Dans le jardin d’Éden.

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Dans le jardin d’Eden. Un homme, allongé sous un pommier, semble faire un somme. Il est vêtu à la manière d’un aristocrate anglais du XVII ème siècle. Une femme, parfaitement nue, apparaît. Elle ne s’est pas aperçue de la présence de l’homme et, insouciante, s’émerveille de toutes choses qu’elle rencontre sur son chemin. Ici, elle hume le parfum d’une fleur ; là, elle essaie d’imiter le chant d’un oiseau ; plus loin encore, elle se mire dans l’eau d’un ruisseau…

Eve : Comme ce jardin est beau et comme toute chose en son sein est aimable.

Apparaît le serpent à sornettes.

Le serpent à sornettes : Toute chose en effet…

Eve (Sursautant) : Tu m’as fait peur !

Le serpent à sornettes : Excuse-moi.

Eve : Qui es-tu ?

Le serpent à sornettes : Je suis… ton guide en ce jardin.

Eve : Vraiment ?

Le serpent à sornettes : Vraiment.

Eve : Alors peut-être sauras-tu me dire… qui suis-je ?

Le serpent à sornettes : Tu es… Je ne sais si je dois te le dire.

Eve : Oh, je t’en prie…

Le serpent à sornettes : Soit. Tu es…

Il hésite.

Eve : Eh bien ?

Le serpent à sornettes : Tu es… la côte-part de l’homme !

Eve (Intriguée) : La côte-part de l’homme ?

Le serpent à sornettes : C’est cela.

Eve : Qu’est-ce que cela signifie ?

Le serpent à sornettes : Oh, ne t’inquiète pas de cela. Tu finiras bien par comprendre…

Silence.

Eve : Quel est donc ce jardin où nous sommes ?

Le serpent à sornettes : C’est le jardin d’Eden, la première patrie de l’homme.

Eve : De qui ?

Le serpent à sornettes : De l’homme. Ton compagnon…

Eve : Mon compagnon ?

Le serpent à sornettes : Oui. Son nom est Adam. Tu n’auras pas de peine à le reconnaître, il domine sur toutes choses ici-bas et, comme toi, il se promène du soir au matin dans le plus simple appareil…

Eve : Dans le plus simple appareil ?

Le serpent à sornettes : Oui. Tout nu.

Eve : Qu’est-ce que cela veut dire « tout nu » ?

Le serpent à sornettes : Tu es bien curieuse ! Tiens-tu vraiment à le savoir ?

Eve : Oh oui… s’il te plaît.

Le serpent à sornettes : Bon. Dans ce cas, retourne-toi.

Eve se retourne.

Tu vois cet homme, couché au pied de ce pommier ?

Eve : C’est Adam ?

Le serpent à sornettes : Non.

Eve : Qui est-ce alors ?

Le serpent à sornettes : Peu importe. Cet homme est… « La Connaissance ». Si tu le réveilles, il t’apprendra ce que tu voudras qu’il t’apprenne…

Eve : Il me dira ce que veut dire « tout nu » ?

Le serpent à sornettes : Certainement.

Eve : Il dort ?

Le serpent à sornettes : Disons plutôt qu’il est… dans les pommes !

Eve : Comment vais-je le réveiller ?

Le serpent à sornettes : Ça ! Dieu seul le sait. Bonne chance…

Le serpent à sornettes disparaît. Eve, un instant interdite, reprend progressivement ses esprits puis s’approche de l’homme.

Eve : Ohé !

Elle s’approche davantage.

Ohé ! Réveillez-vous…

Rien n’y fait.

Réveillez-vous ! Réveillez-vous !

Elle le secoue. Rien n’y fait. Lui tapote les joues. Rien n’y fait. Lui chatouille les aisselles. Rien n’y fait. L’embrasse sur la bouche. Rien n’y fait. Lui mordille le bout du nez…

L’homme : Hmmm !

Eve : Réveillez-vous ! Réveillez-vous !

L’homme entrouvre les yeux. Semble ne pas les croire. Les clôt. Puis les rouvre…

L’homme : Qui êtes-vous ?

Eve : Je suis la côte-part de l’homme. Et vous ?

L’homme : La quote-part de l’homme ?

Eve : Oui. Et vous ?

L’homme : Je suis… Sir Isaac Newton, mathématicien et astronome au service de sa gracieuse majesté le roi Charl…

Eve : Savez-vous ce que veut dire « tout nu » ?

Isaac Newton : Pardon ?

Eve : Qu’est-ce que ça veut dire « tout nu » ?

Isaac Newton (L’habillant du regard) : Vous ignorez ce que veut dire « tout nu » ?

Eve : Ben oui.

Isaac Newton : Pardonnez-moi cette question mais… que savez-vous donc alors ?

Eve (Ingénument) : Je sais… que je suis la côte-part de l’homme, et je sais le nom de mon compagnon, et aussi le nom de ce jardin.

Silence.

Isaac Newton : Est-ce là tout ?

Eve : Ben oui.

Isaac Newton (Levant les yeux au ciel) : Dieu ! Cela est-il possible… Cette enfant est l’incarnation même de la candeur originelle !

Il prend Eve par le bras, délicatement.

Mon enfant, puisque vous me semblez ignorer toutes choses, mon devoir est de vous enseigner ce qu’est le Bien et ce qu’est le Mal, ce que signifie être nu et ne l’être pas, ce qui explique le fait que cette pomme, que je lâche, choit plutôt qu’elle ne s’élève et d’autres choses aussi qu’il est bon de savoir…

Ce qu’il fait.

Un peu plus tard, dans le même jardin. Un homme, parfaitement nu, apparaît. Il cueille, ici et là, quelques fruits mûrs puis, satisfait de sa récolte, s’assied au pied du pommier où il en commence la dégustation. Apparaît Eve. Des feuilles de figuier cousues entre elles voilent sa nudité. Elle ne semble pas avoir remarqué la présence de l’homme…

L’homme (Montrant les dents) : Grrr…

Eve (Sursautant) : Tu m’as fait peur !

L’homme : Qui es-tu ?

Eve (Ménageant son effet) : Je suis… « Le Grand Malheur de l’Homme » ! Et je sais ce qu’est le Bien et ce qu’est le Mal, ce que signifie être nu et ne l’être pas, ce qui explique le fait que cette pomme, que je lâche, choit plutôt qu’elle ne s’élève et d’autres choses aussi qu’il est bon de savoir… et toi ?

L’homme : Je suis Adam, le premier homme.

Eve (Incrédule) : C’est toi Adam ?

L’homme : Ben oui.

Eve : N’as-tu pas honte de te promener tout nu !

Adam : Tout nu ?

Eve : Tiens ! Prends ces feuilles de figuier et noue-les-toi autour de la taille…

Adam : Pour quoi faire ?

Eve (Agacée) : Oh, par pitié… ne commence pas à discuter !

Adam s’exécute.

Adam : Comme cela ?

Eve : Ouais… Ca ira pour le moment.

Silence.

Eh ben ?

Adam : Eh ben quoi ?

Eve : Tu ne veux pas savoir ce qu’est le Bien et ce qu’est le Mal ? Ce que signifie être nu et ne l’être pas ? Et pourquoi la pomme choit quand on la lâche plutôt qu’elle ne s’élève ?

Adam : Pour quoi faire ?

Eve (S’emportant) : Ce que tu peux être ballot !

Adam : Ballot ?

Eve : Niais.

Adam : Niais ?

Eve (Levant les yeux au ciel) : Dieu ! Cela est-il possible… Ce nigaud est l’incarnation même de la candeur originelle !

Elle saisit Adam par le bras, brusquement.

Mon biquet, puisque tu ne connais rien à rien, il faut que je t’apprenne deux ou trois choses qu’il est bon de savoir…

Ce qu’elle fait.

Un peu plus tard, dans le même jardin. Adam et Eve se récitent mutuellement les tables de multiplication. Paraît Dieu. Il semble fâché…

Eve : 3 x 8 ?

Adam : Euh… attends un peu voir… 15 ?

Dieu (Rugissant) : Adam !

Adam et Eve courent se cacher au milieu des arbres du jardin.

Adam !

Adam paraît, la mine déconfite, suivi d’Eve.

Tu pourrais répondre quand on t’appelle !

Adam : J’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché.

Dieu (Apoplexant) : Qui t’a appris que tu es nu ?

Adam (Désignant Eve) : C’est elle ! C’est sa faute à elle, moi je lui ai rien d’mandé ! Elle est venue me…

Dieu : Ca va, ca va !

Se tournant vers Eve

Pourquoi as-tu fait cela ?

Eve (Revêche) : Ben quoi, c’est interdit ?

Dieu : Précisément.

Eve : Pfeuh ! Qu’est-ce que j’en savais moi…

Dieu : Justement ! Dis-toi bien que si tu ne savais pas, c’est parce que tu ne devais pas savoir. Je ne t’ai pas créée pour que tu viennes lui fourrer des idées plein la tête mais pour que tu engendres sa postérité.

Eve (S’insurgeant) : Quoi ?

Dieu : Quoi quoi ?

Eve : J’suis pas une poule !

Dieu : Dis-donc Eve, veux-tu bien me rappeler qui de nous deux est le Créateur et qui est la créature ?

Adam : C’est toi le Créateur ô mon Dieu !

Eve : Lèche-bottes !

Adam : Tais-toi donc carogne !

Eve : Attends un peu…

Adam et Eve s’empoignent.

Dieu : Il suffit !

Adam et Eve se désempoignent.

Vous n’avez pas l’air de bien vous rendre compte de ce que vous avez fait, mes enfants, et cela me chagrine. Il n’a pas seulement fallu que vous provoquiez mon courroux mais voici encore que je ne trouve rien dans votre attitude présente qui me porte à croire que vous vous en repentiez. Une sincère contrition eût pourtant suscité ma mansuétude mais puisqu’il n’en est rien, votre châtiment sera exemplaire…

Adam : Pitié ! Ô Seigneur tout puissant, Créateur de toutes choses et…

Dieu : Ca va, ça va !

Se tournant vers Eve, citant ses sources

« J’augmenterai la souffrance de ta grossesse, tu enfanteras dans la douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi ». (Genèse, chapitre 3, verset 16)

Eve (Marmonnant) : Et puis quoi encore…

Dieu (Se tournant vers Adam) : Quant à toi mon bonhomme, « puisque tu as écouté la voix de ta femme, le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière ». (Genèse, chapitre 3, versets 17, 18, 19)

Dieu disparaît.

Adam : Tu es contente ?

Eve : Oh eh, écrase tu veux…

Adam : Comment ça « écrase » ! A cause de toi, je vais dev…

Dieu reparaît.

Dieu : J’oubliais… Vous avez deux heures pour faire vos valises et déguerpir d’ici. Allez ouste !

Dieu redisparaît.

Adam et Eve : Ouste ?

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