Lucky.

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 Tout le monde m'appelait Lucky, cela signifie « chanceux », « heureux » en anglais. Je ne sais pas si j'étais réellement fortuné. Même si ma vie n'était faite essentiellement que de noir, de blanc et de nuances de gris, je me disais qu'il y a plus malheureux que moi dans ce monde. Je ne pense pas qu'on m'ait donné ce nom à la naissance, mais c'est le seul que je connaissais, alors je le gardais.

 Je vivais dans la rue. Enfin plus exactement à l'intérieur une voiture abandonnée dans un parc. Ne me demandez pas comment elle est arrivée là, je n'en avais aucune idée. Personne n'avait pris l'initiative de la déplacer. Parfois les gens ont des comportements étranges. Cela faisait tellement longtemps qu'elle était ici, la plaque d'immatriculation s'était décrochée. Au fil des saisons, un arbre avait dissimulé le véhicule sous ses feuillages. Alors j'en avais fait mon chez-moi, un petit nid douillet, à l'abri des regards. C'était un assez vieux modèle, mais la banquette arrière restait confortable. J'étais content de la retrouver à la tombée de la nuit, après une longue journée. Parfois, quand il pleuvait, je restais bien au chaud, je ne mettais pas le nez dehors.

 De plus, je n'étais pas dérangé par les voisins. Pour cause, je n'en avais pas. En réalité ce n'était qu'à moitié vrai, une famille de souris avait élu domicile dans la voiture. J'avais grogné en les apercevant, mais je m'étais habitué à leur présence. Le goût de la solitude ne durait qu'un temps.

 Il eut une journée de printemps où je ne trouvai pas à manger. Les gens n'avaient pas été très généreux, ce jour-là. D'habitude, ils me donnaient des restes de leur repas, cela leur évitait de gaspiller. Ils avaient l'impression d'avoir fait une bonne action. Alors en rentrant, ce soir-là, je fouillai sous les sièges passager et conducteur. Je retrouvai un os de côte de bœuf avec encore un peu de viande dessus et je léchai le fond d'un pot de yaourt aux fruits pour bébé que j'avais chapardé, il y avait quelques semaines. Pour survivre, on fait comme on peut.

 Le lendemain, je retournai en ville, pour rencontrer quelques âmes charitables. Mais comme la veille, personne ne voulut me nourrir. Alors je me rabattis sur les poubelles. J'éventrai quelques sacs dans une ruelle. Puis je vis de jeunes adolescents arriver à vélo. J'étais assez sociable, alors je voulus aller les saluer. Et puis j'étais assez connu dans le quartier. Tout le monde savait qui j'étais.

 D'ailleurs les jeunes m'interpellèrent pour que je les rejoigne. Mais je fis quelques pas en arrière quand je m' aperçus qu'ils tenaient des bâtons à la main. Je gémis doucement.

 Je fis demi-tour et me mis à courir. Un de leur petit camarade me barra la route. La peur commença à naître au creux de mon ventre. Je grognai pour qu'ils me laissent partir. Sans résultat. Ils continuèrent d'avancer et de m'encercler. Je sentis l'odeur de mon propre effroi.
 Puis une pluie de coups s'abattit sur moi. Des coups de bâtons, des coups de pied, sur la tête, dans le ventre, dans le dos, dans les côtes. Tous mes muscles furent meurtris par la douleur mais la peur me paralysait. J'attendais qu'ils se calment.

« Sale bâtard, m'insultèrent-ils à tour de rôle. »

 Au bout de quelques minutes, les coups cessèrent. Je les entendis s'éloigner. J'attendis quelques instants avant d'essayer de me relever. Toutes les parties de mon corps me faisaient souffrir. J'arrivais à me redresser après plusieurs tentatives. Je boitais mais je parvins à marcher. Chaque pas me semblait encore plus insupportable que le dernier. Mais il fallait que je rentre, que je me protège dans ma voiture.
 Après de longues et interminables minutes de marche, je me hissai sur la banquette arrière du véhicule et m'effondrai.

***

 Je me réveillais, je ne savais pas combien de minutes, d'heures ou de jours s'étaient écoulés depuis mon agression. Cependant la douleur était toujours vive. J'étais mouillé à plusieurs endroits, soit de sueur, soit de sang. Je gémis. Je n'avais aucune force. Je ne pouvais pas bouger pour l'instant. La douleur était telle, que je me rendormis pour une durée que je ne pouvais déterminer.
 Ce qui me tira de mon sommeil furent les cris joyeux d'une enfant. Elle devait se promener dans le parc. Elle riait de bon cœur. En l'entendant, une douce chaleur émana de mon ventre. C'était agréable. J'essayai de bouger, mais je geignis à cause de la souffrance. Je hurlai presque.

« Regarde Maman !! Regarde !! Il y a une voiture !! »

 Je l'entendis courir vers le véhicule, sa mère essaya de l'en empêcher, elle poursuivit son enfant, et elle s'approcha enfin de mon antre, passa la tête par la portière arrière gauche ouverte. Je me retrouvai nez à nez avec la petite fille. Je gémis de nouveau. Elle ouvrit grand ses beaux yeux bleus. Un immense sourire se dessina sur son visage.

« Regarde Maman !! Regarde !! Il y a un chien !! »

 Malgré la douleur, je parvins à bouger la queue et à dresser mes oreilles. Sa mère la rejoint, un peu essoufflée.

« Oh oui, et il a l'air mal en point, dit-elle inquiète. »

 La jeune femme s'approcha de moi, et tendit sa main pour me caresser. Je me laissai faire.

« Ne t'en fais pas, on va s'occuper de toi. »

Pour la première fois, de ma vie, je pouvais le dire, j'étais « lucky ».

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