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Postées devant le jeune homme, les deux acolytes le regardèrent se dépêtrer du piège installé par Analoum.

— Comme on se retrouve, philosopha-t-elle. Je pensais que tu ne voulais pas nous suivre ? Ai-je mal compris ?

Suan leva la tête, avisa les filles. Il se doutait bien que c’étaient elles le charivari à l’instant. Il ne daigna pas leur adresser la parole, ne serait-ce que pour les remercier. Ce comportement fit crisper ses mains à Trysol.

— Peut-être entendras-tu raison, maintenant, affirma la brune en relevant son voile. Ici, seul un des nôtres réussirait à se diriger. Viens avec nous. Ce n’est pas une punition. On te rendra la pareille.

Vu sous cet angle, le visage de la jeune femme ressemblait à celui de Shi-Huan. Les rayures bleutées sur sa peau étaient bien plus prononcées et lui conféraient l’apparence d’un être entre deux genres. Son frère, Adaman les avait beaucoup moins visible. Suan se tourna vers la rouquine, dont la tresse pendait hors de la cape. Il n’avait pas prêté grande attention à son fascié au village. En fait, elle se dissimulait sous le noir de ses habilles.

— On ne se connaît pas. Je vous ai clairement dit que je ne vous aiderai pas. Je ne veux pas qu’on me rende la pareille, je veux rentrer chez moi. Si je dois mourir, alors je mourrais. Je serai avec les miens, en terre ou les os pourrissant dans la maison de mon enfance.

Il se redressa. Son voile s’accrocha à la liane dont il se dépêtra. Une expression sévère balafra son visage. Grenouille le fixait de ses immenses yeux verts. Elle se tenait quelques pas derrière les filles. Suan savait que sa petite créature friponne les suivrait quoi qu’il fasse. Peut-être était-il temps de se séparer d’elle ? Mais pouvait-il s’y résoudre ? Il secoua la tête, fronça ses sourcils devant l’incompréhensions des villageoises.

Le corps de Trysol frissonna de rage. Elle était à bout. Son frère de quatorze ans, terriblement peureux, était aux mains de parfait inconnu, en danger de mort et elle devait composer avec les idées farfelues d’Analoum, accepter le regard inquisiteur d’un voyageur du bas.

— Je me fiche de ce que tu veux, tu viens et tu nous aides, s’emporta-t-elle

— Je crois que vous n’avez pas bien compris. Je n’ai d’ordre à recevoir de personne, s’irrita-t-il en jetant la liane aux pieds des femmes.

Il fit signe à Grenouille de poursuivre sur un autre chemin, seulement Trysol le voyait autrement. Elle lui barra la route. Un brasier enflamma ses yeux et le rose pâlie. Son regard terrifia Suan qui recula d’un pas avant de se raidir. Il ne se laisserait pas intimider davantage. Il planta ses yeux dans ceux de la rouquine sans pouvoir contrôler les tremblements de ses jambes. La brume glissa entre eux comme pour calmer le jeu et leur faire entendre raison. Mais que pouvait de la vapeur à ce conflit ? Grenouille se hissa jusqu’à Suan, chercha à l’apaiser. Il ne l’écoutait pas, excédé par le nombre de fois où il avait dû courber l’échine. Pourquoi devait-il toujours obéir aux autres ? Hocher la tête ? Se résigner ? Et s’il avait lui aussi son mot à dire ? Sans faillir, il retint le regard de la femme dont les prunelles se dilatèrent. Il ne céderait pas, irait jusqu’à se battre pour qu’on lui fiche la paix, cependant un son métallique réanima sa vigilance. Il voulut briser son combat de regard, aviser le danger. La froideur d’une lame sur son cou l’empêcha de bouger.

— C’n’est pas la lune qu’on te demande. Tu nous suis s’en faire d’histoire. On a plus de temps pour te ramener à notre cause. On t’a laissé le choix d’être notre allier. Tu seras notre prisonnier.

Le tranchant de l’épée d’Analoum était aussi explicite que ses paroles, pourtant Suan soupira un rire.

— À quoi je vous servirais ?

— Ton don. Tu vois ce qui est invisible. Jeckm n’est pas une… un menteur. Ne joue pas ! Tu perdrais à coup sûr.

— Dans ce cas-là, on serait deux. Si tu me tues…

— Qui parle de te tuer ? sabra-t-elle d’une voix rauque. On peut briser une vie de mille façons. Je peux te refaçonner. Es-tu endurant à la douleur ?

Suan voulut rire tellement la situation lui parut improbable. Ne trouverait-il jamais que des ennuis ?

— Tu comptes me battre ? Me briser les os ?

— Je ne suis pas pour les châtiments corporels, bien que cela peut être utile dans certains cas. Je te parle de ce qu’il y a ici ! dit-elle en pointant son épée sur la tempe du jeune homme.

Elle glissa à nouveau l’arme sur la gorge et appuya. Une larme de sang coula le long de la peau, tacha la tunique.

— Les gens lâches ont bons nombres de souvenirs obscurs.

Suan ne rit plus. Il retrouva un visage sévère empreint d’une vive colère.

— Parce que tu penses qu’il est facile d’entrer dans ma tête et d’y mettre le bordel ?

— Je ne me vanterais de rien. Mais, on a tout un chemin à faire ensemble, d’ici la fin, j’aurais trouvé tes brisures. Tu as dit énormément de choses depuis qu’on te suit. Et si on parler de tes sœurs ? De cette mère que tu as pleurée pas plus tard qu’hier ? Part-on ainsi, en sachant ses proches malades ?

Un vide se forma dans l’estomac de Suan. La dernière phrase lui laissa un goût d’acide dans la bouche. Un malaise flotta en lui. Avait-il ruminé autant depuis qu’il tournait dans cette végétation inhospitalière ? En tout cas, qui était cette fille pour le juger ? Que savait-elle de lui ? Beaucoup de chose si elle avait écouté. C’est qu’il parlait énormément avec Grenouille, même quand celle-ci se perdait dans son propre monde. En vrai, Suan bavardait plus souvent avec le vent qu’avec sa compagne. Il la soupçonnait d’être encore trop jeune. Pourtant, cette année, elle avait fêté son douzième anniversaire. ais avant, il y avait à régler des comptes.

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