L'Homme en Noir

9 minutes de lecture

Musique d'Inspiration : https://www.youtube.com/watch?v=VP2BQCWUGeA

23h43. Quai numéro 8.


L'homme en noir avance. Sous les néons vacillants de la gare, derniers souffles secrets guidant les voyageurs dans la nuit, il se déplace comme une âme, avançant sans un bruit.


Il tient dans sa main une mallette, au contenu qu'au final, personne ne devrait connaître.
Le pas presque léger, fantôme d'encre dans cette nuit étoilée, l'homme en noir soulève sous ses pieds les poussières s'enroulant à ses chaussures. Elles semblent vouloir le retenir, l'empêcher de commettre cet acte.

Mais il ne les écoutera pas. Même la lune, à-haut, l'implorant de son air blafard, ne parvient pas à le faire ciller.


Car l'homme en noir sait ce qu'il fait. Car l'homme en noir se souvient.


Il se souvient de ce cabaret ce soir là. Des dames aux robes aux couleurs criardes, dont on ne distinguait même plus la teinte sous les lumières éblouissantes des lustres. Il se souvient de ses effluves d'alcool, de sueurs et de rires mêlés de fumées de cigare, qui voguaient vers le plafond vermeil.


Il se souvient avoir vécu cette scène comme s'il l'avait vue en rêve. Ou derrière un immense écran spectral, comme si cette vue lui était envoyée depuis l'au-delà.


Et pour cause. En bon garde et soldat qu'il était, il n'avait pour seule consigne que de ne rien toucher, hormis ceux tentant de perturber l'ordre de la fête.


Il se rappelle de cette musique entêtante, de ces relents infernaux qui lui envahissaient jusqu'à ses poumons, l'exaspérant. Il avait autant serré sa mâchoire que son corps l'était dans son costard.


Il se souvient des danses à la grâce forcée de ces femmes à la beauté impeccable, pivotant tels les pantins d'un manège cassé, répétant inlassablement la même valse étourdissante. Elles et les hommes les accompagnant étaient les vestiges d'un échiquier géant, les marionnettes d'une prison fantastique, les gardiens d'un cirque de papier. Les statues cruellement vivante d'un cimetière fastueux.
Il se sentait bien plus en chair, vivant et réel, dans son uniforme serré que chacun des convives dans leurs tenues légères.


Puis elle était apparue.


L'homme en noir se rappelle de sa robe. De ces rubans ébène emprisonnant sa silhouette blanche dans une robe de même couleur. Elle était l'anomalie de la soirée, le démon fait de noir qui, au milieu de ses couleurs si vives, était intensément plus vivante que n'importe quoi.


Il aurait justement donné tout ce qu'il avait pour la suivre d'autre chose que du regard. Il la voyait déjà serpenter entre les convives qui la dévisageaient d'un air méprisant. Ils l'exécraient, cette beauté sinistre et mélancolique qui d'un seul de ses pas, balayait leurs couleurs et leur faste par son éclat et son cran.


Il avait une envie irrépressible de découvrir son visage.
L'homme en noir se souvient de cette lueur divine, en provenance du lustre, qui avait révélé son visage. Ce blanc dans lequel il cru qu'il finirait prisonnier. De cette bouche d'un rouge si violent qu'il le fit presque sursauter. Mais surtout...


Il avait chuté dans ses yeux.


D'un bleu à faire de vos veines des blocs de glace. La demoiselle avait des yeux d'un bleu gelé. Si bien qu'avec son teint et si elle n'avait pas eu ses lèvres rouges, l'homme en noir l'aurait crue morte.
Il n'y a qu'une chose dont l'homme en noir ne se rappelle pas. C'est comment il s'était retrouvé à raccompagner chez elle cette demoiselle.


Mais l'homme en noir se souvient de cette porte de bois couleur sable qu'elle avait poussée. Il se souvient, de cette marche pressée dès qu'elle avait franchi la porte, à moins que ce ne soit lui qui, d'une main fantôme, l'avait faite pénétrer à l'intérieur avant de fermer la porte d'un coup de pied.


L'homme en noir se remémore par contre très précisément de ces mains saisissant ce corps frêle, pensant le briser entre ses doigts tremblants de désir. Il se rappelle avoir soulevé du bout de son nez le carré noir des cheveux de la belle, pour y fourrer une bouche affamée.


Il se rappelle du parfum et de la saveur de cette peau, qui était aussi pâle que riche d'arômes. Il y sentait des feuilles d'automne, le miel brûlant et la fraîcheur de la rosée matinale. Fabuleux festin de chair qu'il perpétuait au mouvement de sa langue pendant que sa partenaire, le cœur battant au rythme des caresses, cherchait à l'aveuglette la direction de la chambre.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------


L'homme en noir est monté dans le train. Depuis cette nuit dont il voit chaque passage dans ses rêves, la suite des événements s'est dessinée pour lui comme la partition d'un orchestre.


Ses pas touchent à peine le sol sous son manteau long, alors qu'il progresse à travers les wagons. Le train redémarre. La silhouette de l'homme en noir s'oublie parfois. Le train, s'il n'effleure pas la lumière, ne donne à personne la possibilité de connaître l'existence de cet homme.
La malette est lourde, fastidieuse à porter. Ses pas sont lents, s'écrasant au sol à chaque fois que la lumière disparaît.


L'homme en noir se souvient de cette valse tendre et sensuelle qu'il avait donné à sa partenaire.

Une main glissant le long de la vertigineuse robe couvrant la totalité de ses jambes, il avait cherché un moment l'endroit où la faire remonter. Ce geste lui permit de découvrir des trésors éclatants. Des belles jambes crèmes, couvertes de bas opaques, le tout surmonté sur des petites chaussures à talons. La demoiselle pivota sur lesdits talons et emporta avec elle sa robe, la nuit, et tout ce que l'homme en noir pensait connaître du désir. Déjà abaissé suite à son geste pour soulever la robe, il termina de s'agenouiller, penaud.


D'un mouvement étonnament protecteur, la demoiselle couvrit le corps de son invité de sa robe.


Enfermé dans un sanctuaire ardent, aussi obscur qu'étroit, il n'eut pour se guider que ses mains, sa langue et encore un fois le bout de son nez.
Il tâta très prudemment autour de lui. Il rencontra tout d'abord une cheville qu'il entreprit d'attraper. La soulevant délicatement, il retira une première chaussure à sa douce, puis l'autre.


Voyant que la dame coopérait, il entreprit de continuer son exploration à l'aide de sa langue.

Lentement, il remonta le long du bas que portait la jeune fille. Il attrapa entre ses dents le sommet de ce denier, et le descendit. Il remonta une nouvelle fois avec sa langue, goûtant cette peau à la douceur fervente. Il aspira chaque centimètres de cette friandise, savoura les arômes qui s'en dégageaient, toujours plus nombreux, avant de savourer le fruit le plus juteux.


Sous les gémissements de son opinâtre victime, le garde du corps lui saisit les fesses pour se délècter de son entre-cuisse. Il sentit chacun des muscles de la demoiselle se raidir de surprise et de plaisir. Il se détendirent en un souffle de bonheur avant de se contracter à nouveau. L'homme en noir dégustait le délicieux fruit qui lui était offert, chauffant de sa langue le tissu de la culotte de la douce. Cette dernière griffait de ses ongles la tapisserie, son corps formant des à-coups démontrant de manière évidente ce qu'elle voulait pour la suite.


D'un doigt sûr, l'homme en noir ôta le sous-vêtement protecteur, se délectant du nectar directement à sa source. Il embrasse cette bouche ardente avec une ferveur telle qu'il en soulevait presque le corps de la demoiselle. Cette dernière, la gorge rugissante de cris, voyait sa robe former des arabesques de plus en plus étranges et ses pieds quitter progressivement le sol.


La lumière dans le train, rappellait à l'homme en noir celle de ce soir là. Tamisée, discrète et confidente, elle laissait voir ce corps tremblant sous son joug, ce visage à l'expression déchirée de plaisir, et cette tapisserie aux délicates armoiries blanches sur fond bleu safre.


Mais ce soir, dans le véhicule, la lumière était d'une fraîcheur polaire. Austère. Là où elle était d'une chaleur voluptueuse et tropicale dans cette chambre.


Après ces doux préliminaires, il était sorti de sous la robe. Il se rappelle s'être relevé comme un spectre, un esprit terrifiant venu la faucher.


Rien ne semblait plus lui plaire. Calme et fascinée, la douce voyait ses fantastiques yeux bleus éclairés d'un rayon lunaire cristalin.


Faussement galant, il avait pris dans sa grande main la petite fleur à cinq branche de la demoiselle. D'un regard ardent, il avait porté cette main à ses lèvres, fixant intensément sa partenaire de danse.
La lune n'avait pas besoin de révéler les iris de l'homme en noir : ils avaient la même couleur que l'éclat luniare.


D'un geste lent, il fit tournoyer sa douce, la retournant afin qu'elle lui offre son dos. Il s'extasia devant cette chute de rein outrageusement cachée par le tissu de la robe et le délicieux quadrillage de ruban qui enlaçait le corps. L'homme en noir décida de mettre fin à ce blasphème. Attrapant entre ses dents l'un des bouts du cordon, il le tira doucement. La belle se cambra sous la griffure du tissu sur sa peau, promesse d'un futur moment bien plus sauvage.


La robe s'affaissa comme le rideau d'un théâtre aux pieds de la demoiselle pâle. L'homme en noir, toujours habillé derrière elle, commença à lui lécher le dos. Sans qu'il ne comprenne pourquoi, le douce réagit d'une manière presque extrême. Les ongles plantés dans le mur, la bouche criante, elle semblait remarquablement sensible à ce genre d'attention. L'homme en noir, d'un regard pervers, ne se fit pas prier et continua son traitement. La demoiselle se débattait presque, ses octaves augmentant à chaque coup de langues sur sa colonne vertébrale. Le garde du corps n'oublia pas, au passage, de pincer, tâter et lacérer les jolies petites fesses rebondies de la demoiselle. Contre ce popotin charnu tambourinait déjà le membre de l'homme en noir, qui mourrait d'envie de déchirer son foutu costume pour prendre cette délicieuse femme sur le champ.


Il lui fallut un énorme effort et un contrôle de soi sans faille pour continuer ses coups de langues dans le dos de la douce. Cette dernière sentait éclater dans son ventre des chaleurs et des saveurs qu'elle n'avait jamais connue. Chacune des cellules de son dos semblait prendre feu au contact de la langue timide de son partenaire. Ce dernier lui teint bientôt les poignets dans le dos, remontant sa langue sur toute la longueur de sa colonne vertébrale. La demoiselle cria, le suppliant de commencer le festin.


Il recula.


Bien mal lui en prit. La petite minette, maline, le fit basculer d'un geste sur son lit. Lentement, elle s'approcha de lui et plaça chacune de ses mains de chaque côté du corps de sa proie, le surplombant comme une lionne.


L'homme en noir sentit tout éclater en lui. Pas seulement son caleçon, non. La vue de cette petite créature, encore serrée dans son corset noir, en train de l'escalader comme une féline sur le point de le dévorer, l’emprisonnait totalement. Il avait véritablement envie qu'elle lui fasse tout ce dont elle avait envie.


Et ce fut le cas. Il ne su pas exactement tout ce qu'elle lui fit, mais le plaisir qu'il en tira le poussa à découvrir sa voix comme jamais il ne l'aurait imaginé.


La douce le chevauchait à présent. Elle l'avait débarrassé de ses vêtements, de sa gêne et de sa méfiance. D'une main sûre, elle avait prit les rubans retenant sa robe, abandonnés sur le bord du lit, et les avait attachés autour des épaules de l'homme en noir. Ce dernier n'avait d'abord pas compris.
Puis la myriade de sensation qui l'avaient envahit le dissuada de chercher. A califourchon sur son corps, les rubans tenus dans ses mains comme les reines d'un cheval, la petit minette exécutait sur lui une danse endiablée. Il se rappelait avoir juré sur Dieu et tous ses apôtres, et peut être sur d'autres divinités n'existant même pas.


Le lendemain, le nom d'Hélène envahissait la totalité de sa tête, de ses lèvres et de son existence. Et son visage, pendant trois ans, fut le centre de leur bonheur, jusqu'à ce qu'elle disparaisse.

-----------------------------------------------------------------------------------------------

L'homme en noir progressa jusqu'au dernier wagon. Véritable fantôme, il s'était foutu de tous les regards qu'il avait croisé. Aujourd'hui, seul celui de la mort lui importait. Il ouvrit la dernière porte.


Là, sagement assis à leur table, trois hommes discutaient. L'homme en noir n'avait pas de haine en lui. Il n'avait plus rien. Les dernières forces composant son corps avaient été jetées dans des recherches acharnées pour trouver l'identité des individus lui ayant enlevé le seul être en ce monde ayant donné un sens à son existence.


Et ils se tenaient là. Tous les trois. Ses trois meutriers. Il n'avait même plus de haine lorsque, sortant de la malette une arme chargée, il la braqua sur ses cibles. Ni peur ni regret ne le gagnèrent lorsque, ouvrant le feu, il revit la scène lumineuse et animée de ce bal où il l'avait rencontrée.

Tout y était : la tapisserie rouge, la lumière aveuglante, la lune glaçante, et même certain convives.


Mais ce soir et pour le reste de sa vie, le pantin, c'était lui.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Sharenbi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0