Quelque part...

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" Qui vous a donné les ordres ?"

Poli. Il était poli tout de même. Il le vouvoyait.

C'était respectueux.

Par contre la gifle qu'il reçut était beaucoup moins respectueuse. De longues mains blanches avec des ongles carrés et durs comme l'acier.

Cela l'obligea à se concentrer sur l'instant.

" Qui vous a donné les ordres ?"

Il articulait bien.

Une belle voix, fluide...froide...

Mais cela ne suffisait pas à l'éloigner d'Elle. Pour l'instant, il arrivait encore à la rejoindre.

La dernière fois qu'il l'avait vue, elle portait sa jolie robe jaune à fleurs. Celle dans laquelle elle se plaignait sans cesse d'être boudinée et qu'elle remettait quand même. Car elle savait qu'il aimait la voir dedans.

Elle n'était pas boudinée, elle était magnifique et elle le savait malgré tout. Cela se lisait dans ses yeux lorsqu'elle le regardait. Avec son sourire espiègle.

Gabrielle...

La douleur fut tellement atroce qu'il perdit le contact avec les yeux de Gabrielle pour retrouver ceux si clairs et si froids de son tourmenteur.

" Qui-vous-a-donné-les-ordres ? Je perds patience !", fit la voix glaciale.

Il regarda sa main, surpris d'y trouver la trace rouge et boursouflée d'une brûlure de cigarette. Indifférent, l'homme assis en face de lui replaça la cigarette dans un cendrier.

Gabrielle ne voulait pas qu'il fume.

Il fumait avant leur histoire. Mais elle avait insisté pour qu'il s'arrête dès le départ.

Pour le jour où elle serait enceinte.

Pour le bien-être de l'enfant.

Pour son bien-être à lui.

Au bout des doigts de Gabrielle, il y avait la petite main de Pierre. Et l'enfant riait en dansant avec sa mère. L'air résonnait de leurs cris de joie.

Pierre qui voulait devenir comme son papa ! Un fabricant de ponts...

Une nouvelle gifle suivie d'un coup de poing en pleine bouche.

Ce n'était pas lui qui frappait. Non, lui regardait et s'ennuyait, blasé. Lui voulait ses réponses et il avait des hommes pour l'aider à les obtenir.

Des hommes en uniforme comme lui. Mais moins gradés.

Ce ne fut que lorsque des outils apparurent sur la table devant lui qu'il sut qu'il n'arriverait plus à rejoindre Gabrielle et Pierre.

La douleur allait gagner.

" Qui vous a donné les ordres ? Votre nom a été cité, je veux votre chef."

Gabrielle était si jolie dans sa robe d'été. Pierre allait entrer à l'école...

Il ne put les rejoindre en effet.

La douleur était insupportable. Sa main ne ressemblait plus à sa main, on aurait dit une main d'écorché du cours de médecine. Pour apprendre les nerfs et les veines.

Tout avait été bien fait et il pleurait de douleur.

Gabrielle... Gabrielle était sauve. Elle s'était enfuie avec Pierre.

Et l'homme en uniforme révéla toute son intelligence.

Simplement par cette phrase :

" Elle survivra si vous parlez."

Dans les brumes de la douleur, cette affirmation mit du temps à l'atteindre mais elle provoqua la terreur et l'effroi. Plus que les couteaux, les masses et les poings.

" Elle... Elle n'est pas ici !"

L'homme était beau, jeune et les yeux clairs, il portait très bien l'uniforme. Il se mit à sourire et par ce simple fait, devint d'une laideur repoussante.

" Faut-il une preuve ? Une de ses boucles ? Sa robe ? Un doigt de votre fils ?"

Pierre !

Les larmes étaient des larmes de douleur, elles se muaient en larmes de détresse.

Il le regardait, curieux et attentif devant cette métamorphose.

" Elle... Elle ne sait rien !

- Elle nous dira tout ce qu'elle sait et tant pis si ce n'est rien."

Indifférent, tellement indifférent.

" Elle obtiendra une autorisation de sortie du territoire si vous parlez. Maintenant !"

Il regardait son bourreau.

Il regardait sa main qui n'était plus qu'un amas de chair à vif, l'empêchant de réfléchir posément. Il se sentait perdre connaissance sous la souffrance et l'horreur.

" Parlez !," ordonna simplement le soldat.

Et il parla...

Plus tard, bien plus tard, deux soldats déambulaient dans ce magnifique établissement officiel devenu l'antichambre de l'Enfer. On reconnaissait celui qui avait si brillamment mené l'interrogatoire, comme toujours.

" Et la femme ?, demanda le soldat inconnu à son collègue chargé des questionnements.

- Aucune nouvelle. Mais si nous l'avons ratée aujourd'hui...qu'en sera-t-il de demain ? Ou de l'année prochaine ? "

Puis, soufflant un nuage de fumée de sa cigarette, il conclut en souriant :

" Nous sommes patients."

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