça émeut toujours l'assemblée, non ?

— On dirait ma cousine, tiens ! Elle me répète tout l'temps qu'Adolf Hitler, bébé, ça devait être un ange. Un angelot même, qu'elle dit ! La moustache, ça change un homme, tout ça... C'est complètement con, tu trouves pas ?

— Ce qui est rassurant, c'est que le reste de la famille non plus, a priori, ce sont pas des lumières...

Ses pupilles vexées sautillent dans ses yeux de biche. Au bout du compte, elle se contient. Quelle plaie.

— Ces conneries-là, clame-t-elle, ça prend pas avec moi. Parce que, tu vois, les mômes, ça me débecte. Ils sont là, avec leur petits bras potelés et leur bouche toute baveuse. Il faut être hypocrite pour trouver ça mignon ! Alors moi, Hitler, avec ou sans moustache... Qu'est-ce que t'as à sourire, là ?

Je lui dis ? Je lui dis pas ? Je me tâte.

— On vient encore de se trouver un point commun, Abby chérie. Maintenant, c'est clair et net, t'es la femme de ma vie.

— Enfin, moi les bambins, abandonnés ou pas, ça risque pas de m'émouvoir. Donc jusque là, tes circonstances, c'est un zéro pointé.

Elle m'ignore. La garce. Je les connais, les femmes comme elle. Ça veut vous faire languir. Mais moi, je vois clair dans son petit manège.

— Bon, l'abandon, c'est vrai, c'est peu de choses. Comme je l'ai dit, ma mère, je ne la regrette pas. J'en avais déjà trop avec celle de Christine. Mais la scolarité, alors ? C'est vrai ça, c'est le système qui m'a laissé tomber. Voilà. Je suis une victime du harcèlement scolaire, de l'indifférence du corps enseignant, de la négligence de ma famille d'accueil.

— Arrête-toi là, Poussin. Tu vas me faire chialer.

Avec un tact pareil, c'est invraisemblable qu'elle se retrouve avocate de la défense. Avocate tout court. Mon petit doigt me dit qu'elle aurait mieux fait de devenir greffière. Elle-même devait savoir qu'elle était trop vulgaire pour ça.

Moi, quelque chose me dit qu'elle va me desservir. Avocate commise d'office. Mon cul ! Quelqu'un me l'a collée volontairement, pour bousiller le procès, pour m'enfoncer, pour me faire porter le chapeau pour tout, tout ce que j'ai fait. Pourquoi ? Pourquoi aller jusque là, alors que je suis clairement coupable ? Tellement coupable, et tellement bravache que je ne saurais pas nier.

— Tu veux plaider la folie ? demande Abby en balançant nerveusement son stylo entre ses doigts tordus. J'suis pas très sûre que tu sois dingue, enfin pas toc-toc, quoi. C'est sûr, faut pas être net pour découper le facteur et le garder au congélo. Mais j'mets ma main à couper que c'était pas un coup d'sang. T'avais tout prémédité. Tu l'attendais avec un pied de biche. Ou une clé à molette, je sais plus. Ahah... Putain, sérieux, tu vis dans une partie de Cluedo ou quoi ?

— Si t'es Mademoiselle Rose, moi je serai...

— La ferme. On m'interrompt pas. Tu parles seulement quand j'te pose une question. C'est clair ?

— Tu as posé une question, bébé.

— Joue pas à ça avec moi. Tu savais c'que tu f'sais. T'avais même bouffé des surgelés toute la semaine pour faire de la place, j'en suis sûre. Alors dis-moi, Sung, pourquoi t'as butté le facteur ?

— Ce péquenaud a donné mon colis au voisin.

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