Irritations

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   Courant et ahanant, les six… non sept fugitifs s’enfonçaient dans la forêt graupicale, chaude et humide comme Lumi. Ils s’arrêtèrent tout de même au bout de quelques centaines de mètres, confiants en l’absence de poursuivants mais surtout rincés de cette course, d’autant que Von Dutch et Hal trimballaient toujours ce gros Klebz. Ils s’étaient boîtés deux fois depuis le village, et le mécanicien avait ramassé quantité de feuilles mortes, brindilles et autres grauchonneries dans son pelage. Le grip au niveau des chevilles et des aisselles y perdait ce que le camouflage y gagnait, sans doute… Lumi s’écroula, soufflant comme un fumeur de gitanes maïs et rouge comme une peau de gland. Tipek, Brossard et les autres n’étaient pas en grande forme non plus : les semaines d’inactivité à bord de l’Amérion n’avaient pas arrangé leur forme physique. Von Dutch leva les yeux du massif de pikoku à floraison déportée sur lequel il scotchait depuis cinq minutes. Ils étaient dans une sorte de clairière, protégée toutefois des ardents soleils par un semblant de canopée qui laissait passer quelques rayons de lumière… D’étranges flaques lumineuses ponctuaient donc le sous-bois couvert d’une mousse dense et verte. En s’approchant d’une de ces tâches de lumière, Von Dutch n’en crut pas ses yeux. La lumière se déplaçait de façon perceptible tant la course des soleils était longue et les journées courtes. Ainsi, au fur et à mesure que la mousse était exposée aux rayons lumineux, elle se couvrait de minuscules pousses de verdure qui s’étiolaient et se fanaient dès le retour de l’ombre. Des centaines, voire des milliers de micro végétaux naissaient puis mourraient en l’espace de quelques secondes, façon holocauste et renaissance, sous les yeux incrédules de l’intendant de l’Amérion. Il décida de suivre l’une des tâches lumineuses…

Tipek, pendant ce temps, voyait ce cornichon de Von Dutch à quatre pattes en train de regarder le sol. Il est de plus en plus touché çui-là, pensa-t-il. Dommage que ce ne soit pas Lumi… Klebz semblait reprendre des forces, il recommençait même à sortir des blagues vaseuses à Brossard qui pouffait, et Skofüld était plongé dans ses pensées, peut-être un peu scrupuleux vis-à-vis de son ancien dictateur…

Von Dutch vit la tâche de lumière s’approcher d’un cours d’eau profond d’une dizaine de centimètre et large d’environ cinq mètres. L’eau était claire comme… comme de l’eau claire, et la surface très, très calme. Immobile, même. Limite chiante d’ailleurs, pensa Von Dutch. Le plan d’eau tout entier était désert de toute vie, le sol étant fait d’une sorte de roche sombre et accidentée. Lorsque la tâche quitta la terre ferme, l’étrange manifestation continua dans l’eau, mais beaucoup plus intensément. Les végétaux avaient changé de nature, ils étaient désormais bien plus longs, affleurant la surface de l’eau, et d’une teinte moins vive. Leur brève apparition ne troublait pas le calme du cours d’eau, mais bientôt un curieux animal pointa le bout de son museau. À quelques mètres de là, Klebz lâcha un gros pet bien sonore qui fit partir Brossard d’un rire aussi gras que les flatulences de son ami retrouvé. Décidément ces deux-là ne se tiendraient jamais tranquilles, pensa l’intendant, tout entier absorbé par son observation du poisson qui avait fait son apparition. L’aquatique bestiau était long d’une douzaine, oah, allez, d’une treizaine de centimètres et possédait un appendice nasal sans doute conçu pour brouter les algues qu’il suivait ardemment.

Von Dutch était abasourdi par la beauté de ce qu’il observait. Des rayons de soleil, de l’eau d’une pureté sans fin, des végétaux qui semblaient presque irréels se dégageait un sentiment de pureté et de fraîcheur sans limite… Soudain le paisible animal se tourna complètement vers Von Dutch qui s’était rapproché de la surface de l’eau… et l’intendant partit d’un fou rire qui fit accourir tout le reste de l’équipage. Le poisson était affublé d’une paire de mandibules molles et proéminente qui conférait à l’animal une… tronche de cake, purement et simplement.

- Oah la tronche, rigola Von Dutch. Pauv’bête, tiens, il ressemble à Klebz, un peu !

Mécontent, ledit Klebz poussa l’intendant dans la flotte, et celui-ci bascula cul par dessus tête dans le cours d’eau, affolant du même coup le poisson-cake et ses quelques congénères qui l’avaient rejoint.

- Qu’est-ce que c’est que ce bordel encore? pesta Tipek. Klebz ! À peine remis vous foutez déjà le boxon ! Bon Von Dutch, arrêtez de jouer dans l’eau je vous prie.

Klebz, beau joueur, aida le ruisselant à s’extirper de l’eau.

- Mais qu’est-ce que t’as à te marrer comme ça, au juste ? s’interrogeait-il.

Skofüld avait avisé ses nouveaux compagnons que l’Amérion n’était plus qu’à quelques centaines de mètres. À cette annonce, Von Dutch s’était empressé de choper un ou deux poissons-cakes, éventuellement dans l’espoir de les bouffer. D’ailleurs ces gros cons de poissons n’avaient d’autre parade pour faire fuir leurs adversaires que de gonfler, gonfler, gonfler en se remplissant d’eau. Le problème qui se posait immédiatement était celui  de la fuite : les nageoires devenaient sous-dimensionnées, hydrodynamiquement parlant s'entend, et le poisson-cake avait l’air... d’un cake. Von Dutch n’avait donc eu aucun mal à attraper ces bestiaux mais beaucoup plus à les dégonfler pour les ranger. Il s’était contenté d’utiliser la méthode dite du presse-agrume, et les poissons-cakes n’avaient pu qu’émettre un pfrblrbl de protestation (ou de dégonflage). C’est vrai, quoi, y’en a marre de la carne, se dit Von Dutch. En plus un train vaut mieux que deux kilos de rats. Skofüld, donc, avertit les fugitifs. Le trajet le plus court serait sûrement gardé, et il faudrait donc passer par des sentiers détournés (façon raccourci qui rallonge, quoi).

- Je vous préviens, annonça-t-il, ces sentiers sont vraiment plus sauvages que ceux que vous avez empruntés à l’aller. Nous devons nous enfoncer dans la forêt , hostile et sauvage comme... comme une forêt. Ne vous éloignez pas du sentier, ne ramassez rien, ne touchez à rien, ne reniflez rien ! Klebz ?

- Oui bon ça va… bougonna le mécanicien.

Ils entreprirent donc un voyage de plusieurs heures long et chiant qui n’a d’autre caractéristique que celle d’être long et chiant, à un détail près. Quelques bestiaux croisèrent leur chemin, du plus petit qui couinait, charriant quelques glands et une tripotée de petits, jusqu’au plus gros qui reniflait le sol en gronkgronkant d’un air affairé. Le périple devenait vraiment pesant, et Klebz regardait la nature environnante avec intérêt. Il aurait bien été faire frouch frouch dans les buissons, histoire de trouver des trucs qui sentent bon, n’eût été le conseil de Skofüld. Une branche basse retint son attention. De gros fruits pourpres y pendaient, accompagnés de feuilles d’un vert vif inhabituel si loin de la cime des arbres. Quelques fleurs rouges répandaient leur entêtant parfum dans l’air, tant et si bien que Klebz ne put résister à l’envie de flairer ce végétal qui avait l’air de sentir super bon de près. À l’instant où il approchait sa truffe d’une des envoûtantes fleurs, Skofüld se retourna et cria.

- NON NE…

Trottoir. Klebz avait collé sa putain de truffe sur la branche qu’il avait saisit de sa main gauche libre (l’autre portant le poids de sa connerie, avait annoncé Tipek par la suite). Le groupe s’immobilisa, juste à temps pour voir la truffe et la main de Klebz enfler et rougir jusqu’à atteindre la taille d’un ballon sauteur pour l’appendice nasal, et d’un gros claquoir à tapis pour la main. Klebz flippait et surtout il douillait, les gonflements s’accompagnant de vives démangeaisons, expliquait Skofüld d’un ton docte tandis que Klebz couinait.

- Ne vous inquiétez pas, Klebz, dit le guide. Dans quelques jours ça aura dégonflé et vous pourrez à nouveau faire des conneries. Les irritations vont vous tenir éveillé pendant une bonne semaine, par contre.

- Kouïne, répondit-il piteusement.

- C’est bien fait, railla Tipek. On vous avait prévenu ! Brossard, vous irez à l’infirmerie de bord avec Klebz afin de voir si on ne peut pas faire quelque chose… On n’est pas des bêtes, quand même…

Quelques minutes plus tard, les compagnons arrivèrent en vue de l’Amérion. Il traversèrent le ruisseau qui courait toujours au même endroit, normal, quoi, et déverrouillèrent les boucliers de protection de l’imposant vaisseau. Skofüld émit un hoooo d’admiration tandis que la passerelle s’abaissait.

- En route ! Von Dutch, ramassez les quatre conneries qui traînent encore dehors, on a perdu assez de temps comme ça, ordonna Tipek. Dès que vous avez terminé on fout le camp de cette planète. Lumi, Hal, au cockpit, je vais avoir besoin de vous pour le décollage.

- Euh capitaine, questionna Skofüld, je fais quoi ?

- Euh bin allez aider Von Dutch, tiens.

- D’accord...

Tipek grimpa sur la passerelle, laissa passer devant Lumi, Brossard, ainsi que Klebz et Von Dutch qui fonçaient vers l’infirmerie de bord. Il posa son pied sur une caisse à Outz qui traînait là, et déclara d’un ton altier :

- En avant, compagnons, en avant vers de nouvelles aventures, et nous n’aurons de cesse que de..

- Euh capitaine capitaine, l’interrompit Von Dutch.

- QUOI ?

- Bin y’a Klebz qui s’est coincé la truffe dans le sas n°8 et il me bloque l’accès au bouton d’ouverture en fait et donc du coup bin…

Tipek leva les yeux, descendit de son promontoire et suivit l’intendant vers le sas n°8. Putain, on n’est pas rendus, pensa-t-il.

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