Lundi matin, dans la cour de récréation, Agatha, Lisa et Romulus étaient assis sous un arbre, en pleine discussion, quand Béatrice et Jacky s’approchèrent d’eux. La petite sorcière se leva et, sans attendre, alla à leur rencontre avec un sourire satisfait.

 — Je voulais te remercier d'avoir mené l’enquête, Agatha, lui lança la jeune gobeline. Même si les résultats ne m’ont pas vraiment plu je… je suis consciente que tu as juste déniché la vérité…

 — Ne sois pas trop sévère avec ton père, lui répondit-elle. C’est Jacky qui avait raison, il n’y a pas mort d’homme.

 — Il n’y a même pas vol d’objet quand on y pense, ajouta cette dernière. Juste un… un gros mensonge.

 — C’est un peu ma faute, je lui ai mis la pression pour avoir cette poupée, soupira Béatrice avec un rire nerveux. Ce n’est qu’un jouet, ce n’est pas si grave…

 — D’autant que ton papa a fait la réservation pour le prochain arrivage, fit remarquer Jacky.

 — Ah, vous êtes au courant ? s’étonna Agatha. C’est pour ça que je suis allée au Broc à jouets et que je suis arrivée en retard, samedi. J'ai prétendu que j'étais ta cousine pour vérifier que ton papa avait pris commande. Il l’a fait le jour même où il est arrivé en retard, ça corroborait ma théorie, mais je voulais garder la surprise.

 — On a eu une grosse discussion, samedi, confirma la gobeline. Avec maman aussi. Il va essayer de déléguer un peu au travail, histoire d'être plus présent. Agatha, vraiment, merci du fond du cœur pour tout ce que tu as fait.

 — Tout le plaisir était pour moi.

 Les deux filles lui sourirent puis repartirent de leur côté tandis que la sorcière retournait vers ses deux camarades de toujours, fière comme un coq.

 — Fais gaffe, tu ressembles un peu à Jérémy, ainsi, fit remarquer Romulus.

 — D’ailleurs, Jacky ne t’a rien dit ? demanda Lisa avec curiosité. Il paraît qu’elle et lui, c’est fini. Ils se sont disputés après que tu aies tout expliqué, je crois qu’il se moquait des Grindriz. Elle lui a rendu la Mortadelle et elle ne veut plus le voir.

 — Ce n’est peut-être pas plus mal, il est parfois horrible, approuva la sorcière en s’asseyant entre les deux.

 — Dis-nous, au fait, comment tu te sens, maintenant que tu es une vraie détective en herbe ? la houspilla le loup-garou.

 — Oh, vous savez, ce n’était pas vraiment une vraie enquête. Je veux dire, personne n’est mort, et finalement, rien n’avait été volé !

 — Justement, c’est ça qui était le plus dingue ! Tu devrais être contente d’avoir résolu cette affaire !

 — Boaf, je me dis que le jour où il y aura un cadavre, et pas un zombie comme Mr Choucroute, un vrai qui ne bouge plus, là ce sera une véritable enquête ! Ici, c’était plutôt une mise en bouche.

 — Alors personnellement, si justement on pouvait éviter qu’il y ait un cadavre et qu’en plus on y soit mêlés…

 La remarque de Lisa les fit tous rire. Même si la sorcière essayait de jouer les modestes, ses deux amis savaient qu’elle était très heureuse d’avoir trouvé la solution de l’énigme avant les autres et d’avoir enquêté à l’image de ses romans préférés. Mais ils étaient surtout heureux de retrouver un rythme normal. Au lundi-loisir, à midi, Lisa les obligea à jouer à échelles et serpents, sans utiliser ceux de la chevelure de Juliette cependant. Ils furent de nouveau attentifs aux leçons données par Mr Mate et la journée se déroula sans plus de péripétie. À la fin des cours, ils prirent le chemin de la maison de Romulus pour y faire leurs devoirs ensemble. Plus personne ne parla de suspect, d’interrogatoire, d’alibi ou de mobile.

 Pourtant, quand Agatha rentra chez elle sur le coup de 18h, elle s’étonna d’un drôle de spectacle sur la table de la cuisine. Miss Marple, son chat, agitait la patte sur une poupée vaudou à la robe de fleurs séchées qui ripostait avec apeurement. Elle fit fuir l’animal en s’approchant puis se saisit de la Mortadelle qu'elle examina sous toutes ses coutures. Il n’y avait pas de doute, c’était celle que Jacky lui avait montrée quelques jours auparavant.

 — Maman, quelqu’un est passé ici ? appela-t-elle.

 — Oui, un garçon tout pâle avec une ombrelle, lui répondit Clarisa en passant sa tête de derrière l’encadrement de la porte de la cuisine. Il a dit qu’il voulait te donner ça parce qu’il n’en aurait pas l’utilité. Franchement, il n’avait pas l’air très agréable mais…

 — D’accord, merci, maman !

 Elle et la Mortadelle échangèrent un regard circonspect. Jérémy lui faisait cadeau de la poupée de Jacky. La petite sorcière n’en avait aucune utilité. Elle ne jouait pas beaucoup à ce genre de jeu auquel elle préférait largement un bon roman policier. Néanmoins, elle ferait un agréable souvenir pour se rappeler de sa toute première enquête menée avec succès. Aussi, depuis lors, une des trente premières Mortadelle trône dans la chambre d’Agatha, tel un trophée récompensant ses petites cellules grises.

F I N