Le Saviez-vous : C'est pas la taille qui compte

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Réveillée par la mélodie matinale de Nyumlia, Maritxu émergea d'un sommeil qui semblait plus proche d'un coma de récupération.

— Bonjour ! Il est l'heure de retrouver le monde des vivants pour le petit-déjeuner, chantait l'esprit minéral avec une bonne humeur d'autant tant plus agaçante

Avec un grognement qui aurait pu rivaliser avec celui d'un ours en hibernation, Maritxu se redressa, chaque muscle de son corps protestant vivement contre les efforts de la veille. Elle regrettait amèrement de ne pas avoir un paracétamol à portée de main.

Elle jeta un œil à la décoration de la chambre, quelque part entre chalet alpin et minimalisme zen, compromis obtenu après une négociation serrée avec Nyumlia pour éviter un style Versailles des plus clinquants.

Se traînant dans la pièce principale, Maritxu découvrit Ashaorem, revêtu d'un tablier et d'un bas de pyjama bleu ciel, ce qui commençait a devenir une vision suffisamment habituelle pour qu’elle ne bronche pas. Il manœuvrait une poêle dans laquelle doraient ce qui semblait être des pancakes.

— Toi bien ? Marcher comme pingouin.

Esquissant un sourire souffrant, son regard se fixant sur l'objet de son salut matinal : la cafetière.

— On dirait que chaque muscle de mon corps a décidé de se venger pour hier.

— Humaine fragile. Besoin plus exercice, constata Ashaorem avec toute la délicatesse d'un rouleau compresseur.

— Merci pour le conseil, grimaça Maritxu. J'y penserai la prochaine fois que je déciderai de traverser un monde fantastique à pied.

Elle boitilla pour contourner la table, a laquelle, Zirighriix sirotait un breuvage douteux.

— Tu veux un bon smoothie de frelons ? Ça réveille ! proposa cette derniere avec un enthousiasme rayonnant.

Maritxu pâlit à l'idée.

— Euh… je vais passer mon tour, mais merci quand même. Je me contenterai de café. Beaucoup, beaucoup de café.

Ylr'anore fit son entrée, les cheveux encore humides de la douche, un sourire enjôleur aux lèvres qui lui fit momentanément oublier ses douleurs musculaires.

— Tu es chou de bon matin, taquina-t-elle. Tes cheveux, c'est un style délibéré ou une expérience scientifique qui a mal tourné ?

Le visage de Maritxu se teinta de rouge aussi rapidement qu'un feu de signalisation. Vivant en solitaire depuis trop longtemps, elle n'avait pas songé à dompter sa crinière matinale, habituée à ce que son seul public soit un chat indifférent à ses frasques capillaires.

Elle chercha désespérément une répartie, mais le regard hypnotique d'Ylr'anore et son sourire magnétique court-circuitèrent ses neurones. Elle réussit à balbutier un timide « Bonjour » avant de se réfugier derrière son mug de café, l'utilisant comme un rempart contre son embarras palpable.

Ylr'anore suivit du regard l'humaine embarrassée. Malicieuse, elle s'approcha pour se servir un café, se tenant assez près pour que Maritxu sente son cœur entamer un sprint. Son cerveau ayant apparemment fondu, elle avala une gorgée de café trop chaud, préférant de loin cette brûlure à l'épreuve devoir articuler une phrase complète.

Ashaorem, observant la scène, sourit.

— Humains drôles.

Maritxu, déterminée à retrouver un semblant de dignité, se resservit du café. Puis, essayant de détourner son attention, elle se concentra sur le discours passionné de Zirighriix sur les vertus énergétiques des frelons. Pourtant, malgré cette fascinante leçon de gastronomie extrême, son regard glissait inévitablement vers la démone, engagée dans un débat passionné avec Ashaorem. Le sujet brûlant du jour : l'itinéraire. Ylr'anore préconisait un détour prudent pour éviter l'ascension d'un pic et la frontière d'un territoire Lycanthrope, tandis que le troll, tête de mule émérite, plaidait pour l'autre route.

— Non, direct meilleur. Rapide, insistait Ashaorem, sa voix grave traduisant son désaccord.

— Rapide, mais dangereux. La meute n'est pas connue pour son hospitalité, répliquait Ylr'anore, son ton trahissant une légère irritation face à l'obstination du troll.

— Pas problème. Moi fort, rétorqua Ashaorem, gonflé d'une confiance à toute épreuve.

L'angiris, les bras croisés, lui répondit avec fermeté.

— Ce n'est pas ta force que je remets en cause, je préfère juste nous épargner des tracas inutiles. Les Lycanthropes sont imprévisibles, sans oublier que le chemin est très escarpé, n’oublie pas qu’on a Maritxu avec nous, elle est déjà bien assez éprouvée par le trajet d’hier.

— Des lycanthropes, vous parlez de loups-garous, là ? s'enquit Maritxu, soudainement intéressée malgré elle.

— Oui, mais oublie les clichés hollywoodiens, acquiesça Ylr’anore. Ils ne sont pas des bêtes sanguinaires, mais ils n'apprécient pas vraiment les visiteurs. Leur politique, c'est plutôt « mon territoire, ma loi ».

Maritxu déglutit péniblement, sa gorge soudainement aussi sèche qu'un désert. Bien évidemment, si les trolls, les araignées géantes et les anges démoniaques existaient, pourquoi pas les loups-garous aussi ? Ainsi que probablement toute une ménagerie de créatures fantastiques.

— Et il y a des indices pour savoir si on tape l'incruste en zone lycanthrope ? Il y a des balises GPS ou des panneaux « Attention, loups-garous » ? plaisanta-t-elle, tentant de masquer son inquiétude.

Ylr'anore émit un rire doux qui fit chavirer le cœur de la jeune femme. Maritxu se mordilla la lèvre, se rappelant à l'ordre. Concentration.

— Pas exactement. Mais les signes sont assez évidents pour ceux qui savent les lire, mais de toute façon, la question ne se pose pas, vu qu’on va faire le tour, ajouta-t-elle en fusillant Ashaorem du regard.

— Génial, marmonna Maritxu. Ce sera quoi après ? Des vampires et des dragons affamés ?

— Les vampires sont très rares, tu as plus de chances de gagner à la loterie que d'en croiser un. Quant aux dragons, s'ils ont faim, ils vont juste nous demander des vivres contre paiement. Ils sont très civilisés et ont toujours de l'or sur eux.

— Bien sûr… toujours plus…

Elle se demanda un instant si elle devrait commencer à prendre des notes pour un guide de survie « Arcana pour les Nuls ».

À peine furent ils partis, qu’en bonne touriste, oubliant temporairement les règles élémentaires de survie, Maritxu tomba sous le charme d'une créature croisée en chemin. L'animal, un écureuil dont les yeux scintillaient d'une curiosité espiègle, et son pelage rose avait l’air doux comme un nuage, incitant irrésistiblement à le caresser.

— Oh, regardez comme il est mignon ! s'exclama-t-elle, s'approchant avec enthousiasme.

Cependant, avant qu'elle ne puisse atteindre le petit animal, Ylr'anore l'attrapa par le poignet et la ramena auprès d'elle.

— Attention ! s'exclama-t-elle. Les Xinjanis sont très dangereux ! Et ils chassent en groupe.

Toujours sous le choc, elle sentit son cœur tambouriner, une vague d’adrénaline submergeant ses sens. Cette adorable boule de poils, là ? Vraiment ? L'expression sérieuse d'Ashaorem, sortant une hache gigantesque de sa besace tout en scrutant les arbres alentour lui fit comprendre que la réponse était un oui retentissant.

— Xinjanis mauvais. Partir vite.

Le petit animal pelucheux, indifférent à leur présence, grimpa agilement à un arbre.

— C'est incroyable que l'espèce humaine ait survécu si longtemps sans le moindre instinct de survie, marmonna l'angiris. Tu ne sais pas que plus un animal est coloré, et plus il est dangereux ?

Maritxu rougit, bien sûr qu’elle le savait. Et elle était bien la première à dire qu’un touriste dévoré par un crocodile pour s’être baigné dans un étang en Australie ou empoisonné pour avoir caressé un serpent, ce n'était pas un accident, mais la sélection naturelle. Apparemment, être un touriste rendait tout simplement très bête.

Ylr'anore, les yeux sombres d'inquiétude, observait Maritxu quand un rugissement terrifiant fit trembler la forêt, suivi par des bruits de pas lourds évoquant un géant en marche. Long d'au moins quinze mètres, le monstre possédait la tête imposante d'un T-Rex, mais ses pattes avant étaient dotées de griffes tranchantes comme des rasoirs, laissant des sillons profonds dans l'écorce des arbres. L'animal était couronné de plumes écarlates qui s'étendaient en crête le long de son dos jusqu'à la pointe de sa queue.

Le reptile géant rugit, un son que Maritxu était sûre d’avoir déjà entendu dans Jurassic Park. Les yeux écarquillés devant la taille colossale de la créature, elle eut une pensée ironique. Ce truc-là n'avait absolument pas besoin de couleurs vives pour signifier « danger ». Sa seconde pensée, plus pragmatique, concernait son propre statut alimentaire. À son échelle, elle était certainement moins calorique qu'un petit-pois pour lui. Elle ne valait probablement pas l’énergie de lui courir après.

— C'est... C'est un dinosaure ?! Demanda-t-elle tout de même, son cerveau ayant de toute façon décrété un congé.

— Pas dinosaure. Jinyanga. Herbivore. Nettoyeur de forêt, expliqua Ashaorem, étonnamment imperturbable face à l'apparition.

— Un nettoyeur de forêt ? Il a l'air de pouvoir nettoyer un village entier en un coup de dents, rétorqua Maritxu, ne pouvant détacher son regard de la créature.

Ylr'anore se rapprocha, un sourire en coin.

— Ne t'en fais pas. Malgré leur taille, les Jinyangas sont plutôt pacifiques. Ils se nourrissent de plantes et aident à entretenir la forêt.

— Pacifique ?! Avec ces griffes ? Il pourrait écrire « pacifique » sur ma pierre tombale ! s’étrangla Maritxu, ne sachant pas si elle devait rire ou courir se cacher.

Ylr’anore et Ashaorem se lancèrent un regard des plus éloquents, et si l’angiris parvient à garder son sérieux, Ashaorem, lui éclata d’un rire amusé. Son amusement fut vite interrompu par Zirighriix, dont l'enthousiasme pour le Jinyanga semblait frôler l'hystérie. L’araignée entreprit une description minutieuse de la créature, comme si elle commentait un documentaire animalier.

Puis, alors que le groupe s'apprêtait à reprendre leur marche, l'écureuil rose, précédemment admiré par Maritxu, fit un retour triomphal. D'un bond spectaculaire depuis une branche haute, il atterrit sur le dos du Jinyanga. Cette fois, même les habitués d'Arcana, affichaient une mine paniquée.

Ashaorem réagit rapidement, donnant des instructions précises :

— Zirighriix, arbre ! Ylr'anore, humaine !

Avant que Maritxu ne puisse comprendre ce qui se passait, Ylr'anore l'avait saisie fermement. Maritxu poussa un cri de terreur en se sentant soulevée du sol et propulsée vers le ciel. Terrifiée, elle poussa un cri qui aurait pu rivaliser avec les meilleures scènes de films d'horreur.

— Qu'est-ce que...?! s’étrangla-t-elle, agrippant désespérément Ylr'anore, ses yeux écarquillés par la peur. Tu… tu voles ?

Ylr'anore, concentrée, déploya deux immenses ailes dont les plumes noires liserées d'or et de cuivre formaient des motifs complexes et magnifiques. Maritxu aurait pu les trouver fascinantes si elle n'avait pas été occupée à évaluer la distance entre elle et le sol, son estomac ayant décidé de prendre ses quartiers ailleurs.

— Oui, et ce serait plus facile si tu arrêtais de remuer, gronda-t-elle en manœuvreant entre les branches. Il faut s'éloigner d’ici.

Maritxu, encore sous le choc de leur vol impromptu, jeta un regard en bas et se rendit compte avec horreur qu'elle avait le vertige. Le sol semblait dangereusement loin, et elle se sentit soudainement vaciller. La peur du vide, ajouté à la terreur du dinosaure qui claquait les dents sur les petits prédateurs bleus juste sous eux, la rendait presque incapable de bouger.

— Je déteste les hauteurs, murmura-t-elle, sa voix trahissant sa peur. Et les dinosaures. Et les écureuils. Je déteste les écureuils…

Elle comprit rapidement pourquoi les écureuils inquiétaient plus Ylr'anore que le dinosaure. Les petits mammifères roses, loin d'être les adorables créatures qu'elle imaginait, commencèrent à dévorer le Jinyanga vivant, leurs dents acérées se frayant un chemin à travers ses écailles dans un concert de hurlements de douleur. L’estomac de Maritxu remonta dans sa gorge.

— J'aurais dû m'en douter, gémit la jeune femme d’une voix blanche. À Arcana, les mignons sont terrifiants, et les terrifiants... eh bien, ils sont juste terrifiants aussi.

Alors que les cris du Jinyanga résonnaient dans la forêt, Ylr'anore souffla, louvoyant entre les hautes branches pour échapper au carnage qui se déroulait plus bas.

Maritxu n’arrivait pas à détacher son regard du Jinyanga qui se faisait dévorer dans un concert de cris et de hurlements. Elle oscillait entre l'envie de rendre son petit-déjeuner et celle de s'évanouir, son estomac et sa tête en désaccord sur la manière de réagir à une telle scène.

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