Dévoué

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"Il faut inspirer la peur."

Là, pas de doute, il inspirait la peur.

Son uniforme claquait dans le vent et chacun de ses pas montrait la violence de sa colère.

Prudemment, on s'écartait de lui.

Dire qu'il était fâché était un euphémisme, parler de colère n'approchait pas le sentiment qui le prenait.

Une sourde rage.

Il avait envie de frapper, violemment, et de voir couler le sang, à gros bouillons.

" OU EST-IL ?, aboya-t-il à un soldat servant de sentinelle.

- Dans la tente, monsieur.

- Que lui a-t-on fait ?"

Un silence avant d'avouer :

" Je ne sais pas, monsieur."

Un cri de rage.

Il se dirigea vers la tente en question et avisa des hommes en uniforme, fumant une cigarette et les manches constellées de sang.

Cela l'énerva encore plus.

" Pourquoi ne pas me l'amener ?," claqua-t-il sans les saluer.

On fut surpris de cette question.

" Pourquoi le déplacer ?, demanda l'un.

- Avez-vous réussi à en tirer quelque chose ?, rétorqua séchement l'officier chargé des interrogatoires.

- Non.

- Voilà pourquoi il faut les déplacer.

- Je ne comprends pas, se défendit aigrement l'autre. Il suffit de frapper fort et ils avouent !"

Il eut un sourire, celui qui le rendait affreux et semblable à ce qu'on pensait de lui.

" A-t-il avoué ?

- Non."

Il secoua la tête, ébahi devant la stupidité de ces hommes.

Il faut déplacer les prisonniers pour les emmener dans un lieu inconnu, clos et sombre, jouer sur leur peur et leur appréhension.

Rien que le fait de se retrouver enfermé dans une cellule jouait sur le mental de beaucoup et les prédisposait à coopérer.

" Que lui avez-vous fait ?

- Coups, déchirures, brûlures..."

Un geste vague de la main pour indiquer qu'il y avait plus mais qu'on avait oublié. Etait-ce important ?

Non, il n'aimait pas travailler avec des incompétents.

Il secoua la tête et reprit :

" Chances de survie ?

- Aucune. Il a une blessure à la rate.

- Merde !"

Il passa ses doigts dans ses cheveux. Il devait être calme pour discuter posément.

Il était en colère.

On le regarda avec ce petit regard inquiet qu'il avait appris à apprécier.

" Vous allez réussir, non ? Le chef attend des nouvelles et...

- Vous avez peur pour vos matricules ! Je comprends !"

Les deux soldats baissèrent la tête. Ils n'appréciaient pas de se faire remettre ainsi à leur place.

Mais le fait était qu'ils n'avaient rien et que le prisonnier allait mourir sans avoir avoué.

Sans rien ajouter de plus, l'officier entra dans la tente et fut encore plus agacé.

Le prisonnier était menotté et assis sur une chaise. Sa tête était penchée en avant et du sang coulait sur la table, sans qu'il ne réagisse.

Temps de survie estimé : trente minutes, peut-être davantage si on l'allongeait.

L'homme n'avait pas bougé à l'entrée de l'officier.

Et cependant, il n'était pas inconscient.

Cela se voyait dans sa respiration, profonde, faite pour lutter contre la douleur et l'annihiler.

L'officier sortit de la tente et hurla :

" De l'eau chaude, un chiffon, de l'alcool ! MAINTENANT !"

On fut surpris mais on lui obéit.

Ceci fait, il vint s'asseoir face à l'homme blessé et croisa ses mains. Patient.

Trente minutes.

Il commença à compter mentalement.

L'eau fut apportée et une bouteille d'eau de vie se retrouva placée entre les deux hommes.

Le silence continuait, seulement brisé par la respiration dure du prisonnier. Une respiration qui changeait de son.

Plus courte, plus essoufflée. On commençait à s'inquiéter de la suite.

L'officier consultait les quelques documents dont il disposait sur l'homme capturé.

Et il comprit quoi faire.

Il se pencha sur le blessé et saisit doucement le menton, forçant l'homme à relever la tête pour exposer son visage.

Ce n'était pas beau à voir.

L'officier trempa le chiffon dans l'eau chaude et doucement, tendrement, il se mit à essuyer le sang.

L'homme ouvrit les yeux et le regardait, un bref instant la panique fut visible mais il la cacha sous l'indifférence avec une maîtrise de soi admirable.

L'officier sourit.

" Ce n'est pas beau, hein ?, demanda la voix sèche du blessé.

- Non, admit le soldat et son sourire se fit compatissant.

- Je me plaindrai..."

L'officier rit avant d'essuyer la joue. Le sang maculait le chiffon et l'eau chaude se teintait de rouge.

" Je suis désolé de la façon dont on vous a traité," fit l'officier.

Un rire amusé vite étouffé par une toux atroce.

Le soldat abandonna le chiffon et servit un verre d'alcool. Il se leva et vint aider le prisonnier à boire. Multipliant les touches amicales, n'hésitant pas à salir ses mains de sang et de sueur.

" J'aurai dû demander de l'eau à boire aussi, je n'y ai pas songé.

- Je vous...remercie..."

L'alcool bu, l'homme laissa à nouveau tomber sa tête en avant et respira profondément.

Patient.

L'art était de savoir jouer du silence.

Le silence était un allié.

" J'ai...entendu parler de vous, fit le prisonnier.

- De moi ?, s'étonna l'officier. Je suis flatté."

Et il eut son doux sourire...teinté d'un je ne sais quoi de dérangeant...

" Vous êtes XXXX... Le bourreau de XXXX.

- Je ne le nie pas.

- Vous avez tué XXXX et sa femme et... Leur fils...

- Ha !, opposa-t-il en levant son index. Je vous arrête là ! Je n'ai jamais eu leur fils.

- Mais vous les avez tués !"

Lentement, très lentement, il reprit le chiffon et l'essora. Le bruit de l'eau fit relever la tête au prisonnier.

Pas tranquille, même aux portes de la mort.

" Vous ne le niez pas ?

- Les prisons sont dures et il nous faut des réponses.

- Je ne dirai rien.

- Vous ai-je posé une question ?"

Le prisonnier rit mais cela faisait mal. L'officier sourit avec bienveillance en examinant le nez, cassé et l'oeil gauche, définitivement clos. Ses doigts se faisaient caressants, tels ceux d'une mère.

" Mais vous allez le faire," reprit le prisonnier.

Car le silence déplaisait et qu'il ne supportait pas le silence.

L'officier siffla en voyant la vilaine brûlure derrière l'oreille.

" Il faudrait de la pommade pour cela. Je ne peux pas soigner avec de l'eau.

- A quoi cela rime ? Je vais crever de toute façon et je ne dirai rien."

Il s'inquiétait maintenant. Ce jeu durait longtemps.

L'officier souriait, désolé de voir l'étendue des blessures.

Vingt minutes ! Il avait encore le temps mais il fallait avancer tout de même.

" Les prisons sont dures, je ne le nie pas.

- Vous n'allez pas me faire croire que c'est la prison qui a tué mes amis !"

Longue tirade, trop longue tirade. Le prisonnier s'étouffa.

Aussitôt, il lui servit un verre d'alcool et il but en grimaçant.

" Vous n'auriez pas de l'eau ?

- Si, si. Je vais en demander."

Mais l'officier ne bougeait pas, maintenant il soignait les coupures visibles dans le cou. Et les brûlures de cigarette. Essayant d'apaiser avec de l'eau.

" Vos amis étaient peut-être trop fragiles !, tenta l'officier, maladroitement.

- Trop fragiles ? Vous les avez torturés ! Vous êtes..."

La tête partie en arrière, il était mal en point et l'hémorragie interne faisait son office.

Une rate éclatée ! Bande d'incapables !

" Tsssss ! Je suis un officier chargé de récolter des informations précieuses au gouvernement.

- Un bourreau...

- J'ai choisi mon camp !

- Celui des..."

Le prisonnier s'étouffa une fois de plus.

Donc il n'avait pas vingt minutes. Plutôt dix.

La main, si douce et blanche, de l'officier glissa dans les cheveux poisseux de sang.

" Je suis navré pour vos amis. Je suis triste pour les miens. Vous m'en avez pris aussi quelques-uns.

- Oui."

Nouveau silence et le prisonnier réussit à murmurer :

" Et le gamin ?

- Nous le recherchons, mais un enfant de cet âge...

- Il...ne sait rien... Il..."

Cela fit sourire l'officier, voyant enfin ! se profiler les questions qu'il attendait.

" Le petit garçon nous a dit qu'il voulait fabriquer des ponts comme son père et ses amis."

Un sourire ensanglanté apparut sur les lèvres bleues du prisonnier.

" Brave Pierre. Il n'est pas...dangereux...

- Il fabriquera des ponts comme vous tous.

- Nous ne sommes que deux ingénieurs. Adrien et moi...

- Il y aurait eu Pierre avec vous. Une fois qu'il aurait appris le métier et obtenu son diplôme.

- Il... Je l'aimais beaucoup...

- Un joli diplôme d'Etat en poche et le voilà dans vos rangs. Du travail en plus pour moi.

- Un...gamin..."

Nouveau silence et prudemment, l'officier chargé des interrogatoires avança ses pions, il n'avait plus le temps de patienter :

" Je n'ai malheureusement pas eu de diplôme d'ingénieur, j'ai un diplôme de sciences humaines. L'histoire est mon domaine."

L'officier souriait, tout à ses souvenirs.

Le prisonnier ne comprenait pas ce que voulait le bourreau.

Il souffrait de plus en plus et en même temps, l'alcool anihilait tout, l'apaisant et l'endormant.

" L'histoire ? Qu'est...-ce que vous...faites avec eux ?

- Je participe à l'histoire ! Vous vous fabriquez des ouvrages qui dureront des siècles. Nous sommes faits pour nous entendre !

- Il...faut se rebeller... Ce gouvernement est...

- A l'université de XXXX, j'ai appris comment les gouvernements naissent et meurent. Le nôtre est fait pour durer !"

Il avait tenté.

La surprise se teignit sur le visage du prisonnier, gavé d'alcool et perdu dans la douleur.

" Vous avez été à XXXX ?

- Sciences humaines. Avec le professeur XXXX.

- Nous étions en Ingénierie, souffla le prisonnier en fermant les yeux.

- Vous avez aussi connu l'université de XXXX ?, s'enthousiasma l'officier. Mais alors vous avez dû boire à ce café ! Là... Mon Dieu, comment s'appelait-il déjà ?

- Le XXXX ?

- Oui !"

Le prisonnier eut un sourire amical.

" Il y a des années que je ne suis pas retourné à XXXX, fit l'officier.

- Moi aussi.

- Le professeur XXXX était un bon professeur, affirma le bourreau.

- Monsieur XXXX aussi.

- Vous avez suivi les cours de monsieur XXXX ? On m'a parlé de lui."

Une toute petite hésitation.

Juste ce qu'il fallait pour revenir au présent et se rendre compte de ce qui se passait.

Le prisonnier n'était pas un imbécile.

Dix minutes à attendre.

Ils les passèrent à se regarder en chiens de faïence, l'officier souriait, toujours aussi bienveillant, le prisonnier était horrifié.

" Vous avez quelque chose ?, demanda l'un des soldats posté devant la tente. Cela fait dix minutes qu'on entendait plus rien."

Il refusa une cigarette, il était toujours en colère contre ces incapables.

" Il faudra arrêter le professeur d'ingénierie de l'université de XXXX.

- Un professeur ?, répéta l'autre soldat, surpris. Mais pourquoi donc ?

- Il y a nécessairement quelqu'un pour diffuser la propagande. Quoi de mieux qu'un professeur ?

- C'est lui qui vous l'a dit ?

- Oui."

Les deux soldats se regardèrent, impressionnés.

" Comment avez-vous fait ?

- Il suffit de savoir écouter... "

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