Aline

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Allongée sur le ventre, j’attrape le livre qui se trouve sur la table de chevet. Seule dans la chambre, j’attends que Guillaume revienne avec un verre d’eau. Je frôle de mes doigts les pages de ce petit manuscrit écrit par un grand dramaturge. Hamlet... J’ai eu l’occasion de l’étudier brièvement en première année de lycée. J’avais vraiment apprécié l'aspect psychologique de cette histoire, dont le personnage principal, sombre dans la folie. Perdu entre la réalité et les jeux de rôle qu’il doit tenir.

J’entends un craquement. Je me retourne et aperçois monsieur parfait, en boxer noir, accoudé au chambranle. Il m’observe sourire aux lèvres. Il s’approche lentement et s’assoit au bord du lit. J’ai envie de le taquiner un peu :

- Alors, comme ça les motards lisent aussi Shakespeare?

Je récupère le verre qu’il me tend et me désaltère en écoutant sa réponse :

- Tu as une vision bien erronée des hommes en moto. Nous ne sommes pas tous de gros barbus, tatoués, avec un aigle américain brodé sur une veste en cuir.

Son regard chocolaté croise chaleureusement le mien.

- Combien le train du monde me semble lassant, insipide, banal et stérile, me répond-il avec mystère.

- C'est dans Roméo et Juliette ? Un grand classique en effet.

- C'est plus qu’un simple classique, me reprend-il, c’est une vérité poignante !

- L’envie de mourir par amour ?

Il attise ma curiosité.

- Tu n’as jamais ressenti ça ?

Je réponds avec sincérité :

- Non. J’ai été amoureuse oui, au point d’en être stupide. Mais jamais à en arriver jusque là…

Mon manque d’expérience sur ce sujet me rend fragile.

- J’ai déjà connu cette envie viscérale d’en finir une bonne fois pour toute avec la douleur. Perdre l’amour de sa vie laisse l’ombre d’un doute sur notre existence.

Je bois ses paroles comme de l’eau de source. Le silence qui s'ensuit n’est absolument pas pesant. La connexion entre nous deux reprend son souffle, petit à petit. Ce soir, il m’a laissé entrevoir une palette de couleurs en lui qui m'éblouit. Je colle bout à bout tous ces souvenirs sur le mur de notre rencontre.

Son regard brûlant me réchauffe. L’appel des sens est trop fort. Nous ne pouvons pas y résister. Ses mains viennent frôler les miennes lorsqu’il attrape le livre et le pose, sans me lâcher des yeux. Mon coeur s’agite. Sa main vient rabattre quelques mèches de cheveux dans mon dos. J’en frissonne. Il trace ensuite avec sa paume, une ligne invisible jusqu’à la cambrure de mes reins et je gémi.

- Aline ? Que fais-tu ici ?

La voix surprise de Guillaume vient percuter mon coeur. Et me voilà perdue !

- Pardonne moi, je n’aurai pas dû venir !

Effrayée, je décide de fuir. Alors que je m’éloigne, je suis brusquement stoppée dans ma course :

- Attends ! Reste, il faut qu'on parle.

Son regard insistant me fait capituler.

- Je suis venue parce que je n’avais pas le choix, précisé-je. Mais tu as raison il faut qu’on parle.

Guillaume suit la ligne imaginaire que je lui indique jusqu’à la voiture de Lili. Sa meilleure amie, déjà discrète, se tasse de plus en plus sur son siège lorsque le regard perçant de Guillaume s’installe sur elle. Inutile de semer la discorde entre ces deux là, cette journée fut assez éprouvante. Je prends sa défense :

- Ne soit pas trop dur avec elle, c’est moi qui ai accepté de venir.

- Lili a besoin d’être recadrée de temps en temps.

Il m’invite à entrer et je le suis. Dès que mes pieds frôlent son salon, ma tête se met à tourner.

Dos à lui, je sens son souffle contre mon cou. Je frémis. Sa main vient encadrer ma hanche et se pose sur mon ventre. Je sens sa poitrine contre moi. Ses lèvres se déposent sur ma nuque, pour se déplacer petit à petit vers le creux de mon cou. Je m’appuis sur lui en gémissant.

- Tu veux boire quelque chose ? me demande t-il.

- Hein ?

Je me retourne et le trouve à plus de deux mètres de distance de moi. Je réalise alors m’être laissée emporter par mon imagination. Je me reprends et réponds en le fuyant du regard :

- Non merci. Je suis venue te présenter mes excuses pour tout à l’heure.

- Je n'ai pas besoin de te pardonner, Aline. Si on y réfléchit bien, c'est moi qui ai débuté les hostilités au café.

- Ce que tu m'as dit ce jour là, m'a vraiment fait mal.

Il s’approche lentement et relève mon menton du bout de son index pour capter mon regard. Je lutte pour ne pas le croiser mais je cède. Mon coeur bat à tout rompre.

- Je le sais et je m'en excuserai mille fois s'il le fallait. Aline, je…

Troublé lui aussi, il peine à s’exprimer. Il recule et se frotte nerveusement la nuque, il continue :

- J’ai besoin de… Il faut que...

-S'il-te-plaît ne dit rien Guillaume !

Je préfère l’interrompre. Il est temps de tourner la page. Si je ne le fais pas maintenant, le souvenir de mon père au lendemain de cette nuit n’aura de cesse de me hanter. J’enchaîne avec assurance:

- Je n'ai plus la force de lutter. Oublions tout et repartons sur de bonnes bases, tu veux bien ?

Il m’observe les yeux arrondis, comme si je venais de l’insulter ou pire. Il me répond irrité :

- Est-ce qu’il faut que je te rafraîchisse la mémoire ? Nos bases étaient plutôt bonnes cette nuit là, non ?

- Ce qui est fait est fait. Et pour le bien-être de Nathan, nous devons tourner la page. Tu comprends ?

- Tu n’es pas sérieuse ?

Hébété, il fait les cents pas dans la pièce. Il semble qu’une fois de plus nous n’allons pas dans la même direction.

- Tu l'aimes ? me demande t-il.

- Quoi ?

- Tu m'as très bien entendu.

Je dégluti avec difficulté et tente une réponse :

- Je tombe amoureuse oui.

- Mauvaise réponse, Aline. Je te demande si tu l'aimes et non pas si tu ressens un quelconque sentiment banal d'adolescente.

- De quoi tu te mêles ?

Alors là, je suis furieuse ! Je n’ai aucun compte à lui rendre.

- Qu'est-ce qu'il t'a fait pour que tu sois aussi... attachée à lui ?

- Mais ça ne te regarde pas !

- J'ai pris le temps de faire quelques calculs. Il semblerait que tu nous aies rencontrés en même temps, lui et moi. Et qui sais, tu couchais déjà peut-être avec nous deux !

Je rêve. Par pitié, dites-moi que je rêve. Il me reproche ses propres déviances ? C’est lui le séducteur ! C’est lui qui a tout mis en œuvre pour me mettre dans son lit. C’est lui qui m’a empêché d’être auprès de mon père la nuit de son infarctus ! Tout est de sa faute ! Qu’il aille au diable !

- Non, là c'est trop ! Tu me manque encore de respect !

Je quitte la pièce en accélérant le pas. Mais avant même d’atteindre la porte qui me libérera de lui, son bras me rattrape et brûle ma peau. Il me retourne violemment et je suis obligée de poser mon autre main sur son torse pour garder mon équilibre. Troublée, je sens sa poitrine battre, au bord de l’explosion. Mes cheveux en bataille me collent au visage. Il y a même une mèche sur ma bouche qui s’agite au rythme de ma respiration. Il ne suffit que de quelques secondes pour que ses yeux me supplient. Que sa main libère ma joue. Et que ses lèvres se posent sur les miennes...

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