Chapitre 3 (1)

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Après avoir tourné en rond autour du village, écoutait quelques mères lui ordonnaient de se cacher, Suan retrouva la ruine et son manteau de lierre. Les yeux dessinés sur les feuilles le fixaient répandant en lui la certitude qu’on lui voudrait du mal s’il restait. Le frottement des tiges formait un son pareil à une voix. À vrai dire, le bruissement était comme des murmures incessants, un chahut qui n’avait aucun sens.

Grenouille chercha à se défaire de ses bras, mais il serrait comme pour se réchauffer, pour se rassurer. L’air refroidissait vite et la semi-clarté qui baignait le lieu il y avait encore quelque instant se recouvrait d’un voile de ténèbres. La lune pour seul repère et ses pierres luisantes qui apparaissaient de moitié hors de terre guidaient Suan. Il repositionna le tissu sur sa tête et ses épaules comme l’aurait fait une vieille dame, chercha un repère, seulement la brume changée en tapis lui brouillait les pistes. Avec le courage qui lui restait, il contourna la ruine, incertain du chemin qui s’esquissait devant lui. Mais il n’y en avait pas d’autre, et l’idée d’attendre ne le réjouissait pas, alors il avança, s’éloigna des regards posés sur sa personne. Il suivit les pierres au sol qui offraient un brin de lumière sans savoir s’il retrouverait le potager et la délivrance de ce lieu. Entre des buissons aux fruits dodus, il fila dans une cadence plus soutenue. La sensation de pas derrière lui le poussa à marcher plus vite, quitte à se prendre les pieds dans des racines invisibles. Plus il longeait le sentier, plus la peur lançait au fond de ses entrailles. Elle circulait dans ses veines aussi rapidement que l’oxygène dont il manqua lorsque prit d’une vive panique, il se mit à courir. Des chuchotements provenant de partout à la fois, le fit tournoyer et emprunter un chemin de chèvre. Il retenait son voile et Grenouille, semblait voir mille ombres envoyer leurs mains vers lui. Il s’avérait que la vitesse qu’il prenait à chacune de ses accélérations rendait le paysage plus abstrait qu’il ne l’était déjà.

Le souffle court, le cœur battant à la déraison dans sa poitrine, la vision troublée par son imagination, Suan rappa le sol deux fois, à la troisième il chuta, glissant de tout son long sur un tapis d’épines et d’autre chose. Il lâcha Grenouille en tombant et cette dernière retrouva sa liberté. Elle sautilla entre les arbres et se percha sur une branche basse, observant Suan qui se relevait maladroitement. Un de ses bras était emberlificoté à quelque chose que Grenouille ne parvenait pas à voir. Le jeune homme se débattit, tira sur son bras. Il dansait, zigzaguant sur les chemins que formaient de grandes pierres taillées. Elles ressemblaient au tombeau au bas. Suan poursuivit son combat contre une étrange toile qui ressemblait plus à des cheveux qu’au fil tissé par une araignée géante. Quand il parvint enfin à se libérer, en tirant vivement, il disparut sous la brume. Un son mat détonna, suivi d’un juron qui s’éleva de par terre. Suan se redressa, le visage peint à la fois de colère et de détresse. Sans prêter attention au décor, il se dirigea vers Grenouille qui pour une fois l’attendait. Elle n’appréciait guère le lieu, elle aussi. L’atmosphère pesait sur leur tête à l’instar de ces longues mèches qu’elle distinguait au-dessus d’elle.

— Grenouille, monte vite sur mes épaules. Je n’aime pas ici. Il nous faut rejoindre le potager, commanda le jeune homme.

En recevant son poids qui n’était qu’un sac de plume pour lui, il constata les cheveux pendants, telles des guirlandes de lampions sur la végétation. Un froid perturbant s’abattit entre les os de Suan. Rien n’était à tirer de cet endroit. Il contempla ,le cœur au bord des lèvres, le cimetière dans lequel ils se trouvaient. Il ne manquait plus que le mort revenu à la vie pour accentuer l’horreur du décor. Il se détourna de ce spectacle terrifiant, qui éveillait bien trop de peur. Maintenant, il devait partir, rejoindre le bas, car il savait qu’il ne survivrait pas seul à moins d’un miracle.

Pas une. Pas deux. Il tira sur le voile et couvrit tout son corps ainsi que celui de Grenouille au souvenir des paroles d’Analoum. Il entreprit de rebrousser chemin lorsqu’il sentit un mouvement entre ses sandales. Il avait également la sensation d’un regard accroché sur lui. En temps normal, il n’aurait pas pris le risque de bouger, et pour la première fois, il enfila la témérité de ses sœurs. Il brava le mouvement et décampa sur le champ le regard rivé sur les cheveux serpentants, mais inoffensifs.

Suan s’éloigna au plus loin que son souffle lui permît et s’arrêta aux abords d’un lac. Adossé à un arbre, il écouta battre son cœur tout en fixant le lieu. S’il devait mettre un nom dessus, il choisirait miroir. Tout se reflétait dans l’eau opaque et offrait au paysage une immensité que Suan savait fallacieuse. Ce n’était pas pour lui déplaire. Au moins, ici, on y voyait plus clair. La brume restait à la surface de la terre sans taquiner le liquide dansant.

Perdu dans son admiration des ondes, il ne prit pas garde à Grenouille qui gesticulait sur ses épaules. L’instant suivant, elle était par terre sautillante dans le brouillard qui la dévorait de moitié. Suan s’élança précipitamment à sa suite, horrifier qu’il puisse lui arriver un nouveau malheur. Il ne la rattrapa pas, mais il réussit à contenir sa curiosité en lui interdisant le bord que lui-même aurait bien embrassait pour y puiser une gorgée d’eau.

— Nous sommes perdus. J’aurais dû rester dans ce village et demander à quelqu’un de me ramener. J’ai été idiot et impulsif. Tout ça pour éviter les problèmes. On y est jusqu’au cou.

Suan laissa la déprime valser avec lui, tandis que Grenouille épier l’ondulation de l’eau. Elle ne désobéit pas aux recommandations se hissant sur une pyramide de pierre. Là-haut, elle fixa une ombre qui se figea. Son silence et sa fixation intense obligèrent le jeune homme à observer ce qu’elle ne semblait pas vouloir quitter des yeux. Il ne détermina pas de quoi il s’agissait, mais ne chercha pas à s’y attarder. Parfois, il était mieux d’ignorer le danger, cela évitait qu’il nous prenne en chasse. L’ignorance pouvait sauver bien dès fois au péril des personnes qui y étaient confrontées. S’il faisait mine de ne pas s’intéresser à l’ombre, alors il aurait une chance de contourner un triste destin, car ici, il ne s’attendait guère à trouver une main chaleureuse lui venir en aide. Peut-être était-ce une question de karma, de toutes ses fois où il avait fermé les yeux, abandonnant à leurs sorts des connaissances ou mêmes des amis ? Quelques semaines avant les premières pluies, alors que la famine rendait fou, il avait à trois fois détourner le regard de mauvais agissements. Et pas des moindre, il en était conscient. Ceux-là lui avaient valu de vifs cauchemars et la pesante présence de son sens moral.

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