Chapitre 9

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— Je veux voir Mathéo. Où est-il ? demande le type d'un ton sec.

Depuis longtemps Chloé ne se laisse plus impressionner par les apparences. Son sourire s'efface, elle plante ses yeux dans ceux de l'homme qui lui fait face. Bien qu'elle ne le connaisse pas, son visage produit une drôle d'impression, une impression de déjà vu.

— Il ne devrait pas tarder, répond-elle froidement.

— Vous ne m'avez pas répondu : où est-il ? insiste l’intrus.

Bonjour. Excusez-moi de vous déranger. Je cherche Mathéo, je suis... Vous auriez entamé la conversation avec un minimum de savoir-vivre et de politesse, j'aurais sans doute répondu à votre question. Mais ni vos manières ni votre ton ne me plaisent. Vous êtes dans une propriété privée. Je n'ai aucun doute quant au fait que vous connaissiez parfaitement les lois. Aussi, à moins que vous n'ayez une carte tricolore et que l'état d'urgence soit à nouveau en vigueur dans ce pays, je vous invite à remonter dans votre voiture et à aller l'attendre sur la voie publique. Au revoir monsieur.

Au même moment, la camionnette passe sur la route. Manu est au volant, Louise au milieu, mais curieusement, au lieu de rentrer dans la cour, ils continuent tout droit en direction de chez Mathieu sans même ralentir. Chloé comprend que l'homme, planté devant elle, bien droit dans ses bottines cirées, est un oiseau de mauvais augure. Le sourire narquois qui se dessine sur ses lèvres révèle une ride d'expression, qui à sa connaissance n'a pas de nom, mais pourrait bien s'appeler la ride du vautour. Il s'engouffre dans sa voiture en lançant d'un ton autoritaire :

— Dites à Mathéo que je l'attends à la capitainerie !

Chloé s'assoit à table, en face de l'entrée, et regarde la berline s'éloigner. Elle aperçoit alors Manu sur le vélo de Mathieu.

— Ils sont partis ? questionne-t-il en descendant en marche de la bicyclette. Quand Mathéo a vu la voiture dans la cour, il a plongé sous le siège comme un repris de justice en cavale. Il nous a demandé de continuer. Il a dit que c'était son père et qu'il ne voulait pas le voir.

Chloé commence à entrevoir l'étendue des dégâts. Ce n'est pas un père, c'est un dictateur cet homme-là. En tout cas, il n'a pas mis longtemps à le retrouver. En même temps, avec le bateau dans le port, l'émission de radio et les photos sur le site, cela n'a pas dû être très difficile.

— Tout va bien Chloé ? s'inquiète Manu face au silence de son amie. Ils sont chez Mathieu. Je les appelle pour leur dire que la voie est libre ?

— Oui, Manu, ça va. C'est juste que le courant n'est pas très bien passé avec le père de Mathéo... Et toi, ton marché ce matin ?

— Un monde fou, à onze heures je n'avais plus rien. Cela m'a laissé le temps de discuter. En particulier avec un gars qui travaille avec deux chevaux de trait au labour dans les champs. Et une nana qui a un projet d'horticulture alimentaire, elle prétend qu'il y a une forte demande du côté des restaurants étoilés.

Chloé retrouve sa bonne humeur en écoutant Manu. L'annonce sur le site et sur les ondes a déjà des retombées, cela promet de belles rencontres. Louise gare la camionnette à l'ombre sous le hangar, Mathéo descend et semble abattu. Ils rejoignent Chloé et Manu sur la terrasse.

— Je suis désolé. J'aurais dû vous prévenir... gémit Mathéo en fixant le bout de ses chaussures comme un gamin qui s'attend à être grondé.

— Nous prévenir de quoi ? Que ton père pense pouvoir tout diriger, tout contrôler ? tente de le rassurer Chloé. Mangeons ! Il ne va pas nous couper l'appétit. Il m'a demandé de te dire qu'il t'attendait à la capitainerie.

— Je n'irai pas ! Je ne veux plus le voir ! panique le jeune homme.

Mathéo se métamorphose, se renferme, se bloque. Chloé passe derrière lui, l'embrasse doucement sur la joue et lui demande :

— Il fait quoi dans la vie ?

— Directeur des programmes sur une grande chaîne, seul le fric est important pour lui...

— S'il est venu te chercher, c'est peut-être bien que tu comptes un peu aussi, suggère Chloé sans trop y croire elle-même.

— Il veut juste que je rentre sans faire de vague dans les médias, soupire Mathéo.

— Les médias, en ce moment, ce n'est plus ce que c'était ! répond-elle. Directeur de programme à la télé : il travaille pour l'ennemi. Me voilà avec deux bonnes raisons de ne pas l'apprécier, plaisante-t-elle.

Chloé sourit à Mathéo qui lui répond inquiet :

— Tu n'imagines pas tout ce qu'il peut faire. Les gens comme lui ont du pouvoir.

Louise s'énerve et son vocabulaire s'enrichit aussitôt de mots élégants :

— Ah ouais, et ben j'aimerais bien voir ça ! Bordel de merde ! C'est pas lui qui va venir décider du programme chez nous. Mange Mathéo, prends des forces, nous irons le trouver ton paternel, il va pas être déçu du voyage ! C'est pas un PDG qui va venir nous faire chier !

Mathéo sourit enfin, pensant que face à Louise, son père pourrait passer un sale quart d'heure.

— Des nouvelles de Sylvain et Juju ? les coupe Manu.

— Non. Ils ont enlevé leurs noms sur le tableau. Ils casseront la croûte à la plage et rentreront sûrement en fin de journée, suppose Chloé.

Elle sort du four un magnifique plat de lasagnes dont l'odeur apaise instantanément tout le monde.

— Chloé, sais-tu que Mathéo a fait l'école des Beaux Arts ? annonce Louise. Et il est partant pour animer un atelier à la ressourcerie.

— Je ne savais pas que tu étais un artiste ?

— Parce que je ne le suis pas... Mais il va bien falloir que je fasse quelque chose de mes dix doigts, et c'est la caverne d'Ali Baba cette ressourcerie, précise Mathéo dont les yeux pétillent de nouveau. Louise m'a expliqué le concept des trois R : Réduction à la source, Réemploi et Recyclage. L'éducation, la sensibilisation, j'ai plein d'idées, et collaborer avec des adolescents ça me plairait bien.

— Bon. Eh bien, il n'y a que des bonnes nouvelles alors ! s'exclame Chloé. Vivement ce soir, Idriss et Lili, notre couple de choc, rentre au bercail. Ils vont ramener du bon fromage qui pue dans leurs valises.

— Carine et les filles arrivent ce soir elles aussi, avec Mathieu nous serons quinze, se réjouit Louise qui adore les grandes tablées. Nous allons être bien, les copains ! Je sais pas vous, mais moi c'est sieste ! Et après Mathéo, si tu veux, nous irons au port.

— C'est gentil, Louise, mais je ne veux pas t'imposer ça.

— T'en fais pas. De toute façon, il te faut bien un taxi, c'est pas un problème.

— Merci.

— Je fais la vaisselle, Mathéo tu veux bien m'aider ? l'interpelle Chloé.

— Bien sûr.

Il est tendu, Chloé ressent son stress. Elle a de la peine pour lui, sa relation avec son père semble tellement compliquée. Avoir un père aimant, c'est être déjà bien armé pour affronter les difficultés, et là ce n'est pas le cas.

— Ne t'en fais pas trop, dit-elle en l'enlaçant tendrement.

Il pose son front sur sa frêle épaule. Elle le serre un peu plus fort et lui murmure :

— Je ne connais même pas ton nom de famille ?

— Bertrand.

Chloé se raidit. Ce visage, ce n'est pas possible... Elle hésite, puis se recule et le regarde droit dans les yeux.

— Le prénom de ton père, ce n'est pas Gabriel ?

— Si. Comment le sais-tu ? s'étonne-t-il.

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