Tiré les vers du nez ?

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Une chambre de bonne. Sur le tapis gît un corps recouvert d’un drap blanc. Va et vient incessant de policiers, gendarmes et autres insectes peu ragoûtants. Entre le commissaire.

Le commissaire :

- Alors ?

Un inspecteur :

Soulevant le drap

- J’tez donc un œil !

Le commissaire :

Révulsé

- Oh Dieu ! Quelle infamie…

L’inspecteur :

- Ouais, monsieur l’commissaire, c’est pas joli joli et si c’pauv’gars avait avant ça un visage on peut dire qu’après ça, après c’putain d’carnage, y lui rest’ p’us qu’les os sur l’cerveau…

Entre le médecin légiste.

Le commissaire :

- Ah, Lebret…

Le médecin légiste :

- Commissaire ?

Le commissaire :

- L’avez-vous examiné ?

Le médecin légiste :

- Je l’ai examiné, oui, et croyez-moi commissaire, c’est la première fois, de toute ma carrière, et Dieu sait ce qu’ont dû jamais souffrir mes yeux, que mon devoir funeste m’est à ce point odieux…

Le commissaire :

- Je vous comprends Lebret, on ne l’a guère soigné…

Le médecin légiste :

- On lui a, commissaire, tiré les vers du nez.

Le commissaire :

- Tiré les vers du nez ?

Le médecin légiste :

- Oui, littéralement, et la chose fut faite très… consciencieusement.

Silence.

Le commissaire :

- Merci à vous Lebret, vous pouvez disposer.

Sort le médecin légiste.

Inspecteur, s’il vous plaît, voulez-vous bien ôter dans sa totalité le drap…

L’inspecteur :

Obtempérant

- Voilà, voilà…

Le commissaire :

- Quel singulier accoutrement !

L’inspecteur :

Pour lui même, avec l’accent gascon

- Ouais… un fada !

Le commissaire :

Dans un accès de lyrisme

- Cette longue épée qu’il porte ceinte au côté, et ce large chapeau de tous bords emplumés, et ces bottes de cuir qui montent aux genoux… Fallait-il, pour ainsi se vêtir, qu’il fût fou ?

L’inspecteur :

- Peut-êt’ ben qu’y r’venait d’une soirée d’carnaval, ou p’t’êt’ d’un bal masqué…

Le commissaire :

- … ou d’une bacchanale !

L’inspecteur :

Opinant du groin

- Ou d’une bakanal.

Silence.

Le commissaire :

Et que sait-on de lui ?

L’inspecteur :

- Le concierge m’a dit qu’y sortait que la nuit quand y’avait d’la pleine lune et qu’donc par conséquent…

Le commissaire :

Didactique

- « Par conséquent » suffit et « donc » est redondant…

L’inspecteur :

Incompréhensivement

- Hein ?

Le commissaire :

Soupirant

-Rien. Continuez…

L’inspecteur :

- Où c’est qu’c’est qu’j’en étais ?

Le commissaire :

- « Par conséquent donc…

L’inspecteur :

- Ouais ! merci… donc, que j’disais, il a jamais pu l’voir, vu qu’la nuit, lui, y dort, comme les z’honnêtes gens.

Le commissaire :

Songeur

- Qu’allait-il faire, dehors,

A l’heure où le bourgeois ronfle de suffisance,

A l’heure où, tapissés d’une aimable insouciance,

Les rêves de l’enfant le savent bienheureux,

A l’heure où le puissant devient l’égal du gueux ?

Qu’allait-il faire, dehors, et cela seulement

Lorsque la lune, pleine, de ses reflets d’argent

Redorant la campagne, tient ici en haleine

Les humbles amoureux des destinées sélènes ?

L’inspecteur :

Ebaudi

- Ben ça alors !

Le commissaire :

Revenant à son mouton

- Pardon ?

L’inspecteur :

- ‘faites de la poésie ?

Le commissaire :

Humblement

- A mes moments perdus…

L’inspecteur :

- Parc’qu’il en f’sait aussi lui…

Prenant sur la table un manuscrit

R’gardez donc voir !

Le tendant au commissaire

Le commissaire :

Lisant

- « L’Autre Monde ou les Etats et Empires de la Lune »…

Ceci explique cela…

L’inspecteur :

Diagnostique

- Ouais, ouais… un lunatique.

Entre un policier.

Le policier :

- Nous avons arrêté un suspect commissaire…

Le commissaire :

- Déjà ?

L’inspecteur :

Empressé

- Faites le z’entrer !

Entre le suspect, menottes aux poignets et nez au vent.

Le suspect :

S’insurgeant

- Monsieur le commissaire, je suis un innocent…

Le commissaire :

Connaissant la musique

- Nous verrons, nous verrons…

Reposant le manuscrit

Vous vous nommez ?

Le suspect :

- Rostand, Edmond Eugène Rostand, monsieur le commissaire, écrivain et poëte, en prose autant qu’en vers, et…

Ménageant son effet

Notoire innocent !

Le commissaire :

- Nous verrons, nous verrons…

A part, à l’inspecteur

Avez-vous jamais vu, inspecteur, nez si long ?

L’inspecteur :

- Non.

Le commissaire :

Compatissant

- Quelle croix à porter qu’être ainsi figuré…

L’inspecteur :

Exalté

- Moi, monsieur l’commissaire, si j’avais un tel nez

Il faudrait sur le champ que je me l’amputasse !

Le commissaire :

- Hein ?

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