Chapitre 4

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 La musique dans mon esprit recommença une nouvelle boucle. La fatigue qui me gagnait me rendait encore plus vulnérable. Peu m’importait ma propre sécurité, je m’entêterais à me battre sans demander d’aide jusqu’à ce que je tombe. Attitude stupide, sans aucun doute.

 Soudain, plusieurs assaillants furent projetés loin en arrière, sur ma droite. La même chose se produisit sur ma gauche. Je me débarrassai de mon adversaire, le seul toujours debout, avant de me retourner en hurlant.


  — Je vous ai dit de rester à l’intérieur !

  — Eh bien, depuis que l’on ne s’est pas vu, j’espérais un meilleur accueil, déclara avec une pointe de vexation une femme d’une quarantaine d’années.


 Une coupe très courte de cheveux argentés qui s’accordaient à merveille à ses yeux d’un bleu arctique. Les traits fins de son visage le rendaient doux, tout comme son sourire en coin. Dégageant une détermination sereine ; elle portait un pantalon noir, une simple chemise blanche et une épée longue à la main sénestre.

 Un couteau passa à quelques centimètres de ma tête. Je l’entendis se ficher dans sa cible dans un bruit mat, avant qu’elle ne s’écroule morte.


  — Ne compte pas t’amuser toute seule, lâcha calmement une autre.


 Celle-ci affichait quelques années de moins, vêtue d’une tunique ébène enserrée dans un corset de cuir bordeaux assortis à ses cuissardes. Le plus impressionnant restait son interminable chevelure d’un rouge écarlate qui éclipsait le vert tendre de ses yeux.

 Elle dégaina deux sabres courts, exhalant l’excitation du combat. Mon âme les reconnut.

 Chacune vint se poster de part et d’autre de moi sans me demander mon avis. Les soldats qui se relevaient, évaluaient la situation. La réussite les fuyait contre une seule personne et à présent se tenaient trois chefs de Confrérie face à eux. Ils se rassérénèrent et changèrent de position pour s’adapter à cette nouvelle configuration. Mes amies se réjouissaient ostensiblement d’en découdre.

 Rien d’étonnant de la part de Risha et Akasha ; physiquement différentes des derniers souvenirs que j’avais d’elles, pourtant je ne doutais pas de leurs identités. Je ne devais pas les décevoir. Je soufflai, étirant mes lèvres en un léger sourire.


  — Ne me gênez pas, taquinai-je avec ironie, tout en prenant position.

  — On fera ce qu’on peut, plaisanta Risha avant de charger.


 Styx appréciait la situation, car il monta le son dans mon esprit et je devinai au tressaillement de mes comparses qu’elles avaient droit au concert. Combattre à leurs côtés me redonna de la force, surtout sur ce générique spécifique. Nos mouvements s’accordaient à merveille, comme-ci nous les répétions depuis des années. Chorégraphie funeste.

 Je n’éprouvais plus de difficulté à maîtriser ma colère et conserver un niveau d’escrime satisfaisant.

 Le temps de remplacement des dépouilles me sembla plus long, à moins qu’il ne s’agisse d’un effet de mon imagination. Considérant mon état de fatigue, c’était plus que probable. Mon entêtement seul me maintint debout.

 Enfin, lorsque le dernier tewagï tomba, je regardai nerveusement aux alentours, m’attendant à ce que cela ne soit une fausse bonne nouvelle.

 Je m’écroulai au sol, complètement étalée dans le sang qui tapissait le revêtement de bitume. La nuit soudain à nouveau paisible, l’astre lunaire ne portait plus l’écarlate, mais un or pâle. Sans l’odeur de mort qui envahissait mes narines, fixer ce ciel étoilé aurait été apaisant. Le liquide poisseux qui séchait sur ma peau se rétractait en tiraillements désagréables.


  — Toujours en vie ? me demanda Styx moqueur en se penchant au-dessus de moi.

  — En quelque sorte, murmurai-je me forçant à me lever.


 J’étais percluse de douleurs. Plusieurs plaies ouvertes étaient maintenues uniquement par le cuir de mon armure que j’avais reconstituée et serrée pour freiner les hémorragies. Les coupures c’était du gâteau comparées aux élancements osseux.

 Obligée de réparer les fractures pour continuer le combat, la souffrance engendrée, elle, persisterait des jours. Je devrais prendre sur moi en conséquence un moment.


  — Je ne pensais pas vous voir ici, déclarai-je à l’attention de Risha et Akasha.

  — On a senti l’appel, lâcha simplement Risha en m’examinant des pieds à la tête.

  — Vous auriez pu arriver plus tôt dans ce cas, leur reprocha mentalement Lilian restée à son poste dans le foyer. C’est à cause de l’appel que j’ai avalé l’histoire de Styx au lieu de le tuer.

  — Heureux de l’apprendre, railla Styx un brin sarcastique.

  — Ne vous en déplaise après sept siècles de silence. Sans pouvoir approcher tranquillement cette planète dépourvue de magie ; et compte tenu de la situation globale, on a hésité, justifia Risha.

  — Comment as-tu fait ? me questionna Akasha me fixant sans ciller.


 Elle aussi me jaugeait. Pas sûre que ma réponse lui plaise.


  — Je suis incapable de l’expliquer, Akasha. Je sais, ça s’arrête là.

  — Elle ne m’a pas oublié, c’est agréable !

  — Aka, tu facilites la tâche à tout le monde à ne jamais changer de coupe de cheveux, ronchonna Risha bras croisés.

  — Pas de jalousie Rish. Je t’ai reconnue, même si je ne me souviens pas de tout le monde.


 Leurs sourires béats me rassurèrent, tout autant que leurs chamailleries me procurèrent de la joie.


  — Je me sens mieux, merci. Trêve de plaisanteries, c’est quoi le plan ?


 Avant que je ne puisse lui répondre, trois autres chefs de Confréries se téléportèrent autour de nous. Une jeune femme au visage doux et à la longue chevelure blonde cendrée, vêtue d’une robe blanche.

 Un homme de grande stature, la cinquantaine, des cheveux poivres et sels coupés courts avec une barbe de trois jours. Tout lui donnait un air de pirate : son large pantalon noir, sa chemise bouffante écrue, ses bottes de cuir et sa cape de voyage sombre.

 Le troisième était un adolescent qui n’avait pas quinze ans, une tignasse rousse, une tenue indéfinissable, mais suffisamment bariolée pour le classer saltimbanque.


  — Vous avez manqué la fête, les informa Risha, désignant les cadavres.

  — Je m’étonne de l’écart que nous avons sur la définition d’une fête Risha, murmura la blonde que j’étais incapable de nommer.


 Ayant reconnu les deux premières d’instinct je croyais que cela se reproduirait à chaque fois. Visiblement, ça serait bien plus compliqué.


  — Ne me gâche pas mon plaisir, Alianoï ! Pour une fois que l’on n’a pas à faire profil bas. Ce très cher Conseiller Martin enfermé. Et un petit combat en compagnie de Sahiane après tout ce temps, c’est une fête !


 Alianoï eut une moue réprobatrice, mais s’abstint de répliquer.


  — T’as une mine épouvantable, me fit remarquer le pirate me regardant effaré.

  — Merci ! Je me suis donnée beaucoup de mal pour cela.

  — Elle n’a pas perdu de sa répartie, c’est rassurant pour une amnésique, se moqua le garçon.

  — Partiellement, précisa Risha en mimant des guillemets.

  — Merveilleux, que faisons-nous ? coupa le corsaire.

  — Un peu de ménage ça ne serait pas du luxe, proposai-je montrant le carnage. On ne peut pas laisser la barrière indéfiniment.

  — Et pour les civils et les deux autres à l’intérieur ? demanda le gamin qui ne semblait pas enchanter par l’option nettoyage.

  — Il s’agit de Lilian et Mia, et des amis. Pour l’instant, je repousse le moment des explications à ce sujet, affirmai-je sans appel.


 Mes sentiments et pensées contradictoires me donnaient mal à la tête. Effacer leur mémoire et les renvoyer dans leurs lits serait le mieux pour tous. Nonobstant une partie de moi ne le voulait pas, car ça signifierait couper tous liens avec eux.


  — Bon, dans ce cas allons-y, déclara Alianoï, frappant dans ses mains pour se motiver.


Une lueur nous happa, la seconde d’après. On se retrouva plongés dans le noir complet et une atmosphère glaciale.

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