Né de Jalousie

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L'amour est un sentiment de nature indéfinissable. Il est basé sur notre perception du monde qui nous entoure, mais celle-ci est reconnue comme étant si individuelle, si unique, qu'il n'est pas deux personnes ayant jamais ressenti l'amour de la même manière. Il faut donc établir des critères certains et immuables qui permettent de définir l'amour, des critères que chaque personne aura rencontré, sans quoi ils ne peuvent se dire avoir un jour été amoureux. Est-ce la gaïeté qui s'empare de nous au contact d'une personne, ce sentiment de pouvoir affronter les tribulations de la vie au côté de cette âme soeur qui saura en tout temps restaurer un sourire, une légéreté que l'on craignait d'avoir perdu ?

Si oui, pourquoi est-il que l'on peut faire l'expérience du même degré d'émotions négatives, aussi épris que l'on puisse être ? N'avons-nous jamais vu un couple éprouver un malheur profond, mais se soutenir dans le désespoir ? A l'inverse, n'avons-nous jamais vécu des sentiments pour une personne d'une telle force qu'ils nout ont paru ébranler le plus profond de notre être, pour au final réaliser qu'ils étaient entièrement illusoires ?

En conséquence, je ne crois pas que le bonheur partagé soit un critère permettant de définir l'amour, car le bonheur lui se définit dans son entièreté sans l'implication de l'amour. Je n'ai en fait jamais su définir un de ces critères fondamentaux. Mon expérience, cependant, m'a amené à trouver le premier signe d'un amour réel, le premier évènement permettant d'affirmer avec certitude ce que l'on ressent pour une personne. Il s'agit d'une émotion profondément négative dont on fait l'expérience lorsque notre coeur montre sa crainte à l'idée que notre amour naissant puisse nous être volé. Il s'agit de la jalousie. C'est amusant de penser que ce qui est communément défini comme "le plus beau sentiment qu'une personne puisse ressentir" a pour signe avant-coureur l'une des émotions les plus négatives qui puisse ternir le coeur.

Mais pourtant, repensez à vos amours, chacun d'entre eux, aussi bref et vain qu'ils aient pu être. N'avez-vous pas, à absolument chacune de ces occasions, pris conscience que vos sentiments s'étendaient au-delà de l'affection commune pour vos proches par le biais de votre coeur épris se mettant à battre fort à en brûler un trou dans votre poitrine, lorsque l'attention de votre conquête s'est vue détournée de vous ? C'est là mon expérience, que je veux comme vérité étonnemment méconnue du monde.

Lorsque j'ai commencé à entretenir une relation avec Claire, j'étais seule. Son domaine était le mien. J'enrichissais son existence solitaire de ma présence comme un mécène avide d'engendrer son épanouissement. Je n'étais pas consciente d'un quelconque amour. Il était pour moi naturel de la couver, puisque je représentais tant pour elle. Elle, en revanche, ne représentait que très peu pour moi. Juste une charité que je pouvais étendre à d'autres ou lui refuser comme bon me semblait. Je lui faisais don de ma beauté, de mon savoir, de mon charme, et j'en jouais, toute-puissante et incontestée.

Il a suffit d'un seul moment pour mettre fin à mon reigne. Un échange de regard un peu trop soutenu que j'aurais souhaité ne pas percevoir. Je n'étais pas aussi seule dans le monde de Claire que je croyais l'être. J'ai alors cherché à confirmer mes suspicions. J'avais auparavant été leste dans l'exercice d'un amour dont j'ignorais l'existence. Je permettais à Claire de quitter mon regard, puisque je nous savais seules dans ce royaume. Plus maintenant. Elle m'obsédait. Scrutant toujours du coin de l'oeil, lorgnant sur les mots qu'elle écrivait, tendant l'oreille pour saisir les paroles qu'elle chuchotait, j'espérais devenir plus intime avec ses songes que je ne l'avais jamais été. Il ne me suffisait plus de croire que nous êtions seules, je devais le savoir.

Lorsque j'approchais d'un quelconque signe pouvant confirmer mes craintes, je devenais fébrile. Je perdais le sommeil, dévoyais l'entièreté de mes pensées à assembler un puzzle dont je n'avais qu'une seule pièce. Puis, je devenais furieuse. Comment, dans ma supériorité absolue, pouvais-je tolérer de ne pas être l'unique receptacle de son attention ? J'avais tant donné, tant investi pour elle, et il n'avait suffi que de l'existence de quelqu'un autre pour que je remette en cause les fondations de notre vie commune. Mes rares moments de bonheur provenaient des moments de réconfort où j'arrivais brièvement à mettre mes suspicions de côté. Bien sûr qu'elle m'aimait toujours.... mais qu'en était-il des autres? Je vivais avec ce poids au coeur, et je réalisais alors que je ne voulais la perdre pour rien au monde. L'idée même que je puisse être délaissée pendant un seul instant me rendait folle.

Finalement, ma rage aveugle a eu raison de moi. Puisque je n'arrivais pas à établir pour sûr que nous êtions l'une et l'autre faites pour s'aimer de manière solitaire et égoïste, j'ai laissé mes émotions négatives l'éloigner de moi. Plutôt me chasser moi-même de ce royaume que j'ai aidé à bâtir que d'être mise à la porte au profit de cet intrus.

Au final, je n'ai jamais sû percer le mystère. Peut-être que l'intrus était un mirage, ou peut-être qu'il n'était que de passage dans notre résidence. Avec le temps, l'amour a fâné. Claire a ouvert ses portes à de nombreux autres visiteurs et leur a partagé les richesses que nous avons avons amassées ensembles. Moi, j'ai continué ma route jusqu'à trouver un autre lieu de résidence, un endroit où l'on aurait encore tant à bâtir, n'ayant tiré aucune leçon tangible de mon échec. Aurais-je du contenir ma jalousie, comme un tonnerre qui gronde dans un ciel aux nuages de mauvais augure sans jamais déchainer sa tempête pour autant, ou aurais-je dû rugir et m'abattre sur tout ce qui m'appartenait tel le Déluge pour préserver ma création ?

Je ne le sais toujours pas. Je sais cependant que la jalousie est le signe le plus certain de ma passion, et que je ne saurais jamais en faire abstraction, sans quoi l'amour ne serait pas.

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