Chapitre 1

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Cela faisait cent trente cycles lunaires maintenant que les Créatures avaient forcé la croute terrestre pour infester la surface, proliférant à une vitesse extraordinaire et réduisant par la même l’espèce humaine à un niveau dramatiquement bas. Les armes conventionnelles n’avaient eu que peu d’effet sur ces lombrics géants friands de chair humaine, et le recours aux frappes nucléaires ne pouvait être une solution sur le long terme. Alors une fois encore, l’Homme s’est adapté, et deux solutions se sont dessinées.

La première fut le mouvement perpétuel et le déplacement permanent, avec l’apparition de Villes Mobiles et de caravanes, mais elle fut vite abandonnée en raison des coups en entretien et en carburant. La seconde, vite devenue pérenne, fut la création de Cités-Pilotis. Si les Créatures étaient à leur aise sur et sous la terre, grimper le long de n’importe quel objet vertical leur était impossible, et même si leur amoncellement leur permettait de gagner en hauteur, les Cités augmentèrent elles aussi la taille de leurs supports pour atteindre plusieurs centaines voire plusieurs kilomètres de hauteur.

En presque un an, la civilisation humaine était tombée avant de se relever, et presque deux après l’Émergence, elle avait appris à éviter ce nouveau prédateur sans voir que dans l’ombre un second ennemi se développait. Avec la reconstruction, les règles, la loi et la discipline se durcirent, et certains le refusèrent, se regroupant en bandes qui furent vite chassées des cités, et s’appropriant quand ils avaient la chance de les atteindre, les Villes Mobiles et les caravanes, attaquant les Cités pour piller leurs ressources tout en navigant sans cesse afin de ne pas risquer d’être attaquées par les Créatures regroupées en Essaims. Une nouvelle piraterie était née.

Parmi les flottes, de grands noms devinrent vite synonymes de mort, voire d’annihilation complète pour les Cités les plus petites. Mais un petit bâtiment solitaire affolait les légendes en raison de ses stratégies risquées. Les regroupements humains des Cités attiraient les Essaims, empêchant les grands engins de venir trop près au risque de se faire immobiliser par la masse de Créatures, ce qui permettait aux défenseurs de pouvoir faire feu sans risquer de toucher leurs supports. Mais ce vaisseau traversait les Essaims pour attaquer par en dessous, à l’abri du feu adverse, ne subissant jamais de dégâts et emmagasinant butin et prisonniers. Son pavillon représentait une simple vague, et on le nommait le Briseur d’Essaims.

Sa carlingue noire était jalonnée de motifs ornementaux et d’excroissances métalliques, alors que les trappes de ses canons et tourelles passaient la majeure partie de leur temps fermée, à l’inverse de son pont qui ne recouvrait son blindage que lors des abordages. Sur sa proue, un homme attaché, les yeux bandés et de grandes ailes déployées cachant les reliquats du blindage du pont quand celui-ci était replié, surmontait un énorme canon dont la bouche était ornée d’une gueule de Dragon. Les rares fois où ses immenses voiles faites de panneaux photovoltaïques n’étaient pas hissées étaient synonymes de conflits, et toutes les villes savaient que si ses mats se repliaient, l’assaut était imminent. Certains prétendaient que ce navire volait, d’autres qu’il naviguait sur les Créatures elles-mêmes, mais nuls ne pouvaient démentir son incroyable manœuvrabilité. Sa mobilité était telle qu’il avait déjà vaincu cinq destroyers lors d’un assaut sur la Cité-Pilotis des Transmetteurs sans subir la moindre avarie, et s’était de surcroit permis de lâcher ses chaloupes pour sauver les marins et les échanger contre des vivres et des munitions, tandis qu’un groupe de flibustiers s’infiltrait dans la ville pour kidnapper un homme.

Les légendes sur ce navire racontaient également qu’il appartenait autrefois à un rassemblement de gouvernements nommé ONU, et que son équipage n’était composé que de militaires ayant choisi de se retourner contre leurs maîtres après avoir sauvé de nombreuses vies et protégé les constructions des premières Cités. Mais personne n’a jamais pu confirmer ces allégations.

Pourtant, la Cité des Étoiles allait bientôt pouvoir découvrir si le bâtiment était à la hauteur de sa réputation. Cette immense ville, haute de plusieurs kilomètres et dont la strate la plus basse s’élevait à presque un kilomètre de la surface, s’était spécialisée dans la cartographie et l’étude des Essaims, relevant chacun de leurs mouvements, étudiant chacune de leurs évolutions et habitudes, travaillant main dans la main avec la Cité des Transmetteurs pour obtenir les informations récoltées à travers le globe. Leurs pilotis avaient été transformés pour permettre la capture de spécimens et de nombreux niveaux servaient de laboratoires d’études et d’analyses des Créatures afin de développer de l’armement plus efficace contre elles. Mais pour l’instant, le calme et la rigueur scientifique qui la caractérisaient tant avaient laissé place à une panique sans nom, alors que les canons faisaient feu en continu et que la population partait se retrancher dans ses habitations plus ou moins luxueuses selon son niveau social.

Tout avait commencé simplement, presque une heure auparavant. L’une des vigies de la Cité se tenait sur son mat d’observation et portait ses lunettes d’observation à spectre large à ses yeux pour scruter le secteur qui était le sien avant de s’arrêter. Surprise, elle augmenta le zoom avant de descendre lentement les lunettes de son visage en tremblant. Subitement sa terreur éclata et la vigie s’empara de son transmetteur.

— Ici Observateur Menguen au poste quarante-deux pour Commandement. Poste quarante-deux pour Commandement, répondez !

Une voix fatiguée s’éleva lentement du haut-parleur.

— Poste quarante-deux, ici Commandement, faites votre rapport.

— Je vois un bâtiment s’avancer dans notre direction à allure modérée en quadrant…

L’homme reprit son inspection avant de confirmer la position qu’il avait relevée, toujours en proie à la panique.

— En quadrant quarante et un, cinquante-sept, parlez !

La voix dans la radio soupira.

— Oui, on a une confirmation via écho radar… Écoutez, entre sa taille et sa vitesse, si leur Capitaine est un tant soit peu malin, il ira voir ailleurs, ne vous en faites pas…

— Oh si je m’en fais ! Son pavillon est une vague ! Une simple vague !

— Ce ne serait pas la première fois que des gens copient un pavillon en espérant que ça provoque suffisamment de peur pour que les Cités se rendent sans combattre. Ressaisissez-vous et cessez de m’importuner mon petit.

— Il a l’Archange Gabriel et le Dragon, Monsieur !

Un silence pesant s’abattit sur les transmissions avant que le Commandement ne reprenne la parole.

— Vous en êtes sûr ?

— Monsieur, si vous refusez de me croire sur parole, prenez l’ascenseur et venez vérifier par vous-même !

— Non, je vous crois…

L’Archange Gabriel et le Dragon étaient les deux points du Briseur d’Essaims qui n’avaient jamais pu être reproduits. Ils faisaient appel à une technologie et à des matériaux qu’il n’était plus possible de produire, mais la figure de proue offrait un blindage inégalé tandis que le canon, dont la mâchoire ornementale pouvait se refermer au moment d’éperonner un autre navire, avait une puissance de feu capable de détruire un cuirassé d’un seul tir. Une alarme stridente se mit alors à résonner dans toute la Citée, suivie de près par la voix du responsable de Commandement.

— Avis à la population. Un navire-pirate fond droit sur nous. Regagnez vos logements. Ceci n’est pas un exercice, je répète. Ceci n’est pas un exercice. Tous les canonniers à leur poste, que tous les bâtiments de guerre s’apprêtent à larguer les amarres.

La population ne tint pas compte des avertissements qui se répétaient pourtant en boucle, trop habituée aux exercices alors qu’ils n’avaient jamais subi la moindre attaque. Leur Cité scientifique était trop importante pour être confrontée au moindre acte de piraterie, car même les forbans savaient que le salut contre les Essaims et les Créatures qui les composaient viendrait d’eux. Pourtant, quand le navire arriva à portée de tir et que l’ordre de feu à volonté fut donné, les civils se dévisagèrent tous avec inquiétude avant de céder à la panique, remplissant la Cité de mouvements de foules.

Dans la cabine de commandement du Briseur d’Essaims, un homme d’imposante stature se tenait droit devant l’écran de relais vidéo, sa veste de Capitaine de Vaisseau parfaitement attachée et sa casquette vissée sur le crâne. À sa gauche pendant son sabre d’abordage, à sa droite son pistolet, et sur son visage une moustache admirablement entretenus. Sans un regard pour son personnel, il clama de sa voix forte et pleine d’autorité.

— Responsable d’artillerie, vos hommes sont-ils prêts ?

— Oui Mon Capitaine.

— Bien. Prenez le relais du commandement de la timonerie par branchement synaptique. Lieutenant de Vaisseau, je vous veux à la barre, et de la même manière.

— Oui Mon Capitaine.

— Amenez-nous en sécurité, et faites tous deux très attention. Je vois d’ici une flotte se déployer.

— Bien prit Mon Capitaine.

Les deux hommes s’installèrent dans d’épais fauteuils en cuir situés au centre de la cabine, l’un vers le haut de celle-ci et la seconde en contrebas, avant d’activer quelques commandes. Des broches en métal vinrent alors se planter dans leurs tempes et leurs nuques, tandis que des casques de réalité augmentée s’abaissaient devant leurs yeux. Le jeune homme à la timonerie enfila des gants reliés aux ordinateurs alors que le siège du barreur basculait et que celui-ci se retrouvait en position allongée comparable à celle d’un motard lancé à pleine vitesse.

— Barreur prêt Mon Capitaine.

— Parfait. Nos réserves d’énergie sont pleines, montez le bouclier de pont et démarrez les moteurs anti-grav, nous lançons l’attaque.

Sur les flancs du bâtiment, des trappes s’ouvrirent, libérant des disques métalliques qui se mirent à pulser d’une énergie bleue en produisant de longs arcs électriques, et l’engin décolla du sol. Dans la foulée, les longues chenilles sur lesquelles il roulait peu de temps auparavant se rétractèrent dans leurs soutes qui se refermèrent, alors que le barreur annonçait.

— Décollage effectué sans difficulté.

— Bien. Moteurs à propulsion photonique, lancement au premier coup de canon adverse.

Une violente explosion eut lieu sur le flanc de la Cité-Pilotis qui se propagea jusqu’à devenir un mur de feu, et l’écran radar indiqua une masse conséquente d’objets hautement explosifs se dirigeant droit sur le navire. Sans sourciller, le barreur tendit les bras, et sept réacteurs à la poupe de l’engin vomirent de puissants jets lumineux qui propulsèrent celui-ci à une vitesse folle en quelques instants, alors que les mats finissaient de se replier dans le pont dont le blindage se fermait en se pressurisant.

Les obus manquèrent tous leur objectif qui filait à une vitesse inégalable, slalomant sans difficulté entre les tirs des bâtiments adverses. S’asseyant tranquillement sur son fauteuil de commandement, le Capitaine de Vaisseau sourit.

— Envoyez-leur un tir de semonce. Éventrez leur bâtiment le plus petit avec le Dragon, et ils devraient devenir raisonnables.

— Oui Mon Capitaine.

Le barreur et le responsable d’artillerie aux cerveaux reliés par les connexions aux machines orchestrent leur attaque avec maestria, contournant les sept bâtiments adverses pour ensuite se placer dans leur flanc et faire feu. De la gueule du Dragon jaillit une langue de feu de plusieurs mètres de long qui brula immédiatement la petite frégate frappée de plein fouet alors que le projectile perforant qui venait d’être propulsé traversait son blindage de part en part avant de pénétrer celui d’un cuirasser et de s’immobiliser en son sein pour exploser, déchirant la nef d’acier comme si elle était faite de papier, arrachant un sourire satisfait au Capitaine.

— Joli tir messieurs. Transmetteur, déployez les chaloupes et sauvez ce qui peut l’être.

— Oui Mon Capitaine.

Le transmetteur enfonça quelques touches sur sa console de communication, et les flancs du vaisseau s’ouvrir pour libérer une flopée de petites embarcations volantes qui filèrent vers les bâtiments en feu en zigzaguant entre les tirs ennemis, arrachant un soupire de lassitude au Capitaine de Vaisseau.

— Ils sont tous si obstinés. Responsable d’artillerie, neutralisez-les !

— Oui Mon Capitaine !

Et alors que le Briseur d’Essaims tournait autour des navires de guerre, le responsable d’artillerie fit bouger ses doigts et ses mains, réorientant les canons vers ses cibles en relâchant un feu continu. Dix-huit minutes plus tard, les bâtiments étaient tous dans l’incapacité de se défendre, et le Capitaine donna l’ordre de s’amarrer à la Cité.

De nombreux grappins se lancèrent vers celle-ci avant de tracter le navire vers le sol du dernier étage, et une centaine de matelots en armes commencèrent à créer une bêche pour s’infiltrer, tandis que le barreur sortait de sa connexion synaptique pour s’équiper. Alors qu’il allait quitter le pont, le Capitaine de Vaisseau posa une main puissante sur son épaule.

— Êtes-vous certain de vouloir y aller ?

Pour toute réponse, le Lieutenant de Vaisseau hocha la tête, et son supérieur retira sa main, le laissant libre de partir. Le commando traversa la Cité et ses nombreux étages au pas de course, ne rencontrant qu’une faible résistance, pour se rendre vers un quartier résidentiel extrêmement chic dans lequel les forces militaires étaient plus présentes. Néanmoins, les pirates bien entraînés et habitués aux escarmouches passèrent sans rencontrer de résistance majeure, n’ayant à déplorer que des blessures légères, jusqu’à ce que l’un d’eux arrête le Lieutenant.

— C’est ici.

Observant la bâtisse, l’Officier s’enquit.

— Vous êtes sûr ?

— Oui. Dix-septième étage, porte gauche.

— Soit.

— Juste vous et moi.

Le Lieutenant de Vaisseau tiqua, mais répondit sans se départir de son éternel sourire bienveillant.

— Bien. Peut-on au moins prendre la plateforme d’élévation ?

— Bien entendu !

L’Officier transmit le commandement avant de partir en courant aux côtés de son guide et de lancer la plateforme. Une fois à l’étage concerné, le civil dépenaillé se pencha sur la serrure à code et y brancha une petite carte mère qui clignota, avant de clamer.

— C’est ouvert !

Le Lieutenant ouvrit lentement la porte après avoir rengainé son sabre, ne gardant que son pistolet en main, et entra précautionneusement dans l’appartement, avant d’être arrêté par un bruit sourd et de tomber inconscient face contre terre.

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