Chapitre 2 : Le premier pas est souvent le plus dur

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-Dépêche-toi, gamin ! On a une longue route devant nous !

-La ferme, vieux machin ! Je quitte ma maison pour un très long voyage ! Laisse-moi lui dire adieu en paix !

-De quoi tu m’as traité, espèce de sale petit… !

-Maître, calmez-vous. Votre cœur…

-Silence, Meridiem ! Mon cœur va très bien ! Il est aussi jeune et vigoureux que quand j’avais vingt ans !

-Vivre dans le déni ne changera pas les choses, Maître…

-Qu’est-ce que tu viens d’oser me dire !?

Hope ne disait pas un mot, ne voulant pas être impliqué dans la discussion à l’inverse de Meridiem. Assis dans la charrette, il tenait contre lui son arc et son carquois remplis de flèches qu’il avait taillé lui-même, pendant que son père finir de barricader leur maison en espérant dissuader n’importe qui d’y entrer.

Il n’arrivait toujours pas à y croire. Hope pensait que ce vieil homme, Wise, était un fou. Comment croire quelqu’un qui débarquait d’on ne savait où et qui vous racontait que votre père avait fait partie du groupe qui avait terrassé le Roi Sombre, aux côtés de la Sauveuse ? Que son père était sans doute l’une des personnes qui était très proche de la Sauveuse ! Hope n’avait même pas cru feue sa propre mère quand elle le lui avait dit quand il était plus jeune…

Helt chargeait dans la charrette les vivres pour la route et des biens qu’il comptait vendre à la prochaine ville, pour avoir de quoi financer un peu ce voyage. Le père et le fils ne se regardèrent pas ; ne s’échangèrent pas un seul mot.

Un peu plus tôt, Helt avait annoncé à son fils son départ et que, comme celui-ci était presque adulte, il pouvait garder la maison le temps de se faire une situation ou y vivre. Cela lui importait peu, en fait. Hope comprit à ce moment-là que son père ne comptait pas revenir. Dans d’autres circonstances, cela lui aurait convenu, puisque presque adulte. Mais à présent qu’il savait…

Il exprima étrangement le désir de l’accompagner. Chose que son père refusa, bien sûr, en énumérant bon nombre de prétextes valables ou non. Cependant, Wise fit la remarque que des bras supplémentaires ne seraient jamais de trop pour leur quête et qu’ils seraient bêtes de refuser un volontaire. Helt lui avait lancé un regard assassin effrayant et était sur le point de répliquer, mais n’en eut pas l’occasion, lorsque Hope lui déclara qu’il était presque un adulte et qu’en conséquence, il n’avait rien à redire sur ses propres décisions, le tout sur un ton ferme et assuré. En apparence. Helt fixa Hope et après un long soupir, il accepta que son fils vienne. Toutefois à son expression faciale, il était clair que l’idée ne l’enchantait guère. Mais Hope s’en fichait. Il allait venir, que cela plaisait à son père ou non. Et puis, il y avait…

-Hope… HOPE !

Ce dernier sursauta quand son père l’interpella.

-Oui ?

-Je t’ai demandé si tu n’avais rien oublié, parce que nous ne ferons pas demi-tour une fois parti !

-Oh… Heu… Non. J’ai tout ce qu’il faut dans mon sac.

Helt ne dit rien de plus et son fils détourna le regard.

Après avoir chargé le dernier sac de provisions, Helt resserra sa précieuse épée à sa ceinture et vint à la place du conducteur de la charrette, tandis que Meridiem alla s’asseoir à côté de Hope.

-Pas trop tôt…, grommela Wise en allumant sa pipe.

Helt ne dit rien mais sa gestuelle en disait long… Il fouetta légèrement le cheval avec les rênes et la charrette se mit à avancer sur l’unique chemin empruntable qui les conduirait au pied de la montagne. Helt n’accorda pas un seul regard à la demeure où il avait vécu durant tant d’années, préférant aller de l’avant. À l’inverse de Hope…

Le milieu de l’après-midi venait de passer, quand la charrette atteignit enfin le pied de la montagne. Hope et Meridiem dormait depuis la fin du repas de midi, tandis que Wise en était à son énième pipe de la journée.

-On arrivera à la prochaine ville en début de soirée, annonça Helt. Nous y ferons halte puis nous repartirons le surlendemain, le temps que le cheval récupère et de vendre les quelques biens que j’ai emmené.

-Je continue de dire que c’est une perte de temps…, grommela Wise en recrachant sa fumée.

-Et comment tu comptes payer les frais pour ce voyage ? Si tenté que tu aies ne serait-ce qu’envisagé de payer quoi que ce soit…

-Figure-toi que je comptais faire appel à la générosité de vieux amis.

-…C’était ça, ton plan !? Demander la charité !

-Je suis le grand Wise, le plus ancien et le plus respecté mage que ces terres ont porté ! Faire un don pour ne serait-ce qu’être en présence de ma personne me paraît très sensé !

-Tu es surtout le plus grand radin et le plus grand escroc de cette ère ! Môssieur accepte volontiers tout l’or qu’on lui donne, mais Môssieur refuse de débourser la moindre pièce de sa poche, même quand le sort du monde est probablement en jeu !

-Je suis économe, gamin ! Je ne dépense jamais rien inutilement. Gaspiller ? Jamais.

-Économiser pour au final ne jamais dépenser est tout autant du gaspillage !

La dispute continua ainsi, les responsables ne se rendant pas compte qu’ils avaient réveillé Hope et Meridiem. Hope trouvait cela insupportable mais n’avait pas le cran d’intervenir.

-Sois patient. Ils finiront bien par se calmer ou se lasser, lui chuchota Meridiem.

-Et s’ils ne le font pas ? demanda Hope à voix basse.

Pour toute réponse, il n’eut qu’un bâillement de cette dernière, avant qu’elle ne se rendorme comme si de rien n’était. La tête posée sur son épaule. Hope était en panique en son for intérieur. Il n’avait jamais eu l’occasion de vraiment fréquenter une fille avant et sa proximité avec Meridiem l’affolait, même s’il faisait tout pour ne pas le montrer. Entre elle qui dormait maintenant contre lui et la dispute entre son père et Wise, difficile de se rendormir sereinement, à présent.

Comme l’avait annoncé Helt, ils atteignirent la ville alors que le crépuscule était sur le point de laisser place au soir. Une petite ville simple et tranquille, qui ne se démarquait en rien et qui avait juste le mérite d’exister. Helt chercha de suite une auberge où passer la nuit, avec si possible une étable pour que le cheval puisse se reposer. Et comme cela revenait plus cher, il força Wise à mettre la main à la bourse. Ce dernier rechigna mais paya quand même. Les chambres dans cette auberge étant malheureusement petites, ils durent en louer trois : une pour Helt et Hope, une autre pour Wise et une dernière pour Meridiem. Hors de question de laisser une jeune fille dormir avec des hommes. Ils ne voulaient rien faire que la moralité locale répugne. Ils mangèrent et se couchèrent tôt, la journée sur la route ayant été éprouvante et celle de demain serait sans doute dans la même lignée.

Le lendemain, Helt traîna son fils au marché local pour tenter de vendre ce qu’ils avaient ramené de chez eux, tandis que Wise prévoyait de rester à l’auberge pour écrire quelques lettres à destination de personnes qui pourraient les aider durant leur quête. Quant à Meridiem, elle comptait continuer la lecture de l’énorme livre qu’elle traînait partout sous le bras.

Ils étaient partis assez tôt le matin mais eurent un peu mal à trouver des gens preneurs pour ce qu’ils avaient à vendre, si bien que cela traîna jusqu’à l’heure du déjeuner. La dernière personne intéressée par ce qu’ils possédaient fut un forgeron, qui racheta les peaux que Helt avait mis de côté pour un bon prix. Ils avaient déjà accumulé une somme conséquente mais le forgeron leur dit qu’il était prêt à lâcher « quelques sous supplémentaires » en échange de l’épée de Helt. Évidemment, ce dernier refusa et le forgeron n’insista pas, mais ne se gêna pas de souffler à Hope que si son père changeait d’avis, il savait où le trouver. Mais Hope connaissait son père : têtu comme il était, les chances qu’il change d’avis et se décide à se séparer de son épée était nulle.

De retour à l’auberge, Wise était toujours enfermé dans sa chambre à écrire ses lettres. Helt, Hope et Meridiem mangèrent donc ensemble, sans lui.

-Et donc… Meridiem, c’est ça ? Comment as-tu rencontré Wise ? lui demanda Helt.

-Il m’a recueilli quand mes parents m’ont abandonné.

Un silence gênant s'installa pendant un court instant.

-Pourquoi ils t’ont abandonné ?

-Quand mes pouvoirs magiques se sont éveillés, comme tout le monde, ils ont pris peur. Même l’orphelinat ne voulait pas de moi.

-Je vois mal Wise recueillir une enfant par pure charité, même si elle possède de puissants pouvoirs magiques.

-Le Maître ne m’a pas recueilli par bonté d’âme, loin de là… Il me garde auprès de lui que parce qu’il me trouve une utilité.

-Au moins, tu es semble consciente de ta situation…

-Oui.

-Est-ce que, par hasard, il a pris d’autres disciples ?

-Il m’a dit en avoir eu deux, avant moi. Mais je ne les ai jamais rencontrés. Je pense qu’ils restent tout de même en contact.

Helt eut un petit rire.

-De mon temps, il n’aurait jamais accepté de partager son savoir avec quiconque…

-Je n’ai aucun mal à l’imaginer…

Ils n'échangèrent plus un mot durant le reste du repas.

Le déjeuner terminé, Helt déclara qu’il allait faire une somme et encouragea les plus jeunes à aller faire un petit tour en ville, avant qu’ils ne partent tous demain matin. Hope ne se fit pas prier, ayant eu peu l’occasion d’aller dans une ville. Meridiem l’accompagna, bien qu’elle n’exprimât aucun enthousiasme pour la chose. Les deux jeunes gens restèrent néanmoins ensemble tout du long, essayant d’apprendre à mieux se connaître. Tout du moins, c’était ce qu’essayait de faire Hope. Meridiem, pour sa part, était du genre réservée. Ou plutôt, elle n’avait l’air de parler seulement si elle estimait avoir quelque chose de pertinent à dire.

-Tu… tu avais des amis, là où tu vivais ? demanda Hope avec l’espoir de briser davantage la glace, alors qu’ils déambulaient dans les rues.

-Non.

-Ah… Moi non plus, je n’ai pas vraiment d’amis. Personne ne voulait l’être. À cause de ce qu’on disait sur mon père…

-Qu’est-ce qu’ils disaient ?

-Parce qu'il savait se battre avec une arme, les gens pensaient que c’était peut-être un ancien brigand qui se cachait ou encore un voleur…

-Cela ne veut rien dire. On peut savoir se battre sans pour autant avoir eu une vie de hors-la-loi.

-Sans doute. Mais là où on vivait avait, ça n'avait pas d'importance. Si tout le monde pensait la même chose, ça devait être vrai. Qu'importe ce que pouvait bien penser les autres...

-Et tu lui en veux, à ton père ? De ne pas avoir eu d'amis, à cause de ça ?

Hope ne voulut pas répondre de suite.

-Avant, oui. Et je préférais croire ça plutôt que… Je pensais que les histoires que lui et ma mère me racontaient n’étaient… que des histoires. Je me souviens même avoir à ma mère que ce n’était qu’un sale menteur.

-Ton père a dû se mettre en colère, quand tu lui as dit.

-En fait, non… Il n’a rien dit, rien fait. Ma mère, en revanche, m’a giflé quand j’ai dit ça. C’était la première fois que je la voyais si en colère…

Hope se tut alors quand il sentit ses yeux devenir subitement humide. Penser à sa mère lui faisait encore mal.

Ils marchèrent encore un peu dans les rues, avant de s’arrêter sur la place centrale, bien animée. Les passants étaient guillerets, ignorant ce qu’eux savaient. Ou peut-être savaient-ils mais préféraient agir comme si tout allait bien. À moins dans leurs esprits, quoi qu’il pouvait se passer si loin de chez eux, les choses allaient se régler d’une manière ou d’une autre.

-Meridiem…

-Oui ?

-Les gens ne savent vraiment pas ce qui se trame, au loin ?

Elle fixa Hope un instant avec une expression neutre, avant de diriger son regard vers les passants qui défilaient devant eux.

-Qui sait… Mais quand j’y réfléchis… Ce que nous nous faisons, en ce moment… Ce que ton père et ses compagnons ont fait, il y a longtemps… Tout ceci a pour but que des gens comme eux puissent vivre dans l’insouciance et en paix.

-Sans doute, oui…

Après cela, ils n’échangèrent plus un mot et passèrent leur temps à observer les habitants vivre leur vie bénie d’ignorants jusqu’au crépuscule.

Le lendemain, à l’aube, l’aubergiste souhaita un très bon voyage au groupe lorsque ce celui-ci reprit la route, tout en leur offrant son sourire commerciale le plus éclatant. La charrette roulait tranquillement dans les rues alors que Helt et Wise discutaient de la prochaine étape du voyage.

Hope avait le regard perdu dans le vide et son esprit, perdu dans ses pensées. Il repensait à sa discussion avec Meridiem, tout en se rendant compte d’une partie du poids sur les épaules qu’une telle quête exigeait. Hier soir, il avait voulu en parler avec son père, lui demander s’il avait ressenti la même chose à son époque. Surtout qu’il était bien plus jeune. Mais Helt avait esquivé la question et la discussion n’alla pas plus loin, laissant Hope avec ses interrogations.

Qu’importe ce qu’il allait se passer pendant ce voyage, le jeune homme se demandait s’il avait vraiment bien fait de suivre son père dans quelque chose qui le dépassait peut-être complètement.

Mais Helt avait été très clair quand ils ont quitté leur maison : faire demi-tour n’était nullement envisageable. Sa résolution était évidente et solide. Celle de Hope, avec sa prise de conscience d’hier, beaucoup moins.

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