Chapitre 12 (fin de la partie 2)

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Il a déjà raccroché, Catherine ne supporte plus cette situation. Ce mari qui ne pense qu'à l'argent. Cette vie perdue : celle de sa petite Tifenn. Gravé dans sa mémoire, son corps allongé inerte, si blanc, si froid. Mathéo, son petit garçon, disparu depuis plusieurs mois et qu'elle craignait ne jamais revoir vivant. Toutes ces pilules justement, des roses, des bleues, des jaunes, une camisole chimique qui transforme son existence en une inexistence. Comment en est-elle arrivée là ? Sa vie devait être un conte de fées. C'est ce qu'elle croyait quand, folle amoureuse, elle avait épousé Gabriel. Ils étaient jeunes, elle était belle et lui très ambitieux, très protecteur. Dès le premier jour, les deux adolescents s'étaient aimés d'un amour pur et avaient formé un couple de lycéens inséparables. Les parents de Catherine avaient tout de suite adopté Gabriel, et peu à peu réussi à gagner la confiance de ce gamin très indépendant, dont la vie en institutions n'avait pas toujours été facile. Gabriel, le fruit d'un viol. Sa mère ne s'en était jamais remise et avait été internée. Les grands-parents n'avaient pas souhaité prendre cet enfant de la honte en charge et il avait atterri en foyer. Avec Catherine et ses parents, Gabriel avait trouvé une famille. Ils formaient un beau duo plein de projets. Quittant leur Bretagne natale, pleins d'espoir, ils étaient montés tenter leur chance à Paris. Lui avait été embauché à la télévision, avait vite compris les ficelles du métier et pour évoluer s'était tissé un vaste réseau dans le milieu. Maintenant il dirigeait la chaîne, il était devenu quelqu'un d'important. Elle avait tout donné à cet homme. Les plus belles années de sa vie, deux enfants en parfaite santé, beaucoup d'amour et de dévouement. Mais cela ne suffit pas à Gabriel. Il en veut toujours plus, plus d'argent, plus de pouvoir, plus de femmes. L'amour, il n'a de cesse d'en demander aux autres mais il n'est plus capable d'en donner une miette. Il détruit tous ceux qui l'entourent. Catherine décroche son téléphone et appelle une station de taxi, cette fois c'est terminé !

— Bonsoir, je voudrais réserver une voiture pour demain matin, départ de Paris pour Capbreton.

— La voiture sera en bas de chez vous à neuf heures, madame.

Cette décision l'apaise. Elle se fait couler un bain et se sert un verre de vin blanc. Elle va reprendre sa vie en main. Après toutes ces années à n'avoir été que l'ombre d'elle-même, l'ombre de son mari, pire l'ombre de son ombre... De quoi pourrait-elle bien avoir peur ? Quand on a perdu une fille de dix-sept ans, on n'a plus peur de grand-chose, le pire est déjà arrivé. Et puis, avec les attentats terroristes, elle ne supporte plus de vivre à Paris. Ces carnages l'ont traumatisée au-delà de ce qu'elle veut bien admettre. Elle n'a plus goût à rien depuis cette accumulation de terribles drames. Quelques semaines avant l'overdose de Tifenn, elle avait confié à Gabriel son désir de retourner vivre en Bretagne. Comme d'habitude, il avait balayé cette idée d'un revers de main, lui avait même suggéré de partir en cure dans un centre de thalassothérapie. Leur histoire d'amour, Catherine l'a enterrée en même temps que le corps de sa fille, elle s'en rend compte maintenant. Elle regrette de ne pas avoir eu la force et le courage de quitter Gabriel à ce moment-là et d'éviter peut-être la fuite de Mathéo. Elle s'en veut de s'être complètement laissée aller après la mort de Tifenn. Depuis plusieurs mois, elle n'arrête pas de se le reprocher... Mais là, elle va aller rejoindre son fils et tenter de réparer le mal qui a été fait. Son mari, qu'il aille au diable ! Il est certainement dans les bras d'une jeune maîtresse, afin de rassurer son ego et vérifier son pouvoir de séduction. Grand bien lui fasse. Il pourra même convoler en deuxième noce très bientôt, parce que, elle, c'est décidé, elle reprend sa liberté !

Au camp, lorsque Carine et ses filles arrivent, tout le monde est déjà autour de la table. Sylvain fanfaronne sur sa journée de drague à la plage avec son fils et se gausse d'avoir moissonné une bonne dizaine de numéros de téléphone. Juju est content de voir arriver les filles, surtout Angèle qui lui apprend toujours de nouveaux trucs. Romane, elle, à dix-sept ans, commence à basculer dans le monde des adultes. Louise indique à sa sœur et ses nièces l'organisation :

— Toutes les trois, vous dormirez dans la yourte. Le mieux est de décharger la voiture tout de suite et de préparer les lits.

Carine, tout l'opposé de son aînée, s'installe sur la balancelle et lui répond direct :

— Eh oh, on est en vacances... Tu ne vas pas commencer à nous speeder... Sers-nous un truc à boire, au lieu de nous donner des ordres.

— Je donne pas des ordres. Je te connais, tu vas poser ton cul et tu le relèveras que pour repartir. Et puis merde. Venez les filles, vous allez m'aider ! Votre mère est un mollusque.

Mathieu observe les deux frangines, qui s'adorent, échanger quelques grimaces. Il est très heureux de constater que Juju et Angèle apprécient de se retrouver. Il sait qu'il va être d'astreinte pour les véhiculer avec Mouche et Gaby durant leur séjour et il s'en réjouit d'avance. L'ambiance est détendue, conviviale, les rires fusent. Tout ce petit monde est heureux d'être là. Mathieu n'aurait jamais osé espérer cette grande famille recomposée. Si sa défunte Mathilde peut le voir, elle doit être baba... Il aurait tant voulu partager ces moments avec elle. Le repas terminé, Idriss sort sa guitare, Manu et Sylvain les djembés, les femmes et les enfants dansent et chantent, enivrés par la musique et la joie d'être ensemble. Le doyen les quitte juste après le coucher des plus jeunes, qui lui ont fait promettre d'être là pour le petit déjeuner. Chloé l'aide à remettre Mouche dans les bras de la charrette et lui raconte discrètement leur rencontre avec le père de Mathéo. Ils lui disent tout, à Mathieu, il est devenu le roi de cœur de cette tribu. Gentiment, il l'embrasse sur le front et lui sourit.

— Merci pour tout, je serai là demain matin. Profitez bien de cette belle soirée. Ce qui est pris est pris, tu le sais bien.

— Oui, bonne nuit Mathieu.

Chloé commence à débarrasser. D'autres lui donnent un coup de main et en quelques minutes, les filles se retrouvent dans la cuisine, à laver et ranger la vaisselle. Lili est heureuse de revoir ses amies. Très tactile, elle leur plaque un gros baiser sur les joues en les serrant dans ses bras, puis demande :

— Alors Chloé, raconte ! Tu l'as trouvé où c'gars ?

— Il cherchait des réponses face à une montagne de télés éclatées, ma petite Lili, et depuis c'est la fête, il me fait un bien fou.

— J'veux bien le croire ! J'suis trop contente pour toi, t'as une mine rayonnante.

— C'est le sexe ça, ricane Louise.

— L'a l'air sympa... y va rester combien de temps ?

— Ah ça, Lili, je n'en sais rien. Pour le moment, il est là, donc, si vous vous dépêchiez un peu, j'irais bien me coucher de bonne heure. Je veux en profiter un maximum, qui sait, demain il peut décider de partir.

— C'est pas l'impression qu'il donne. Moi, je crois qu'il est là pour un moment, pronostique Louise.

— Bon, les commères, je vous laisse. Je vais essayer de le récupérer et je vous dis à demain. Au fait, qui va au marché ?

— Sylvain, répond Lili. Avec Idriss on ira à la ressourcerie, comme c'la Louise profitera d'sa sœur et d'ses nièces, et c'sera Manu le cuisinier.

— Parfait ! Alors nous, nous ferons la grasse matinée, se réjouit Chloé.

— C'est c'la. Va roucouler !

— Bonne nuit, les copines.

Sur la terrasse ça discute musique et soudure.

— Les garçons, interrompt Chloé, je vous abandonne. Je vais au lit, bonne fin de soirée.

— Dans ce cas, moi aussi. Idriss, à quelle heure tu pars demain pour la ressourcerie ? se renseigne Mathéo.

— Sois prêt pour huit heures et demie. Chloé, tu ne nous l'épuises pas trop le jeunot !

— T'inquiètes mon gros... Il a de l'énergie à revendre.

Mathéo arrache Chloé du sol et l'emporte dans ses bras jusqu'au mobile-home en riant. Les autres ne traînent pas longtemps, très vite on n'entend plus que les grillons, et quelques rires d'enfants qui s'échappent des yourtes, dans la nuit.

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