Une déesse qui s'ennuie

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"Moi, déesse, je m'ennuie à mourir, si je le pouvais. Pour passer le temps, il me plaît de décrire mes journées et ma vie aux mortels qui m'écoutent. Si ces règles ne vous conviennent pas, partez avant que je vous balaie d'un revers de main."

Dans son grand et large fauteuil se tenait la déesse, trônant dans son monde de douceur et volupté. Des hommes autour d'elle agitaient langoureusement des palmes séchées, provoquant une brise légère qui s'abattait sans force sur le corps de la déesse. Celle-ci prit une longue inspiration et ferma ses yeux, avant de lever la main pour faire cesser ces rafales interminables. Les hommes s'éloignèrent discrètement, laissant la déesse seule avec toutes ses pensées et ses richesses. Elle se demandait ce qu'elle ferait du reste de sa journée : allait-elle marcher le long du fleuve sans fin, cueillir les fruits des arbres abondants, s'amuser d'un de ses hommes obéissants... Sans pouvoir choisir, elle étudiait inlassablement tous les possibles de son existence. Enfin elle choisit dans son esprit comment elle occuperait un peu de son temps infini : un sourire se dessina lentement sur son visage dont les yeux étaient restés clos et elle entreprit de se lever.

Lentement, encore, elle posa les bras sur son siège et de la force de ses jambes et de ses bras elle réussit à lever son corps et son âme si pesants. Enfin debout, elle laissait voir toute la richesse dont elle était habillée : des tissus de soie fine aux couleurs capiteuses, des vagues abondantes de perles tantôt rondes comme des planètes, tantôt baroques, une multitude de petits diamants aussi brillants que des étoiles, et autour de son cou fin un collier de nuages cotonneux aux noeuds de Parques.

Soudain, le sourire qui s'était dessiné si patiemment sur son visage s'estompa. Non, finalement, elle ne ferait rien ce matin. Finalement, elle ne ferait rien d'autre que penser. Pensées sans fin, comme sa vie, qui sans cesse lui rapellaient son infinitude : tant de temps que de possibilités.

L'ennui, pire que la mort pour la déesse, la tuait à petit feu sans jamais la consumer. Elle se sentait mourir de ne pouvoir que vivre ! Depuis longtemps, cette condamnation d'éternité s'était mue en peine infernale dont les bourreaux auraient oubliés de donner les supplices...

À cette pensée, elle appela d'un haussement des sourcils un de ses gardes. Elle tendit le bras et celui-ci, d'une manière si mécanique qu'elle en trahissait l'habitude, souleva un voile et appuya sur le bras nu de la déesse son arme piquante. Aucune goutte de sang sortit de la plaie, pas de perle rouge coulant le long du bras jusqu'aux dentelles opalines. Un soupir, c'est tout ce qu'obtint la déesse de cette blessure.

Bien enfouie dans son fauteuil immense, la déesse s'assoupit. Ainsi rien ni la mort, ni la douleur, ni les plaisirs ne saurait la délivrer de cet éternel ennui...

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