5. Le parloir

2 minutes de lecture

Je déteste l'odeur du parloir. Les murs empestent l'humidité, et les sièges le bois moisi. En levant les yeux, on rencontre le même plafond suspendu que dans tous les bâtiments publics. L'un des coins de la pièce s'est mué en champignonnière renversée. Comme partout ailleurs, une ou deux dalles manquantes découvrent un carreau d'abîme, à peine baigné de mystère. La raison pour laquelle on retrouve systématiquement les faux-plafonds éventrés n'a jamais cessé de m'intriguer. Existerait-il une société secrète, vouée à la collecte d'un carré de polystyrène dans chaque institution du pays ? Auquel cas, comment devient-on membre ?

Le parloir, ses exhalaisons putrides m'empêchent de savourer le doux parfum d'Abby. Mais c'est aussi l'unique endroit où j'ai l'occasion de la voir et, surtout, le lieu de notre rencontre, chargé de souvenirs et d'émotions – je crois.

Un beau matin, il y a deux mois de cela, j'ai reçu une visite que je n'attendais pas. Je n'ai gardé aucun contact avec mes quelques familles d'accueil. Mon seul ami, ce bon vieux Séb, est interné depuis des plombes. Qui aurait pu vouloir me voir ? Abby. Elle m'attendait, de l'autre côté de la table. C'est elle qui a insisté pour qu'on m'ôte les menottes ; mon gardien secouait la tête. D'abord, à cause de son tailleur bon marché et de ses lèvres aguicheuses, grossièrement fardées de rouge, j'ai cru qu'il s'agissait d'une de ces illuminées ; un de ces pauvres petits cœurs déments déterminés à épouser un condamné à mort, comme ça fait le buzz outre-Atlantique. Faute de mieux, l'une de ces pimbêches frustrées se serait tournée vers moi. Pourtant, quand j'ai pris place face à elle, elle a dégainé une paire de lunettes trop sérieuse pour sa face de lycéenne, et a glissé vers moi une chemise en carton qui vomissait la paperasse. Elle m'a tendu la main.

— Bonjour, Sung. Je suis Abby Lamouète, votre avocat commis d'office.

J'aurais dû exploser de rire, sur le coup. À cause de son patronyme à la con, ou de l'appareil dentaire sous ses lèvres de salope. Mais quelque chose me retenait : un relent infernal qui me torturait la gorge, comme si tous mes organes essayaient soudain de se faire la malle, à se bousculer dans mon pharynx.

— Vous allez me faire sortir ?

Abby m'a ri au nez.

— Eh, on s'emballe pas ! Si j'me coltine un cas dans ton genre, t'imagines bien qu'y a une raison... Entre nous, t'es le genre d'ordure qui me fait regretter la peine de mort. Mais bon, qu'est-ce tu veux ? Faut bien mett' du beurre dans les épinards !

Moi aussi, j'ai toujours regretté la peine de mort. L’État a privé ma tragédie de son apothéose. Je n'ai eu ni dernier repas, ni ultime coup de foudre.

— On va pas s'leurrer, hein. Avec ton casier, c'est perpétte assurée ! Au mieux, on peut négocier une cellule confortable, dans une prison avec une salle de sport. 'Fin, c'est pas dit qu'on te laisse circuler, avec les aut' détenus, et tout ça... Vraiment, c'est pas gagné. Tiens, j'ai même jamais gagné un procès !

Elle parlait trop. C'était sûr : elle m'adorait déjà.

Annotations

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0