Chapitre 8

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Le Briseur d'Essaims naviguait à pleine vitesse depuis de nombreuses minutes quand le Major clama.

— Oasis en vue, et l'armada apparaît déjà sur les échos radar. Tailles allant de la Cité Mobile à la frégate. Une vingtaine de Cités Mobiles recensées. Et de nombreux Essaims de Créatures les suivent.

À son poste de pilotage, J enclencha par la pensée le déploiement du bouclier et des moteurs anti-grav tout en se connectant à R pour communiquer à la vitesse de leurs esprits.

Le Dragon pourrait-il terrasser les Cités ?

— Nous n'aurons jamais assez de munitions.

— Et les tirs peuvent-ils les traverser ?

— Sincèrement, j'en doute. Tu voudrais les immobiliser pour que les Créatures s'en charge, c'est ça ?

— Ce serait parfait, en effet.

L'esprit de R se mit à sourire.

— Je vais te transférer la commande de tir dans ce cas. Et je serais toi, j'essaierais d'aligner les chenilles des Villes. Là, tu as plus de chance d'en arracher de grandes quantités d'un coup. Elles pourront encore tirer, tourner sur elles-mêmes, mais avec de la chance tu toucheras plus de ces forteresses roulantes d'un coup, elles s'effondreront sur le flanc ou en braquant involontairement elles entraveront leurs camarades.

L'esprit de J sourit à son tour.

— Tu es un génie.

— Je sais.

Le temps de leur discussion, les commandes de tir furent dérivées et les moteurs anti-grav et les réacteurs allumés, tandis que les chenilles commençaient à se replier au même titre que les mats et les voiles. Dans son écran, le Lieutenant de Vaisseau Roquetot vit l'armada apparaitre et zooma avant d'activer les transmissions de bord.

— Avis à l'équipage. De nombreuses frégates ont été déployées pour nous intercepter. Je vous recommande pour la première fois d'activer les semelles magnétiques pour ne pas être projetés dans tous les sens, parce que je ne peux nullement vous garantir la stabilité.

Le doigt sur la queue de détente des commandes, il s'orienta pour faire face à la Ville la plus proche de l'Oasis dont les tourelles étaient déjà prêtes à faire feu, et enfonça la gâchette. L'énorme projectile immobilisa presque la nef volante dont les réacteurs s'allumaient toujours doucement, tandis que l'obus blindé traversait quatre des petits navires venus l'intercepter avant d'arracher les chenilles avant gauche de la construction mobile pour ensuite exploser en la faisant basculer sur sa droite. Orientant les tourelles tout azimut pour faire feu, R clama.

— Pas mal ! Mais je pense sincèrement que tu devrais les prendre dans le sens de la largeur. Arracher deux systèmes chenillés coutera moins en énergie cinétique que la vingtaine qui se présente de face.

— C'est noté. Les moteurs sont chauds, on va pouvoir passer à la vitesse supérieure, accrochez-vous !

Basculant la commande de sa main gauche en avant, J lança son corps d'acier en avant à pleine vitesse. Les connexions étaient devenues si performantes qu'il avait pratiquement le sentiment de sentir le vent glissant sur la carlingue souffler sur sa peau, et un grand sourire embellit son visage, avant qu'un obus de petit impact ne frappe l'engin au-dessus de sa ligne de flottaison.

— Aïe, putain, ça fait mal !

Carla l'observa avec surprise.

— Tu as ressentis l'impact.

— Bien entendu ! Je le répète à longueur de temps, je suis ce navire !

Ouvrant un écran de travail, elle répondit.

— Alors je vais baisser l'intensité des récepteurs.

— Surtout pas !

La jeune femme regarda le pilote concentré sur sa course folle.

— Mais pourquoi ?

— Mieux je ressens, mieux je contrôle ! Baisser les récepteurs reviendrait à m'anesthésier ! Accrochez-vous !

Le Briseur d'Essaims éperonna une frégate par le flanc avant de la trancher en deux. Un des opérateurs demanda alors.

— Déploie-t-on les chaloupes ?

— Vous rigolez ? D'abord on survie et on gagne, et après on verra ! Les Villes Mobiles arrivaient lentement à portée de tir de l'Oasis, et quelques coups d'artillerie se firent entendre ici et là, alors que tout un lot d'armes de calibre plus conventionnel faisait feu sur les obus pour les détruire en plein vol. Pablo hurla alors.

— L'Oasis demande qu'on neutralise au plus vite les cités. Tant qu'ils devront s'affairer aux contre-mesures, ils ne pourront pas nous aider.

— Personne ne voit que j'essaie ?

Le Briseur d'Essaims tanguait de gauche à droite puis de droite à gauche pour éviter les tirs tandis que les tourelles tournaient en tous sens, tirant sans discontinuer, et que les canons de flancs ouvraient le feu à chaque navire passant à portée. Derrière la tête de proue, Long-Shot souriait, sanglé à un quadruple canon de vingt millimètres pulvérisant les roquettes et engins d'abordages de faible tonnage s'approchant trop près de son vaisseau.

— Il est doué ce petit !

Dérapant littéralement sur une centaine de mètres de long après avoir viré de bord, J fit feu par trois fois avec le dragon alors que la coque latérale du Briseur d'Essaims était parallèle à la ligne d'horizon et que ses passagers priaient pour qu'il parvienne à redresser la barre. Le projectile traversa les systèmes de motricité de trois Villes Mobiles qui se plantèrent dans le sol, l'une d'elle manquant de se retourner, tandis que leurs tirs partaient soudain en tous sens. Mais avant d'avoir pu repartir en remettant le vaisseau droit, le blindage du pont fut frappé par de nombreux impacts explosifs, et le pilote se tordit de douleur en hurlant. L'Officier Scientifique essaya de détacher son harnais pour venir l'aider, en vain.

— J, je suis bloquée !

— Je sais, c'est fait exprès ! Tu m'épileras les poils du dos une autre fois !

R releva la tête et demanda, surpris.

— Tu t'épiles le dos ?

Chassant le souvenir de la soirée qu'il avait chaperonné pour rester concentrer sur le combat, J murmura.

— Longue histoire...

Les tourelles finissaient de se réorienter vers les navires qui venaient de frapper les pirates quand de nouvelles explosions retentirent en même temps que les cris du pilote.

— Putain, ça fait mal !

— Cibles acquises !

Les tourelles firent feu alors qu'une troisième série d'explosions grêlait le blindage rétractable du pont, et R prévint.

— Cibles détruites.

Ruisselant de sueur et le souffle court, J marmonna.

— Rapport d'avarie ?

— Deux tourelles détruites, trois incendies en coursives en cours de neutralisation, blindage de pont enfoncé et... Oh mon dieu...

— Quoi ?

— La Justice est endommagée...

Tout à son pilotage, J essaya de contenir le choc de la nouvelle. La justice était le nom de leur figure de proue, un homme attaché, les yeux bandés et de grandes ailes déployées cachant les reliquats du blindage du pont quand celui-ci était replié, ce blindage qui n'avait jamais été endommagé, venait de rompre et d'être percé, alors que derrière lui se trouvait le Capitaine de Vaisseau, l'homme qui dirigea ce navire, celui qui avait tout appris à J et au reste de l'équipage, celui qu'ils suivaient tous les yeux fermés depuis des cycles lunaires. Son mentor. L'homme qu'il considérait comme son père. Poussant un hurlement de rage digne d'un dément, J redressa la barre avant de lancer son corps d'acier droit vers les Villes restantes, naviguant entre les chenilles et les zones d'amarrage dans une série de virages excessivement dangereux et confinant au suicide.

— R, vises tout ce que tu peux, et donnes l'ordre d'un feu à volonté. Je veux qu'on repende la mort dans leurs rangs sans la moindre délicatesse !

Sans opposé de résistance, R se résigna et transmit la directive tandis que certains bâtiments partis à leur poursuite s'écrasaient contre les chenilles ou se faisaient passer dessus du fait de leur manque de manœuvrabilité. Une première Ville Mobile vit ses fondations se fendre et commencer à rompre avant d'exploser et de déverser son carburant enflammé sur les engins poursuivants, tandis que le responsable d'artillerie poussait un cri de victoire.

— Allez, encore quelques-unes et c'est bon ! En plus, j'ai cru en voir certaines se rentrer dedans ou s'immobiliser pour essayer de faire demi-tour et les contourner.

Le Major enchaina.

— Les Villes Mobiles les plus à la traine viennent d'être rattrapées par les Essaims. Submergées serait plus exacte. Il reste trois Villes, ensuite l'Oasis pourra nous aider à détruire le reste de la flotte.

Reprenant son souffle sans retrouver son calme, J répondit.

— Rapport d'avaries, d'énergie et de munitions.

R Pencha la tête quelques secondes avant de répondre.

— Pas de nouvelles avaries, énergie à quatre-vingt pour cent, munitions à soixante-trois pour cent. Et si on déployait les mines ?

Un sourire carnassier se dessina sur les visages du barreur et du responsable d'artillerie, puis J prit la parole.

— Le temps de leur passer devant, et on dresse un joli rideau. Il vaut mieux couler les frégates, les gros bâtiments seront plus simples à avoir pour l'Oasis. Je vais activer la postcombustion et les doubler par la droite. Dites à l'Oasis de nous fournir un tir de couverture. Une fois le champ de mines déployé, on va se finir les villes !

Pablo n'eut pas fini de transmettre les consignes que le navire bondit en avant, dépassant les frégates tout en les noyant sous un déluge d'acier en fusion, avant de virer sur sa droite pour repartir à pleine vitesse, alors que sous la quille s'ouvrait une trappe vomissant une quantité incroyable de sphères noires d'un mètre de diamètre. Une fois le stock vide, le Briseur d'Essaims vira de nouveau sur sa droite en armant le dragon pour fondre sur les Villes Mobiles en postcombustion.

Un premier tir s'enfonça dans la plus proche d'entre elles, l'immobilisant lentement tandis que de nombreuses explosions internes la traversaient comme autant de pustules crevant sous la pression de ce qu'elles contenaient. Dans une ultime explosion, son sommet se disloqua en projetant des débris enflammés sur un large périmètre, alors que le Briseur d'Essaims alignait déjà le Dragon sur la Ville suivante pour faire feu. L'impact eut lieu à la jonction des systèmes de motricité avec la citadelle d'acier, et celle-ci fut séparée de ses supports mobiles pour s'effondrer sur le côté, pliant et rompant sous son propre poids, avant que la troisième Ville Mobile ne vienne commencer à en gravir les décombre avec lenteur. À son poste de pilotage, J jubila en pressant la queue de détente, et un dernier projectile fila la frapper dans ses fondations exposées par son ascension avant d'exploser quelques étages plus haut. La Ville s'immobilisa alors que de lourds fumeroles noirs et acres s'échappaient d'elle, et J tourna pour les délaisser, se concentrant sur le reste de l'armada.

— Dites à l'Oasis de faire feu sur tout ce qui bouge et qui n'est pas nous. Je saurais éviter ses tirs.

Carla le regarda avec inquiétude, avant de crier d'effroi.

— Tu saignes !

R se retint de se retourner pour partir aider son ami alors que celui-ci répondait.

— Bien sûr, j'ai essuyé des tirs. Entre les connexions synaptiques et les réactions physiques, je ramasse...

Du sang coulait de ses oreilles, de son nez et sa bouche, des connexions et visiblement de ses yeux, alors que le dos et le flanc gauche de sa chemise se teintaient de rouge, mais le pilote ne s'emblait pas s'en préoccuper.

— Je t'en prie, laisses-moi me détacher que je te soigne !

— Et qui pilotera pendant ce temps-là ?

— Mais tu vas mourir !

— Et si je ne pilote pas, tout le monde va mourir ! Alors tu fais comme moi, tu t'assois et tu serres les dents !

Le Dragon cracha sept fois de plus, emportant par le fond quelques croiseurs, cuirassés et destroyers, tandis que l'armement de l'Oasis transformait radicalement la topographie du secteur, et un quart d'heure plus tard le calme était revenu. Redressant son siège, J enfonça quelques commandes avant d'activer les transmissions internes.

— Ici le Lieutenant de Vaisseau Roquetot. Nous avons gagné. Je sais que nous avons des pertes à bord, mais nous avons gagné. Vous avez payé le prix fort de cette victoire, et je ne saurais jamais me montrer suffisamment reconnaissant. Je sais aussi que vous voudriez pleurer vos morts, mais pour le moment, il faut s'assurer que le Briseur d'Essaimons tienne le coup jusqu'à l'amarrage à l'Oasis. Encore bravo.

Le barreur sorti ensuite les chenilles et le vaisseau vint s'amortir lourdement dessus tandis que les moteurs anti-grav et les réacteurs se coupaient pour se rétracter en coque, puis il activa la procédure d'amarrage par pilotage automatique avant de se désangler de son poste de pilotage pour se relever en titubant, vite soutenu par R et Carla.

— On va t'emmener à l'infirmerie vieux frère.

J fusilla R du regard.

— Non. On va voir le Capitaine. Sors la bombe de coagulant, et cicatrice mon flanc. On doit avoir quelques canons qui ont explosé... Le reste n'est que lacérations.

Sans un mot, le responsable d'artillerie prit la trousse de premiers secours et en sorti une bombe qui pulvérisa un gel épais et bleuâtre sur le côté gauche de son ami tandis que celui-ci poussait un soupir de soulagement sous le regard incrédule de Carla, aussi R précisa-t-il.

— Il y a un anesthésiant dedans...

Reprenant sa place sous le bras et l'épaule de J, R l'emmena avec lui vers la figure de proue. Les coursives. Partout autour d'eux, les matelots s'affairaient à éteindre des débuts d'incendies, faire les réparations d'urgence ou apporter les premiers secours aux blessés qui ne pouvaient attendre l'équipe médicale, et les regards des Officiers s'assombrirent.

— Je sais ce que tu penses, J... Mais je ne pense pas que tu aurais pu faire mieux... En fait, je me dis que ça aurait pu être bien pire...

— Peut-être que si je n'avais pas perdu mon sang-froid...

— Tu aurais été moins audacieux, le conflit aurait duré plus longtemps, et nous aurions été coulés. Ce qui est fait est fait.

Ils arrivèrent sur le pont extérieur aux mats et voiles déployés, et avancèrent vers la figure de proue effondrée sur elle-même autour de laquelle s'activaient une dizaine de marins déblayant les débris métalliques. J tapota l'épaule de son collègue qui le lâcha pour partir les aider tandis qu'il boitait, soutenu par Carla.

— Tu es un pilote hors-pairs, J. Et un malade mental.

— Merci... Mais sans ton travail en amont, je ne sais pas si j'aurais réussi...

A peine arrivaient-ils aux décombres qu'un des hommes hurlait.

— Je l'ai, il est là ! Appelez Papa !

J se sépara de l'Officier Scientifique pour rejoindre l'équipe qui soulevait les derniers pans de blindages, avant de s'écrouler devant l'homme à terre. Le Capitaine de Vaisseau Armant Long-Shot de Lafayette gisait là, la peau brûlée en de nombreux endroits, l'uniforme déchirée et un épieu d'acier dépassant de vingt centimètres de sa cage thoracique. Son regard froid se tourna vers le barreur, et il sourit, alors que du sang s'écoulait entre ses lèvres.

— Félicitation, Mon Lieutenant. Vous avez sauvé mon bâtiment.

J lui saisit la main.

— J'ai été formé par le meilleur, Monsieur.

Long-Shot toussa avant d'inspirer profondément puis de répondre d'une voix rauque et fatiguée.

— Pas la peine de me cirer les pompes, gamin... Ta sanction va se finir dans quelques minutes... Et puis, ce bâtiment sera bientôt le tien...

Une larme coula sur la joue du jeune Officier qui peina à trouver ses mots.

— Bien sûr que non... Papa va vous sauver, vous le savez aussi bien que moi...

Libérant sa main de celle du barreur, Armant vint lui caresser la joue en laissant sur sa peau de longues trainées de sang et de cendres.

— Ce n'est pas tant les blessures... C'est ce cancer...

Les yeux des témoins s'ouvrirent largement quand il ajouta.

— Quitte à mourir, je voulais que ce soit avec panache. Merci de m'avoir offert cette opportunité. Ce fut un honneur de vous commander tous, mes amis...

Sa main retomba mollement sur le sol alors que les reniflements de douleur des hommes montaient lentement à travers le silence, et J murmura.

— Le vrai honneur fut pour nous tous, Monsieur.

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