Victime

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Je suis Renaud. Enfin, c'est mon prénom.

Je n'ai pas tellement d'âge. Je n'ai pas tellement d'obésité. Ni de maigrité. Je n'ai pas de beauté. Ni de mocheté. Je n'ai pas trop de thunes. Mais pas pauvre. Je suis, somme de tout, normal. Comme un président.Rien ne présumait à mon triste destin que je raconte là.

Il était quoi...vers midi. Quand j'ai pris le train. Gare du Nord. Aéroport Charles de Gaulle. Vlan ! La voilà, l'info qui tombe sur Twitter, sur Facebook, sur le RSS, mail, sms. Midi douze. Juste à douze putain de minutes près. D'un clic, nous l'avions su tous le désastre, coupés de tout et de tous, mais supraconnectés. Condamnés à savoir comme des cons dans notre bulle de ferraille roulante. L'atmosphère a soudain changé. Bien entendu ! Dans la rame, je veux dire. Les gens se regardaient, s'admiraient, se convolaient, relevaient tout simplement la tête de leurs ipads, ipods, tablettes, etc. Les uns, les larmes. Les autres, le sourire. Le paradoxe emportait tout, et moi, je restais là, droit, dans mes paraboles d'oreilles. Un trentenaire pas très net s'est mis à hurler et à danser tout nu dans l'allée centrale. Un truc du style chachacha mais en pogo. Vous voyez le style quoi. Pas un pèlerin pour lui dire stop, pas un pèlerin pour le remarquer, même. Nous étions tous au profond de nous, le danseur avec sans doute, dans l'enceinte même de notre âme. Cette vieille nouvelle qui nous est tombée sur le coin de la tronche nous rendait chevaux. Plats comme des lasagnes. Le mutisme des premières minutes avec.

Je ne vais pas chipoter sur les tiroirs, ça a assez vite déconné ensuite..Putain, faut dire la pilule était dure à avaler. Je vous le dis. Même moi, j'ai eu mal au bide. Je veux dire juste le temps d'après. Que l'information emporte tout notre corps. Certains, sans doute, avaient dans le coin de la tête un p'tit goût d'évasion. De l'autre côté de la vitre, de l'autre bout des rails. Bouffer encore un peu de la vie. . Nous avions rien en commun eux et moi, moi et eux, lui et lui, lui et elle, eux et elles, elles et elles, etc. Nous, putain. Dans un crevard de RER. Fuck. La rame était devenue soudainement insoutenable, un ours humain aux poils glacés. Le temps de la digestion. Le vieux commercial s'est mis à frapper les gamins. Le jeune commercial s'est mis à vouloir embrasser tout le monde. Ca virevoltait dans les quatre coins, la mutation à s'accélerer. Un senior, comme on dit, rigolait comme il pouvait à côté d'un ado bouche ouverte, râtelier en or et les larmes sur le côté. Celle à côté de moi, prostrée au fond de ses genoux. Celui en face de moi, pâle come un asticot argentin ayant fait le voyage dans le train d'atterrissage d'un A380. Dame bourgeoise chantant du Brel, "Les bourgeois c'est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient...L'anarchiste s'est mis à prier Grand Saint Sarkozy. Le scout s'est levé et a fait l'hélicoptère. L'intello de service a sorti toutes les insultes qu'il connaissait. Et il en connaissait. Le trader, lui, disait pardon à qui voulait l'entendre. N'importe quoi d'incohérence, je vous le dis. De savoir ça, ça change sévère les gens.

S'barrer vite fait dans notre vie, dans notre histoire. Rapide, très rapide, le plus vite possible. Retracer nos chemins. Ouin Ouin. Pouet Pouet. Zapper les taches pour s'lessiver le cerveau sans regrets, sans remords. Serrer les poings.C'est ce que j'essayais de faire. C'est ce que j'ai essayé de faire.

Nous n'étions pas destinés à ça. Pas à cette tragédie. Pas à cette catastrophe. Pas à cette fin.

Ce n'était tout simplement pas possible. Dénier tout en bloc. Le temps s'est accéléré. La fin de s'approcher, et nous de s'accrocher encore un peu à l'espoir d'y croire. Ou plutôt de ne pas y croire "On arrive toujours à s'en sortir", "Nous avons toujours le choix" "Ce n'est pas possible" "Il n'y a pas d'orchestre". Des phrases cons auxquelles on s'rattrape sans plus y croire.

Là, plus, visiblement.

Le bouillon arrive, ça pue la bile, nous sommes ronds comme des. Il n'y a plus rien. Un vaste chaos l'emportera, sûr, quelques secondes encore !

"Flash info : 12h12. RER. Attentat. 28 morts. La conspiration des illuminatis aurait revendiqué "

Le RER s'est arrêté doucement, nous nous sommes arrêtés brutalement. Nous étions arrivés à Charles-de-Gaulle. A se sentir tous, un peu mouton, sur le coup.

De l'immédiatisme d'internet

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