Chapitre 4 : « C’est un petit monde, après tout »

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-Ah, enfin ! s’exclama Wise. Nous ne sommes plus très loin !

La charrette roulait sur une route menant à un lac où l’eau paraissait scintillante. Bâti sur ce lac, on pouvait y apercevoir une grande et magnifique ville.

-Ah, Bellavita ! fit Wise. Je ne connais pas plus belle ville existant dans ce monde de fou !

-Qu’est-ce qu’elle a de particulier ? demanda Hope.

-Grossièrement, cette ville tolère presque tout ce qui est moralement douteux dans ce monde de fou, expliqua son père. Un havre idéal pour celui qui souhaite s’adonner aux plaisirs coupables sans enfreindre les lois. Je commence à comprendre pourquoi ton disciple séjourne ici…

-Qu’est-ce que tu insinues, gamin ?

-Rien…

Wise faisait comme si de rien n’était, mais il sentait bien les regards de Meridiem et de Hope qui le jugeaient…

Pour accéder à la ville, il fallait passer par un pont menant à l’unique entrée réservée aux voyageurs et aux commerçants. Or, ce jour-là, il y avait foule. Apparemment, un festival allait avoir lieux le surlendemain. Une excuse parfaite pour faire la fête et une multitude d’occasions en or pour se remplir les poches, quand on avait le sens des affaires.

-Hohoho, ricana Wise en se frottant les mains. Parfait, parfait… Un moment de détente après un si long voyage et toutes ces déconvenues n’est pas de refus…

-Et le sauvetage du monde, dans tout ça ? demanda Hope.

-Oh, ça va. Le monde peut bien attendre un jour ou deux…

-Wise…, commença Helt.

-Ne vous méprenez pas, bande de gamins ! Je ne resterai pas inactif sur notre quête pour autant. J’ai encore des contacts sous la manche à… à contacter. Du moins, que je peux contacter par les voies normales.

-Parce que tu connais d’autres voies ?

-Gamin, je suis un mage ! Qui plus est, le plus vieux existant dans ce foutu monde ! Alors oui, je connais d’innombrables moyens de communications pour contacter toute sorte de personnes. Et de choses…

-Des choses dangereuses ?

-Certaines, je dois bien l’avouer…

-Bon, et bien, ces dernières, ce sera en dernier recours, hein…

-Rabat-joie…

-Parce que tu comptais sérieusement les appeler !?

Wise se contenta de siffloter en guise de réponse.

-Tu sais de quoi il peut bien parler ? demanda Hope à Meridiem à voix basse.

-Malheureusement, non, répondit cette dernière avec une neutralité effrayante.

Cette réponse fila un frisson d’effroi au jeune homme.

Les entrées se faisaient au compte-goutte, le temps que les gardes inspectent minutieusement les affaires des personnes souhaitant entrer et qu’ils posent toutes les questions nécessaires, le tout pour juger si vous étiez un trouble-fête ou non.

Quand vinrent leur tour et que les gardes inspectaient la charrette, un autre interrogeait Wise sur la raison de leur venue. Étonnamment, le vieux mage jouait l’homme tout souriant, amical et chaleureux pour faire bonne impression. Assez pour que toute cette histoire de contrôle ne soit une formalité. L’inspection faite, ils furent la bienvenue à Bellavita.

En apparence, c’était une ville prospère et pleine vie, aux rues larges et pavées, avec quelques canaux où l’on pouvait naviguer en gondole. Les locaux s’affairaient à la décoration des rues, les commerçants commençaient à vanter les produits qu’ils ne vendraient que durant ce festival…

Hope, à la vue de tout cela, avait des étoiles plein les yeux. De mémoire, il n’avait jamais assisté à des festivités de cette ampleur.

-Tu as l’air impatient…, lui fit remarquer Meridiem.

-Ah… Ça se voit tant que ça ?

-On n’est pas là pour s’amuser, fit Helt.

-Mais si, enfin ! déclara Wise. Un instant de détente ne va pas te tuer ! Et puis, tu es mal placé pour donner des leçons. Enfant, dès que l’occasion était propice, la Sauveuse jouait avec toi.

-Si l’occasion était propice, oui. Même enfant, je savais qu’il y avait un temps pour tout…

-Oh non, pas toujours. Je me souviens de ce jour où tu as voulu demander, pour la énième fois, à Caelum de faire de toi son écuyer et que tu l’as surpris en train de…

-WISE !

-Attendez… Papa ! Tu as connu Sire Caelum ?! Sire Sol Caelum, celui qu’on surnomme le Bras droit de la Sauveuse ? Le fondateur de ce qui est devenu l’Armée du Soleil, celle qui s’est formée pour se battre en Son nom ?

-S’il le connaît ? fit Wise en riant. Mon petit, tout ce que Helt sait, il le tient de ce cher Sol. Comment crois-tu qu’il soit devenu une si fine lame ?

-Incroyable ! Mais alors… Tu sais peut-être ce qu’il est devenu, alors ? On raconte qu’il a disparu un jour sans laisser de trace.

Helt ne répondit pas. Il resta silencieux en fixant la route devant lui. Hope attendit une réponse qui n’arriva jamais et Wise détourna la conversation donnant des indications sur là où logeait son disciple.

Quelques minutes plus tard, la charrette fit halte devant une imposante maison avec une belle vue sur le lac. Il paraissait clair que seule une personne ayant de grands moyens pouvait s’offrir ce genre d’habitation dans ce genre de quartier, si l’on en jugeait par les personnes résidentes aux alentours.

Alors que Helt et Hope prenaient leurs affaires, Wise et Meridiem toquèrent à la porte, qui ne tarda pas trop à s’ouvrir. Ils furent ainsi accueillis par un beau jeune homme vêtu d’une robe de mage de première qualité et au sourire éclatant.

-Rifiuto ! Mon disciple !

-Maître Wise ! Un plaisir de vous voir ! Et… tu dois être la fameuse Meridiem… Un double plaisir.

Il souriait toujours, mais ce sourire qu’il adressa à Meridiem n’avait rien de chaleureux ni d’amical. Il arborait un sourire qui la dérangeait.

-Mais je vous en prie, entrez !

À coups de courbettes, Rifiuto invita Wise et Meridiem à rentrer chez lui. Et claqua la porte aux nez de Helt et Hope lorsque ces derniers étaient sur le point de franchir le seuil.

-C’est une plaisanterie ! s’énerva Helt.

Ce dernier frappa violemment contre la porte et ce, pendant de longues minutes. Mais rien. Il recommença en hurlant et ce fut là que la porte s’ouvrit. Sauf que ce n’était pas Rifiuto que leur ouvrit mais Meridiem. Helt entra en trombe dans la maison et déboula dans le salon, où Wise buvait tranquillement assis un thé chaud dans un fauteuil, alors que son hôte revenait avec quelques petites choses à grignoter. En voyant Helt, le visage de Rifiuto perdit instantanément son amabilité pour devenir hautain.

-Qui t’a fait entrer, le pouilleux ?

-C’est moi que tu traites de pouilleux, petit merdeux ?

-Qui d’autre ?

-Si j’étais toi, Rifiuto, je ne ferais pas ça…, lui conseilla Wise en sirotant son thé chaud.

-Mes excuses, Maître Wise. Je vais me débarrasse de ce pouilleux et…

Il vit alors Hope débarquer à son tour, accompagné de Meridiem. Il se remit à sourire. À elle, pas à Hope.

-Merediem, allons. Il ne faut pas laisser entrer les bons-à-rien chez…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Helt lui attrapa le col et lui mit son poing dans la figure, ce qui le fit tituber un court instant. Un léger filet de sang coulait de sa bouche mais il ne semblait pas surpris ni contrarié. Par contre, il continuait à regarder Helt et maintenant Hope avec mépris.

-Une bande de nuisibles, dans ma maison... Soit.

Rifiuto fit un geste de la main et Helt vola à travers la pièce avant de s’écraser lourdement sur le sol. Hope voulut aller aider son père mais d’un autre geste de la main, Rifiuto le fit décoller du sol et le plaqua violemment au plafond.

-Les déchets de la société devraient rester à leur place…

Rifiuto serra lentement le poing. Au plafond, Hope eut l’impression que sa gorge se comprimait lentement. Respirer commençait à être difficile.

-Ah, bon sang… Il faudra que je fasse bien le ménage, quand vous serez…

Subitement, Rifiuto reçut un choc violent au niveau de la poitrine et fut projeté contre un mur. Un peu sonné, il eut du mal à se relever et à tenir debout. Face à lui, une Meridiem qui avait quitté son visage habituellement calme pour celui d’une colère presque palpable. Aussitôt, Hope tomba du plafond et s’écrasa au sol comme un sac. Il se mit à tousser et tenta de reprendre son souffle, alors que Rifiuto, la rage déformant son visage, leva sa main en direction de Meridiem.

-Je vais te dresser, moi, petite catin !

-Ah, ces jeunes…, fit Wise en terminant sa tasse.

En soupirant, il se leva de son fauteuil, frappa bruyamment le sol avec son bâton et d’une voix forte ; inhumaine, il cria :

-ASSIS !

Les corps de ses deux disciples se soulevèrent alors et furent comme jetés sur un meuble disposé pour s’asseoir. Wise se mit à tousser fortement et se râcla la gorge plusieurs fois.

-Bordel ! Je suis trop vieux, pour ces conneries…, dit-il alors que sa toux se calmait.

-Maître ! Vous devriez…

-La ferme, Rifiuto ! J’essaie de sauver le monde et toi, tu malmènes ceux qui m’aident !

-Maître. Votre cœur.

-La ferme, Meridiem ! Mon cœur va très bien ! Ô Sauveuse… Donne-moi la force de supporter tous ces imbéciles…

-Maître… Avec tout mon respect… Demander de l’aide à des moins-que-rien, c’est…

-Serre les dents, Rifiuto…

-Pardon ?

Pendant qu’ils parlaient, Helt s’était remis sur pieds et se précipita vers Rifiuto pour lui décocher un nouveau coup de poing, dans la mâchoire, ce qui lui fit perdre une dent.

-ORDURE ! cria ce dernier. Ma dentition parfaite !

-Ah, je t’avais prévenu, tout à l’heure. Je t’ai enseigné bien des choses mais visiblement, ta politesse est restée très sélective. Trop, même. Enfin…

Mais Rifiuto n’écoutait pas son maître, trop occupé à gémir de douleur et à proférer moults insultes à l’encontre de Helt.

-Assez, maintenant ! s’écria Wise en tapant le sol de son bâton une nouvelle fois. Nous avons des choses plus importantes à régler ! Rifiuto ! As-tu accompli la tâche que je t’ai confié, dans ma dernière lettre ?

L’intéressé grommela un peu avant de cracher par terre un glaviot de sang.

-Oui, Maître… J’ai retrouvé la trace des personnes que vous recherchiez, dans ces environs.

-Et ?

-Ces gens sont morts… Tous les trois. Deux se sont fait tuer comme les abrutis qu’ils étaient et la dernière est morte de vieillesse.

-C’est… malheureux. Mais est-ce que… ?

Rifiuto soupira.

-Oui, j’ai retrouvé ceux qui ont récupéré leurs Reliques. Mais elles veulent vous rencontrer avant de décider quoi que ce soit.

-Compréhensible. Il faut organiser une rencontre, le plus vite possible.

-C’est déjà fait. Demain, ici. Pour le déjeuner. Bien que cela ne me plaise pas de recevoir ce genre d’individu chez moi…

-Parfait. En attendant, nous allons nous reposer. Le voyage a été long et à titre personnel, je suis fourbu.

-Je vous ai préparé une chambre, Maître. Belle et avec un bon lit. Quant à Meridiem, elle…

-Je refuse de rester ici, déclara cette dernière.

-Allons. Je pense qu’on peut mettre de côté ce petit malentendu entre disciples de Maître Wise et…

-Je refuse de rester ici.

Cette déclaration contrariait fortement Rifiuto. Tout le monde le voyait. Sans parler des regards assassins que lui lançaient Meridiem depuis tout à l’heure.

-Bien. En attendant demain, Hope et moi allons nous trouver une auberge. De toute façon, je refuse aussi d’être logé par ce merdeux…

-Je n’avais nullement l’intention de vous loger, lança Rifiuto avec une méprise non dissimulée. La seule place que mérite les gens comme vous, c’est…

BLAM !

-AÏE ! Maître !

-Oups. Pardon, mon bâton a glissé… Signe de fatigue, probablement. Montre-moi donc mes appartements, que je puisse me reposer !

Pendant ce temps, Helt, Hope et Meridiem quittèrent sans regrets cette demeure, à la recherche un autre endroit où se loger. Ils trouvèrent une auberge et purent avoir la dernière chambre abordable au niveau des prix. Heureusement, ils purent avoir trois lits séparés. Helt s’y laissa tomber et demanda à ce qu’on vienne le réveiller qu’à l’heure du dîner. De leur côté, les deux jeunes gens n’étaient pas fatigués à ce point.

L’occasion n’allant pas se représenter de sitôt, Hope proposa à Meridiem de sortir voir ce que Bellavita pouvait leur offrir durant la préparation du festival à venir, après un déjeuner revigorant. Chose qu’elle accepta, avec le sourire.

Ensemble, ils errèrent dans la ville sans but précis, admirant les lieux, goûtant quelques amuses-bouches et autres friandises locales… Des artistes de rue offraient du divertissement aux passants. On trouvait même certains étals qui vendaient des masques de carnaval. Le festival n’avait pas à proprement commencé et pourtant, l’ambiance festive était déjà bien installée dans les rues. Une fête avant la grande fête, en somme.

-Et dire que la vraie fête n’a pas encore commencé, fit Hope en souriant avec son petit masque de mouton sous l’aisselle.

-Difficile d’imaginer plus animé, déclara Meridiem en tenant fermement son masque de lynx fermement contre son livre.

Pendant qu’il marchait, Hope fixait justement l’objet en question. Meridiem ne s’en séparait jamais. Même pour dormir, elle faisait en sorte à ce qu’il reste à portée de main.

-De quoi il parle ? se risqua-t-il à demander.

-Pardon ?

-Ton livre. Celui que tu gardes toujours avec toi. De quoi il parle ?

-Oh.

Elle semblait hésiter à répondre. Ou à réfléchir à une réponse.

-De pleins de choses. Essentiellement sur la magie.

-C’est… un grimoire ?

-En quelque sorte, oui.

-C’est toi qui l’as écrit ?

-Non. Je… l’ai trouvé.

Hope nota son hésitation dans sa réponse.

-Où ?

-Dans une vieille maison, quelques temps après l’éveil de mes pouvoirs.

-Tu l’as volé ?!

-Il n’y a vol que s’il y a propriétaire. La maison était abandonnée depuis des années…

-Mouais… Et tu sais qui est l’auteur ?

-Non.

-Il n’a pas écrit son nom, quelque part ? Ou au moins, laissé un mot sur qui il est.

-Non, rien.

Les réponses que Hope recevait ne le satisfaisaient pas le moins du monde. Il voulut en savoir plus et préparait une nouvelle salve de questions, mais son attention fut attirée par deux personnes discutant non loin d’eux :

-Tu as entendu les nouvelles ?

-Non. Lesquelles ?

-Caasadir est tombé, par la Sauveuse ! Il y a deux jours, paraît-il ! On dit que l’ennemi s’étend à présent sur la mer intérieure de Bellam et a organisé des blocus sur presque tous les ports, hormis celui de Strand.

-En même temps, qui serait assez fou pour aller à Strand, sauf pour se faire égorger avant de mettre les pieds sur un bateau.

-Moi, je m’inquiète… Si ce qu’on dit est vrai… Que le Roi Sombre est de retour…

-Ne dis pas de sottises ! Il est mort ! Tué par la Sauveuse et son groupe !

-Oui mais ses partisans, ses fidèles… Ils sont toujours là. Et tout aussi puissant qu’avant, paraît-il ! Certains disent même qu’ils le sont plus qu’avant…

-Calme-toi ! On n’a rien à craindre ! Il y a d’autres armées qui les écraserons, tu peux me croire ! Et puis, on a encore l’Église de la Sauveuse et l’Armée du Soleil pour défendre le monde ! Je ne m’en fais pas !

-Puisses-tu dire vrai, mon ami. Puisses-tu dire vrai…

Entendre cela fit grimper l’inquiétude de Hope et sa bonne humeur semblait s’être enfui. N’ayant plus vraiment la tête à s’amuser, il proposa à Meridiem de rentrer, qui ne s’y opposa pas. Sur le chemin, perdu dans ses pensées, Hope ne remarqua pas l’homme tout de noir vêtu qui marchait dans le sens opposé et lui rentra dedans par inadvertance.

-Pardon ! s’empressa de dire le jeune, confus.

-Ce n’est rien, assura l’homme.

Hope vit que celui-ci, sous sa capuche, portait un masque comme ceux qui attendaient avec impatience le festivale. Mais là où les autres masques représentaient quelque chose comme un animal ou une personne, celui de l’homme était lisse et blanc, sans signes distinctifs. Il n’y avait même pas de trous pour les yeux et c’était à se demander s’il y voyait vraiment quelque chose avec ça. L’homme continua son chemin en chantonnant à voix basse et Hope fit de même. Meridiem, en passant à côté de l’homme, put entendre un court instant quelques-unes des paroles de la chanson qu’il chantonnait, sans y faire plus attention que cela.

Toutefois, alors qu’ils avaient le dos tourné, l’homme les regarda s’éloigner en continuant à chantonner :

-« It’s a small world after all… »

De retour à l’auberge, pendant le repas, Hope rapporta ce qu’il entendu des passants dans la rue à son père, qui prit une mine grave. Pour Helt, il était clair qu’à ce rythme, il serait trop tard pour tout arrêter s’ils ne se dépêchaient pas. Cette pensée en tête, il espéra néanmoins que les personnes qu’ils rencontraient demain seraient disposés à leur venir en aide.

Dans tous les cas, le temps commençait à presser.

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