Chapitre 3

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Alors même qu’il arrivait au poste de commande, le Lieutenant se retrouva nez à nez avec le Capitaine qui le dévisagea de son éternel regard froid.

— Nous allions voir les hommes qui ont souhaité nous rejoindre. Veux-tu venir avec nous ?

Le jeune Officier observa le Capitaine et sa suite, le Lieutenant de la timonerie et celui en charge des fantassins, avant d’opiner du chef.

— Je suis ce vaisseau. Alors je tiens à savoir qui l’arpente.

— Je n’en attendais pas moins de toi.

Sans un mot de plus, le jeune homme s’écarta, libérant le passage à son supérieur avant de lui emboiter le pas aux côtés des deux autres Lieutenants. Son collègue chargé de la timonerie le nargua alors.

— Ca va, pas trop la migraine ?

— Ta gueule…

— Allez, c’est bon… Je te taquine. Pas de séquelles ?

— Une cicatrice… Et je ne pense pas qu’elle va se montrer coopérative… Pour elle, nous ne sommes que des pirates.

L’officier en charge de l’Infanterie le coupa.

— C’est ainsi que les gouvernements nous désignent, je te signale.

Les poings de J se serrèrent.

— Parce qu’ils ont besoin que la vérité soit inconnue de tous. Mais nous sommes des libérateurs. Nous sommes l’unique espoir de ce monde…

Le responsable d’artillerie haussa les épaules.

— Je trouve qu’ils ne s’en sortent pas trop mal, si on passe le fait qu’ils vivent dans l’ignorance et qu’ils ne peuvent pas fouler le sol…

— R, dis ça encore une fois devant moi et je t’arrache les couilles en passant par la gorge.

Le Lieutenant de Vaisseau responsable de la timonerie Rodolph Carroteau dévisagea son acolyte en silence alors que le Capitaine de Vaisseau prenait la parole à son tour Lieutenant Jean Roquetot, je ne veux plus jamais entendre ce genre de paroles dans votre bouche. Votre collègue est libre de penser ce qu’il souhaite. Le plus important reste qu’il adhère à notre mission. Sachez, en outre, que nous sommes nombreux dans ce navire à partager son point de vue. En fait… Vous êtes le seul intégriste parmi nous.

J s’immobilisa quelques secondes, la bouche légèrement entrouverte, avant de balbutier.

— Comment ça, intégriste ?

Le Capitaine s’arrêta à son tour, les bras toujours croisés dans le dos, avant de se retourner et de se tenir droit et fier face à ses Officiers.

— Nous faisons ceci parce que nous pensons que c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour notre monde et l’espèce humaine. Vous le faites parce que vous pensez que c’est ce qui doit être fait, la seule et unique solution. Vous n’avez pas assez de souvenirs du monde d’avant, de la crise économique, de la pollution, des ravages provoqués par l’Homme, mais avez-vous vu le moindre sans-abri dans les Cités que nous avons attaqué ? Il n’y a plus de pauvreté, de manque ou de pénurie, le plein emploi est assuré et les Cités survivent très bien. Le prix a été exorbitant, et les moyens employés particulièrement abjects, mais les objectifs ont été atteints. Maintenant, nous voulons simplement que ces saloperies retournent là d’où elles n’auraient jamais du sortir, le noyau de notre planète. Maintenant, en route.

Sans un mot de plus, le capitaine du navire reprit sa route, suivi de prêt du responsable d’artillerie de du fantassin, avant que le barreur ne leur emboite le pas en réfléchissant au coup qui venait de lui être asséné. Dix minutes plus tard, ils arrivèrent sur le pont supérieur pour observer les cent-vingt-trois recrues potentielles qui étaient assises-là, recevant au besoin vivres et soins, et J sourit. Ils portaient tous au cou un collier désinhibant qui assurant un interrogatoire rapide et facile. Alors même qu’ils franchissaient la porte, un matelot du Briseur d’Essaims annonça leur arrivée et tous les hommes et femmes présents se mirent au garde-à-vous, y compris les candidats. Le quatuor d’Officiers vint s’arrêter devant ceux-ci, et le Capitaine les dévisagea tous. Il émanait en cet instant de cet homme bourru au corps immensément musclé et au cou de taureau un charisme et un magnétisme que seuls les vrais leaders pouvaient déployer. Il commença à longer le premier rang, dévisageant chaque personne devant laquelle il passait, avant de retourner à sa place et de prendre la parole d’une voix forte, assurée et exercée.

— Bonjour à tous. Oui, vous êtes sur le Briseur d’Essaims, le navire légendaire aux mille actes de piraterie et de bravoure fructueux. Comme vous avez pu le voir, la coque de mon vaisseau ne porte pour ainsi dire aucune trace des affrontements passés, et nous avons en un seul tir terrassé deux de vos vaisseaux. Pourtant, comme le disent aussi les légendes, nous avons tout fait pour sauver un maximum de vies aussi. Troublant, n’est-ce pas, pour des pirates ? Il y a une raison à ceci. Morts, vous ne servez plus à rien. Vivants, vous pouvez, au choix, aider votre Cité-Pilotis ou rejoindre nos rangs. Mais pour éviter toute insubordination, vous êtes équipés de colliers désinhibants qui m’aideront à faire le tri dans vos rangs. Ceux qui échoueront se verront attribuer une chaloupe pour retourner chez vous. Dieu seul sait quel sort vous y attendra… Êtes-vous prêts ?

Presque tous les concurrents répondirent par l’affirmative, et les trois qui ne purent le faire furent sortis des rangs. Les colliers leur furent ensuite retirés avant qu’ils ne soient entravés tandis que le Capitaine reprenait.

— Si vous venez avec nous, vus serez qualifiés de pirates, d’hommes sans foi ni loi, et votre famille vous rejettera. Vous serez des parias. Cela pose-t-il problème ?

Le même phénomène se produisit, avec tout de fois nettement plus d’échecs.

— Croyez-vous réellement que nous sommes de simples pirates ?

Seulement une cinquantaine de candidats restaient, et parmi eux, une dizaine fut recalée.

— Nous combattons pour un but bien plus altruiste que la recherche de butins. Êtes-vous prêts à risquer vos vies sans garantie de succès, de gloire et de fortune ?

Il ne resta alors qu’une dizaine de personnes, six hommes et trois femmes. Le Capitaine donna l’ordre qu’ils soient conduits à ses quartiers, tandis que des chaloupes téléguidées se remplissaient des candidats recalés qui seraient bientôt parachutés au-dessus de leur Cité originelle.

Une fois dans ses quartiers, le Capitaine s’installa à une immense table de réunion tandis que ses Officiers prenaient place à ses côtés, et le colosse fit un signe de la main aux nouvelles recrues.

— Asseyez-vous, je vous prie.

Lentement, presque surpris, ceux-ci prirent les chaises et obéirent. Quand le dernier fut installé, le responsable du navire reprit.

— Je pense que vous me connaissez sous le nom de Long-Shot, Capitaine Long-Shot, à cause de la portée de tir du Dragon. Mais en vérité je suis le Capitaine de Vaisseau Armand de Lafayette. Sacré nom pour un pirate, non ?

Les nouveaux arrivants échangèrent quelques regards surpris et incrédules, aussi le Capitaine reprit-il.

— Oui, cet Armand de Lafayette ci… Celui qui a dirigé un vaisseau très particulier pour évacuer un maximum de personne dans autant de villes que possible lors de l’Émergence. Et donc, vous l’aurez compris, le Briseur d’Essaims est ce navire mythique que vous avez connu sous le nom de Dernier Secours.

Une main fine et délicate se leva, et Long-Shot observa sa propriétaire, une jeune femme rousse très menue qui se leva pour se présenter.

— Quartier-Maitre Carole Barrel, Mon Capitaine. Pourquoi vous être tourné vers la piraterie alors que vous étiez un héros ?

Un large sourire se dessina sur le visage des quatre Officiers. Cette question était de loin leur préférée, car elle permettait d’aller droit au but. Joignant les mains, Long-Shot répondit avec calme.

— Parce que nous sommes justement des héros, et que nous continuons à œuvrer à notre mission, qu’importe ce que les gouvernements des Cités-Pilotis peuvent dire sur nous ou vous faire croire sur le monde.

Un autre personnel se leva pour prendre la parole. Un homme avec un léger embonpoint et une longue barbe grise.

— Major Anthony Garful, Mon Capitaine. Quelle est cette mission ?

L’intéressé pencha légèrement la tête sur le côté.

— Et bien, vous mettre à l’abri bien entendu. Et pour ce faire, la meilleure solution reste de renvoyer les Créatures dans leur habitat d’origine.

— Mais comment ? Nul ne sait pourquoi ces choses ont quitté le noyau terrestre pour nous attaquer… En fait, avant l’Émergence, nous ignorions même leur existence…

— C’est là que vous faites fausse route, Major. En l’an quatre mille sept cent treize de l’Ancien Calendrier, le Gouvernement des Nations Unies a découvert l’existence des Créatures lors d’un forage visant à utiliser l’énergie du noyau comme source d’énergie propre et illimitée. Les scientifiques les baptisèrent même Vermis Giant Telluris Core, littéralement Vers géants du noyau terrestre, et mirent en avant qu’ils étaient extrêmement sensibles aux ultra-sons., et particulièrement agressifs et territoriaux. Alors quand le gouvernement en a eu assez de voir les sondes se faire dévorer, ils en envoyèrent une équipée d’émetteurs pour les repousser. Et c’est ainsi que les Athéniens s’atteignirent…

Les recrues semblaient toutes choquées quand le Major reprit.

— Vous voulez dire que leur mesure de sécurité a provoqué l’Émergence ?

— Voilà.

— Mais alors, pourquoi ne pas avoir coupé les émetteurs ?

— Le premier bâtiment à avoir vu sa population dévorée fut la station de forage… Et la priorité fut de mettre un maximum de personnes à l’abri. Une fois que ce fut terminé, les gouvernements des Villes mobiles puis des Cités-Pilotis ont découvert que la peur des Créatures et de la peine d’Exil rendait les gens dociles, alors ils n’ont pas essayé de changer la situation. Et quand nous avons insisté pour que le problème soit résolu, nous avons été mis aux arrêts. C’est là que nous avons fait le choix de voler ce bâtiment.

— Et vos actes de piraterie ? C’est uniquement pour des ressources ?

— Presque… Nous avons aussi besoin de personnels particuliers. Chez vous, il y a une ingénieure qui saurait couper la station de forage sans la faire exploser. Car, en toute honnêteté, j’ai peur de faire exploser quelque chose de relié au noyau de notre planète. Et la Cité des Transmetteurs que nous avions attaqués avant nous a permise de récupérer son frère, qui lui peut craquer les codes d’accès.

Une autre des femmes se leva.

— Second Quartier-Maitre Barbara « Briseuse de tibias » Palma, Mon Capitaine. Donc nous allons maintenant faire cap vers cette… Station ?

Le Capitaine fit non de la tête.

— Cette station se situe sur l’ancienne Australie. Alors nous allons commencer par faire une halte sur la plateforme d’entretien mobile nommée Oasis pour nous ravitailler au maximum en munitions, carburant, vivres et hommes, traverser un maximum de territoire sur son dos et traverser les océans après.

— En hommes ?

— Bien entendu. La majorité de ceux qui rejoignent nos rangs est stationnée là-bas, parce que ce navire est prévu pour pouvoir être utilisé par un équipage très réduit au besoin, mais nous pensons que la résistance sur place sera assez conséquente pour qu’un maximum de personnels soit nécessaire. Si nous pouvons naviguer à vingt, nous préférons lancer cette offensive à quatre mille cinq cents. Maintenant, je vais vous laisser à mes Officiers qui se feront une joie de vous répartir sur ce navire en fonction de vos spécialités. Si vous voulez bien m’excuser…

Le Capitaine se leva au moment même où le médecin-chef entrait dans le bureau.

— Capitaine, elle est réveillée.

L’Officier fronça les sourcils avant de se retourner vers le barreur.

— J, le pilotage automatique est activé ?

— Affirmatif.

— Parfait. Viens avec moi.

Observant les deux Lieutenants de Vaisseau restants, il leur précisa.

— Que les personnels qui auraient dû lui être affectés nous attendent au poste de commande. Ce sera tout.

Le Capitaine et le Lieutenant quittèrent le bureau pour suivre le médecin-chef tandis que les deux Officiers restants reportaient leur attention sur les neuf nouveaux membres d’équipage.

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