Chapitre 1 (1)

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Bienvenu, par ici !!! Tu t'es perdu ?

Je suis revenue sur deux trois trucs. J'espère que ce sera plus lisse.

Oui, je commence  à remettre au propre, alors que le texte n'est pas encore achevé. XD

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« Il y a des événements que l’on ne contrôle pas. Vouloir les changer ne servirait qu’à user ses dernières forces au détriment des jours meilleurs. Ils ne sont pas là pour nous faire mal inutilement. Eux aussi ont leur raison. Ils veulent nous voir avancer. Ils sont ainsi. Ils viennent à l’improviste, surviennent à des moments bien précis, s'attardent le temps de nous forcer à la remise en question, puis nous abandonnent laissant un vide dans nos sillons mais nous apportant l'offrande d'avoir grandis en sagesse et en humanité. »

Suan écouta le souvenir de ces mots, sans savoir ce qu’il devait en penser. Son grand-père avait le pouvoir de lui retourner la tête avec une simple phrase, et parfois, l’une d’elle restait plus que de raison dans sa mémoire.

Suan porta une nouvelle fois la main sur les rubans qu’avait tressés sa mère des jours plutôt. « Un souvenir de tes sœurs et de moi, mon fils », avait-elle dit en lui fourrant entre les doigts. Elle l’avait forcé à quitter la chaumière de son enfance avec la seule raison qu’elle le voulait en vie. La famine et les pluies diluviennes avaient envoyé à la tombe bien des villageois, incluant les filles de la famille. Il ne restait plus que Shi-huan la cadette. Mieux constituée que les jumelles, elle résistait sans pouvoir toutefois quitter la natte sur laquelle ses sœurs se blottissaient, il y a quelques mois à peine. Chaque jour, Suan écoutait les pleurs déchirants de Shi-huan. Elle se tordait sur le sol, les bras crispés autour de son ventre, le visage déformé par la faim dévorante. Rien ne l’apaisait hormis le sommeil. Elle luttait bien décidée à vivre.

Suan frotta son visage avec hargne pour éliminer ce souvenir. D'autres surgirent, le replongeant le soir où sa mère avait annoncé à la maisonnée qu’il partait. Le ton grave, mais résolu de Tuha-Qi avait coulé sur les rescapés logés dans la pièce principale : plus que trois. Elle avait une telle résolution à le voir partir. Suan avait compris que sa mère n’accepterait pas de le voir lui aussi périr et elle n’avait pas la force de le laisser assister à sa décadence. Tuha-Qi était fière et aimante. Elle était une force de la nature, toujours capable de se surpasser et d’étonner la destinée. Shi-huan et Suan tenaient d’elle.

Après un moment de silence, troublé par une pluie aux accents de cigale, Shi-Huan avait tiré sur la longue tunique de son frère. Leur mère les avait laissé seuls. Suan avait deviné son besoin de pleurer.

Il s’était incliné devant sa sœur, en attrapant une tasse qu’il avait remplie de ce liquide verdâtre. Celui dont leur père s’abreuvait pour calmer la douleur des nombreuses blessures qu’il avait héritée des guerres. Il en avait laissé couler entre les lèvres de Shi-huan qui l’avait repoussé.

— Je ne veux pas de ce poison pour le moment.

Poison, avait pensé Suan, en se rappelant que lui aussi avait souvent prononcé ce mot pour qualifier le breuvage. Avaient-ils réellement tort ?

— Où tu iras… s’il te plaît, rapporte-moi la pierre de lune que j’ai échangée contre ce… sac de riz. J’ai si mal… elle a toujours éloigné la douleur.

Plus que des mots, des supplications. Qui se suivaient dans le souffle traînant. Suan avait écouté sa souffrance. Elle crachait vers lui la fin de vie et cette seule pensée ouvrait son cœur en deux. Devrait-il enterrer toutes ses sœurs ?

— C’est de repos dont tu as besoin, mon tigron. Il est temps de dormir.

Il avait voulu la replacer dans l’étreinte de la couverture usée, mais elle avait refusé, offrant au regard de Suan une détresse infinie. La courageuse enfant n’avait pas encore livré sa dernière bataille. Elle combattrait encore des mois, ruinerait le cœur de son frère. Il le savait. Il avait toujours été faible devant ses sœurs. Surtout avec Shi-huan. Cette enfant était aussi solide que Tuha-Qi, mais elle ne gagnerait pas.

La vie ? Valait-il de souffrir comme ça pour elle ?

À travers ses yeux noirs, il avait reconnu l’enfant-tigre qui avait rabroué le fils d’un commerçant de tissu fortuné. Shi-Huan avait rugi alors que le garçon riait de Suan mains et pieds dans la boue. Le son qui s’était échappé de sa bouche avait fait bondir plus d’un agriculteur alentour. En vérité, bien qu’elle avait imité parfaitement ce majestueux félin, ce fut la crispation de son visage qui fit détaler le poltron. À cause des étranges rayures beiges qui balafraient symétriquement son visage, Shi-Huan ressemblait véritablement à un tigron. Tuha-Qi vénéraient ces marques, parlant d’une bénédiction des ancêtres. « J’ai donné naissance à une guerrière de brume », disait-elle parfois par pure vantardise. Personne n’avait jamais compris à quoi elle faisait référence. Suan pensait comme beaucoup qu’elle valorisait Shi-Huan pour ne pas la complexer. Et cela fonctionnait.

— Pourquoi voudrais-je dormir quand je sais que tu vas nous quitter ?

La fillette avait étiré difficilement sa main jusqu’au visage tanné de son frère. Il commençait à perdre cette couleur cramoisie des travailleurs de la terre.

Pour ne plus voir la tristesse qui baignait le visage grisâtre de sa cadette, il tenta de lui raconter une histoire. Mais il n’avait pu l’achevé, persécuté par les larmes qui coulaient sur ses joues. Le bonheur, qu’était-il quand autour de lui il n’y avait que désolation et tombeaux ouverts ?

Suan observa la brume s’étendre et poser sur lui le voile d’un questionnement redondant. Avait-il bien fait de partir ? Que cherchait-il ? Qu’est-ce que sa mère avait espéré pour lui ? L’eau, en fines gouttelettes, était comme son chemin ; une incertitude à chaque pas. L’humidité dessinait mille sillons sur sa peau frêle couverte d’une large tunique et d’un pantalon ficelé à une taille très amaigrie. Il n’avait jamais été très gros même lorsque les années lui offraient quatre repas par jour. Tous aussi copieux les uns que les autres. Quand ses sœurs s’arrondissaient, il restait sec, laissant entrevoir des côtes seyantes. Aujourd’hui, il ressemblait à un cadavre.

Les bras en avant, il avançait à l'aveuglette, contournant les obstacles, perdu dans les souvenirs récurrents de son passé. Quand il posait un regard dégoûté sur ses poignets squelettiques, il se détestait. Sa maigreur l’avait toujours dérangé. Il n’avait jamais su pourquoi il ne grossissait pas. Mais qu’elle importance cela avait désormais. Il redoutait le moment où il n’aurait plus la force de mettre un pied devant l’autre.

Tu as la force d’un bœuf et l’intelligence d’un coq. Ton corps accepte de se nourrir d’herbes. Pars mon fils, je ne saurais voir tous mes enfants mourir avant moi. Ne regarde pas derrière toi. Avance, dans le noir, dans le jour, sur la lave ou la glace. Oublie cette vie qui fut la nôtre. Nous ne sommes plus que des âmes. Bientôt notre corps rompra comme un arbre sous la foudre. Je veux t’imaginer loin de nos supplices. Va donc chercher le beau temps qui nous fait tant défaut.

Suan l’avait longuement regardé sur le sentier de la rizière. Elle était restée assise près de Shi-Huan, l’air serein, comme si le savoir loin de la chaumière lui garantissait la survie. Lui était parti avec une boule de plomb dans l’estomac. Depuis, il avançait vers le sud sans savoir si la vie y serait meilleure. Le pouvait-elle, alors qu’il n’aurait plus personne à chérir ? Y avait-il une chance qu’il trouve un village prospère sur ce chemin, dans cette forêt qu’il traversait désormais ?

En frôlant une roche recouverte de mousse, il crut la voir sous le spectre de l’étrange lieu qu’il arpentait depuis quelques heures. Maman. Où s’était-il égaré ? Saurait-il un jour rebrousser chemin et retrouver son village ? Trois nuits s’étaient écoulées, déjà.

— Grenouille. Ne pars pas trop en avant. Je veux garder un œil sur toi, ordonna-t-il vers une silhouette que seul lui semblait voir.

Ladite Grenouille ne répondit rien. Elle ne parut pas vouloir quitter le rideau opaque qui recouvrait toute chose. Il y avait un bruit de fond, comme un orage perdu au sol cherchant vainement à retrouver le ciel.

Pas après pas, Suan se glissa sous le manteau dense de la brume. Elle s’épaississait comme un panier rempli de fleur de coton quand le rugissement se précisa. De l’eau, pensa-t-il. Une bourrasque éparpilla le voile blanc offrant ses secrets au voyageur. Se dressait devant lui le spectacle d’une chute, dansante et perçante comme une flèche, le miroir déformant qui l’accueillit. S’y attardant, Suan lui trouva une ressemblance avec la fumée des brûles encens qui, jadis, portaient aux ancêtres le respect des vivants. Il laissa son cœur battre au rythme du son perpétuel de la chute.

— On dirait la Voie lactée descendant du neuvième ciel, murmura-t-il. Tu ne trouves pas Grenouille ?

Il n’avait presque plus prononcé de mots depuis son départ, à peine pour constater si son accompagnatrice était toujours avec lui. Et sa voix le surprit autant que les lianes suspendues au ciel quand il s’entendit enfin. Sa voix était si rauque dans ses oreilles. Elle contrastait terriblement avec ce corps maigre et ce visage qu’il savait fin.

Il coula ses yeux sur la beauté du lieu. La brume persistante formait un plafond de vagues fumantes. Impossible de voir ce qui se trouvait derrière.

Elle garde ses trésors de peur de se les faire voler, songea le jeune homme. Ça lui parut tellement logique. Tout objet de valeur devait être caché. À tout prix. Que ce fut dans un village, dans une maison ou dans la forêt. Les pilleurs n’étaient jamais loin, affamés par leurs futurs larcins.

Ses doigts jouèrent un instant avec les végétaux pendants, puis il s’approcha de la paroi rocheuse qui abritait la chute. Un chemin s'était dissimulé derrière cette dernière, là où dame Grenouille l'attendait déjà. Suan hésitai une poignée de secondes.

— Incroyable ! Tu ne peux pas rester tranquille un instant ! Tu finiras par me rendre fou. C’que j’en ai assez de te courir après ou de te chercher comme un idiot. Un jour je ne te chercherai plus, grommela-t-il en secouant la tête lentement.

C’était une phrase qu’il sortait chaque fois, mais qui tombait dans le vent presqu’aussitôt.

Suan fixait Grenouille. Il se disait bien qu’il ne sentait plus sa présence autour de lui, ça aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Pas vraiment inhabituelle en soi. Grenouille était de ces fripouilles qui n’en font qu’à leur tête. Elle n’était pas du genre à suivre les recommandations. C’était un petit être coquin et ô combien curieux. Ça lui avait d’ailleurs apporté plus d’un ennui. Conscient de son caractère, Suan veillait toute de même au grain et ma foi, son amie semblait accepter. Avait-elle le choix ? Ils étaient liés. Suan avait fait en sorte qu’elle ne parte jamais trop loin, mais elle savait se cacher. Terriblement bien. Ça le tuer quand elle disparaissait des jours entiers. Auprès de lui, Grenouille était devenue une aventurière téméraire. Peut-être n’aurait-il pas du lui parler de ses rêves d’évasions ? Le chagrin et le deuil ne se serait pas refermait sur eux.

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