3 - In The Woods

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 Il esquisse un pas dans ma direction et hume l'air à la recherche d'odeurs, de mon odeur. Il sait que je suis là, ses pupilles se posent sur ma silhouette, sa queue se fige à mi-hauteur, son instinct de chasseur reprend brusquement le dessus. Il faut que je déguerpisse. Au lieu de quoi, mes jambes se dérobent sous moi. Je reste immobile à l'observer, la peur aux trippes mais fasciné. Quel esprit sauvage l'habite, pour un regard aussi profond ?

 Je baisse aussitôt les yeux.

T'es con Eliott, casse-toi... Casse-toi !

 Mes jambes refusent d'obéir. Je cesse tout à coup de respirer et prends conscience des battements effrenés de mon coeur en fixant le sol. Ne pas lui faire affront, ne pas le regarder. A la seconde où je renoncerai, il se jettera sur moi et je sais alors que je ne serai plus qu'une proie, un lapin dans une chasse à courre.

 Du coin de l'oeil, je le suis du regard tandis qu'il s'approche. Il ne rase pas le sol mais semble prêt à bondir, les babines retroussées. Je lutte pour faire cesser mes tremblements tout en anticipant l'attaque à venir. Je ne veux pas mourir !

Eliott, t'es encore plus con que ce que tu penses... Tu crois vraiment que tu vas faire le poids ?

 Je pense à mon père retourné au boulot. A sa peine lorsqu'il retrouvera son fils, qu'il n'avait pas vu depuis deux ans, mort. Mort alors qu'il était sous sa responsabilité... Je me prends soudain de compassion pour le vieux alors que je ferais mieux de songer à ma vie. Le loup approche en renifflant les odeurs dans l'air. Son pelage se hérisse sur son dos, ses muscles se crispent en un réflexe nerveux : il ne doit pas rencontrer un humain tous les jours, mais semble curieux, même si incroyablement méfiant.

 J'ai beau détester les bêtes, il m'impressionne. Par sa taille, son poil hirsute particulièrement fourni et ses yeux d'un jaune si vif qu'ils étincelleraient même au milieu de la nuit. Je le visualise au fusain sur mon carnet de dessin. Son pelage, son attitude imposante, son instinct sauvage. Est-ce que le noir lui rendrait justice ? Non, il faudrait au moins de la couleur pour ses yeux...

Bon sang, à quoi tu penses Eliott ! Ferme ta gueule, ne le regarde pas, et je t'interdis de te pisser dessus !

 Dans un sursaut qui me vaut de frôler l'arrêt cardiaque, il se retourne vers la forêt et retrousse les babines. Mais qui est le con qui a décidé de se pointer pile à ce moment ? Dégage ! Montre-toi ou dégage ! Tu vas me faire bouffer, connard !

 Le loup est tellement sur ses gardes que c'est à peine si j'ose respirer. Chaque battement de coeur pulse jusque dans mes tempes. La sueur perle dans mon dos et des étoiles s'invitent devant mes yeux. Il grogne et recule soudainement d'un mètre en me fixant, la queue entre les jambes. Je sens les larmes monter. Ai-je bougé ? L'angoisse me noue le ventre, la torpeur m'asphyxie. Programme de préservation des loups, hein ? Je comprends pourquoi les gens veulent s'en débarrasser !

 Il grogne de plus belle et je regrette aussitôt.

Ok je n'ai rien dis... Ne pense à rien, Eliott. Ne pense à rien, ça va aller... Pitié, si je dois mourir, faites que ce soit rapide !

 Soudain, il se retourne franchement et fixe la forêt. Sa truffe parcourt l'air à la recherche de nouvelles odeurs, à moins qu'il n'ait perçu un bruit. D'autres loups ? Cette idée me fait frissonner. Est-ce que mon père sait, au moins, combien il est dangereux de se promener dans ces bois ?

 Le loup se terre au sol et patiente, aux aguets. Il parrait si accaparé par ce qui semble se passer ailleurs, qu'il en oublie ma présence. J'en profite pour respirer un coup et l'observe. Est-ce qu'il peut vraiment entendre ce qui se passe et qui ne se trouve pas dans son champ de vision ? Est-ce qu'il peut vraiment identifier ses proies en humant simplement l'air ? J'ai peut-être bien fait de ne pas prendre mes jambes à mon cou, je crois qu'une partie de moi sous-estime ses aptitudes de chasseur, même si en jaugeant de son mètre vingt au garot, j'ai plutôt une bonne idée de ce que feraient ses mâchoires sur ma jambe... Y a-t-il d'autres loups à Westwood ? D'autres loups comme lui, je veux dire... Imposants, au regard aussi franc, presque lucide, et franchment flippants ?

Allez, va-t-en. Laisse-moi m'en aller !

 Puis soudain, il semble entendre mes pensées. Il se lève, hume une nouvelle fois l'air, hurle à ses  congénères qui lui répondent, et détale aussi vite qu'il est apparu. Je mets plusieurs secondes à me demander si c'est terminé, s'il est vraiment parti, s'il ne risque pas de revenir. Est-ce que je peux vraiment bouger ? Je tourne lentement la tête, le cherche du regard. Il semble avoir réellement disparu. Pas la moindre de trace de lui nulle part. Mes muscles se relâchent : je tombe lentement accroupie et respire profondément, comme si j'avais manqué tout ce temps d'oxygène.

 Qu'est-ce qui vient de se passer au juste ? Un loup... Est-ce que c'était un vrai loup, au moins ?

Mais oui Eliott, t'es con, vu comment il a hurlé... Eh puis t'as vu sa taille ?

 Je me prends la tête entre les mains, ferme les yeux un moment, puis décide de ne pas trop trainer dans le coin, des fois qu'il décide de revenir. Je me lève et reprends donc le chemin de la maison, perturbé. Est-ce que les loups ont toujours fait partie de la vie à West Wood ? Est-ce pour ça qu'ils ont décidé de monter un programme de préservation de l'espèce ? N'ont-ils pas peur pour les concitoyens ? Car j'imagine, franchement agacé, que ce n'est pas la première fois qu'un tel incient se produit. Il faudra que j'en parle à mon père. Avec la clinique, il doit être au fait de ce qui arrive quand on s'aventure dans les bois. Mais pour l'heure, je peine à renouer avec la réalité. Tout ce qui vient de se produire me parrait juste irréel. Il y a quarante-huit heure, j'étais au soleil avec mes potes, la plages, tout ce qu'un étudiant peut espérer de la vie, et maintenant je me retrouve à mille lieues de chez moi, en tête à tête avec...

 Est-ce que je vais vraiment parvenir à m'adapter à la vie ici ? Il faut que je me rende au magasin de peinture. J'en parlerai à papa ce soir, je lui demanderai de me prêter sa bagnole, où j'irai en bus, s'il le faut... !

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