La solitude, le silence et l'espace

5 minutes de lecture

"Trois facteurs de bonheur sont souvent négligés : la solitude, le silence et l'espace"

C.Vieljeux Chers USA

 Je n'avais pas encore tout à fait conscience de ce qui allait m'attendre. J'avais eu beau essayer de m'y préparer, de me conditionner, j'allais plonger tout à fait dans l'inconnu.

 L'aéroport n'avait plus rien à voir avec ce que j'en connaissais. Tout à fait presque vide, presque éteint. Les tableaux des vols se réduisaient à quelques lignes. Les effervescences passées que j'avais ressenties s'affichaient en contraste parfait avec la situation actuelle. Tout semblait lent, nonchalant. Les boutiques gardaient leurs rideaux mi-clos, les passagers à venir s'y éparpillaient tout facile dans le seul hall d'embarquement resté ouvert. Moi, j'errais au milieu, deambulant, vaguant d'une porte l'autre.

 Je m'étais finalement installé là tout au bout du terminal 2E. Il fallait descendre quelques marches avant de voir s'ouvrir une grande verrière sur le tarmac. Ici quelques fauteuils tout à fait confort semblait-il. Mais, moi, je m'installais dans le fumoir, un genre d'aquarium dans l'aquarium, je m'appuyais contre la vitre, je fumais, j'échangeais des vocaux avec ma femme, en attendant.

 Le temps était à la Covid à ce moment-là. Un genre de maladie partie d'un petit marché chinois et qui, par le jeu de la mondialisation, avait gagné l'ensemble de la planète en deux-deux. Covid. On a beau dire, ça avait moins de gueule tout de même que les bonnes pestes d'Athènes, buboniques, que le choléra, que la grippe espagnole, n'est ce pas ? Enfin, c'était mon point de vue. Toujours est-il que j'étais là tout à fait dans un aéroport déserté, à attendre ce vol qui allait me conduire tout au Sud.

 C'était rien, c'était habituel de partir. Nous avions la coutume. Cela faisait bientôt vingt ans que cela revenait. Il n'y avait rien de nouveau là-dedans. Un genre de routine en séparation ordinaire.

 Les choses avaient un peu bousculé mon anticipation. Arrivé à destination, avant d'embarquer sur mon navire, le pays obligeait à une quarantaine stricte. La quarantaine, j'en avais entre guillemets l'habitude au fond que je m'étais dit. C'était mon lot au fil des embarquements, des transatlantiques. Rester seul, en huis clos, enfermé.

 J'arrivais donc à l'hôtel. Le Palmeiras, un genre de luxe dans un pays pauve. Le quartier ressemblait sans s'y tromper beaucoup à un ghetto de riche, un château-fort. Des parcs fermés de villas identiques entourés de grands murs, surmontés eux-même par des kilomètres de barbelés. C'est ainsi, vous voyez, dans les pays divisés par la richesse un peu partout sur le monde. Les nantis s'enferment dans leur petit quartier, loin de la mélasse, des taudis et de la violence, petites bulles pour le champagne. Les gardiens veillent toujours avant que de rejoindre leurs rangs, au-delà des murs.

 C'est exactement ce que je pouvais observer du haut de mon quatrième étage, de ma suite de privilégié.

 Je sais, qu'il y avait quelques années de cela, j'aurais été tout à fait révolté, écoeuré. A ce moment-là, pour être tout à fait honnête, tout cela me laissait indiférent. J'avais vieilli. Non. Je m'étais lassé en réalité. Je m'étais résigné. A moins que ce soit tout simplement de l'embourgeoisement. Je ne sais pas, je vous l'avoue. Toujours est-il que l'injustice, l'incompréhension, la révolte m'avait quitté. Par trop de fatigue, trop d'impuissance. Je vous l'ai dit, je ne sais pas. Je m'étais bien vautré du côté des priviléges je crois tout simplement.

Me voici donc enfermé, chambre d'hôtel, pour une dizaine de jours. Je n'avais pas trop l'idée de la chose. Je veux dire sans le dehors, sans la rue, sans le paysage, sans les gens, sans sentir le vent. Mes transatlantiques, elles, m'offraient toujours la mer qui défilait, qui déferlait et trompait le temps. Ici, ici, enfermé tout à fait, rien qu'une petite fenêtre pour ouverture sur le monde, je me suis senti dès la porte refermée tout à fait anxieux, angoissé.

 J'avais beau me répéter à l'infini que tout cela n'était rien, ou pas grand chose, que tout cela allait passer, cette froidure en moi persistait, m'envahissait indubitablement. Je faisais les cent pas au milieu de la chambre comme ronronnant sur mon passé.

 Ce n'était pas du Formule 1, je l'avoue. Ma prison temporaire s'inscrivait plutôt dans le luxe ou presque. Une belle suite, salon, cuisine, deux chambres, belles douches, marbre et bois exotique. On voit le genre. Les premiers prix des hôtels pour riche. Pas assez pour faire palace, trop pour faire cheap.

 Toujours, depuis gamin, j'avais eu besoin de cela. Je veux dire les grands espaces, la possibilité de fuir, de voyager.

 Ici, au beau milieu de cette forteresse de riche, du haut de mon hôtel de verre, la tête par la fenêtre, j'avais le ciboulot qui surchauffait. Je n'y pouvais rien. Le soir venu au soleil les reflets de la mer sombrait mon corps entier dans l'effroi. Non, je n'y pouvais rien, ni me raisonner, ni résister. Le froid envahissait tout en-dedans.

Je n'avais que cet aphorisme de Christian Vieljeux en tête. "Trois facteurs de bonheur sont souvent négligés : la solitude, le silence et l'espace". Si depuis, je n'avais eu de cesse de me confronter à la réalité de ces mots, je n'avais pas tout à fait saisi le désequilibre que provoquerait l'absence d'un de ces trois facteurs : l'espace.

 Tout devenait limpide dans mes souvenirs désormais. De gamin, d'adulte, les seuls moments de paix qui me reviennent sont ceux qui reliaient ces trois facteurs, cette trinité. Que ce soit en mer lorsque je me retrouvais sur le gaillard seul au vent tout au milieu de l'eau, au gamin, lorsque je m'évadais au plus profond des marais d'Aunis sur mon vélo jaune. Ma paix, mon bonheur a toujours explosé dans ces moments-là.

 Ce n'est pas de l'égoïsme, non. je veux dire aimer la solitude, le silence et l'espace. Tout juste les conditions nécéssaires et suffisantes pour être libre tout à fait rien qu'un instant d'être soi.

 Il y avait ma femme, mes enfants tout là-bas qui me manquait sans doute aucun. Mais n'est-il pas vrai que nous sommes toujours en représentation, même dans le petit cercle de la famille ?

 Tout ça, oui, s'entremêlait, se liait, se déliait. Je tournais en rond dans cette chambre comme dans ma tête. C'était l'évaporation de tout sans commun, c'était rien que de se regarder sans cligner d'un oeil presque éternellement dans son miroir. C'est ça l'enfermement, sans distraction aucune.

C'est au quatrième jour de mon isolement que tout a basculé bien sévère. Je venais tout juste de m'endormir pour la sieste. Le téléphone a craché sa sonnerie désagrèable. J'essayais de comprendre ce que l'autre gars criait dans le combiné, je n'y arrivais pas. Ses mots n'avaient aucune consistance, aucun sens, aucune tenue et j'avais fini par raccrocher tout à fait.

 Ce sont les premieres détonations d' AK 47 dans la rue qui m'ont sorti de ma lethargie. Ca en était fini tout à fait du silence, de la solitude et de l'espace.

 Voilà comment tout cela a commencé.

 Nous allons rentré à la villa m'a-t-elle dit, vous faites d'énormes progrès depuis votre arrivée, vous pouvez être fier. Dans les prochains jours, nous essaierons d'aller un peu plus loin, n'est-ce pas ?

 Sans doute, je répondis...

 Autour l'espace , le silence et la solitude.

Annotations

Vous aimez lire Leopold Ferdinand ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0