II Tartiflette et dame en pâte à sel

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Le lendemain matin, la porte de la chambre d'Anne et Agnès s'ouvrit doucement. C'était Kevin, leur cousin, un adolescent de douze ans, aux yeux couleur caramel. Il s'était rasé la tête de chaque côté du crâne et avait utilisé du gel pour redresser ses cheveux noirs de manière à ce qu'ils pointent vers le plafond. Il s’avança à pas de loup dans la chambre. Les mains en avant, il s’approcha doucement du lit. Une fois tout près, il souleva brutalement la couverture... pour voir que le lit était vide.

  • « Tu cherches quelque-chose ? » demanda Anne derrière lui.

Il se retourna brusquement en sursautant.

  • « Anne !... Tu… t’es là ! Tu... viens m'aider ?” répondit-il. « Agnès a créé un jeu. Tu sais. Son fan-game de Zelda, hyper original, où l'aventurière Dazel doit sauver le prince Kelin »
  • « Il m'a l'air amusant. »

Anne alla dans la pièce d’à côté où se trouvaient trois bureaux avec un ordinateur portable sur chacun d'eux. Un pour chaque enfant de la maison. Agnès était, déjà, assise devant l'un d'eux.

  • « Il n'arrive, juste, pas à résoudre le sokoban, » expliqua cette dernière quand Anne arriva.

Le principe du sokoban est simple. Le personnage du jeu doit placer des caisses sur des interrupteurs dans un labyrinthe. Banal, dans un jeu Zelda me direz-vous, sauf que dans un sokoban, si vous pouvez pousser une caisse, vous ne pouvez pas la tirer vers vous. Et le labyrinthe où elles se trouvent est spécialement conçu pour que vous ne risquiez pas d'oublier ce détail. Un vrai casse-tête... japonais.

  • « Tu as inventé un sokoban ? », demanda Anne.
  • « Non, c'est Europe qui les a dessinés. Je me suis contenté de les programmer. »
  • « Il permet de débloquer quoi ? »
  • « Le coffre avec la clé qui permet d’accéder à la salle du boss. »
  • « C'est pas un peu trop dur pour un Zelda ? » questionna Kevin.
  • « Tu parles ! Ça l'est pas assez ! Ce jeu est censé être plus dur, plus gore et surtout plus dark que l'original. »
  • « Pour ça, faudrai que t’aies un scénario. »
  • « Ouais. Ça, j'y travaille. Je finirais bien par trouver quelque-chose d'intéressant »
  • « Et plus effrayant que le poignant, Dead-Hand ! »
  • « Oh ! Misère ! Vous vous abrutissez dès le matin. » intervint Fatima.
  • « Jour, m'man ! » répondit Kevin.

Habituellement, il aurait râlé à la critique. Mais le ventre de sa mère, gonflé par sa petite sœur, l'incitait à être gentil.

  • « Ton père est déjà parti ? » demanda-t-elle.
  • « Oui, » dit Anne. « il a dit qu'il faudrait mettre la tartiflette au four, pour ce soir. »
  • « Une tartiflette ?! Pourquoi il a pas attendu le week-end pour la faire ? Il reçoit des gens ? »
  • « Je pense. Il m'a aussi dit de mettre la table pour 12. Et il y a 2 tartiflettes ! »

En descendant les escaliers, Fatima tomba effectivement sur les deux plats dans la cuisine, et Anne avait préparé la table de la salle à manger et celle de la cuisine.

  • « Pourquoi tu m'as pas réveillée, pour que je t'aide ? » demanda Agnès.
  • « Bah ! Tu la débarrasseras. » objecta Anne.
  • « Et toi Kevin, tu passeras l'aspi au rez-de-chaussée ! Et vous allez me faire la lessive. » ajouta Fatima.



  • « Mathéo sort des toilettes ! »

Dans une chambre d'hôtel à deux étages, qui comprenait un lit à deux places pour les parents en bas et deux lits l'un à côté de l’autre pour les enfants en haut, la charmante humeur de Thomas, réveilla Morgan.

  • « Lève toi ! Morgan ! » hurla-t-il.
  • « Relax, Max. » intervint Julien, en entrant dans la chambre suivi de Laura.
  • « Je veux rester le moins longtemps possible dans cette ville. »
  • « On risque pas d'être suspects en étant si pressés ? »
  • « Avec ce qui s'est passé hier soir, n'importe qui aurait envie de partir. D'ailleurs tu le prends un peu à la légère le fait qu'on ait failli se prendre un camion. »
  • « Non, mais... »
  • « Julien ! » intervint, Ginaya en entrant à son tour dans la chambre pendant que Morgan descendait les marches.
  • « Oui ? »
  • « Il faut que nous allions à cette boutique de fleurs. »
  • « De quoi ? »
  • « Celle qui est en bas de la rue. Elle est tenue par un orphelinat. On doit leur acheter quelque chose. »
  • « Oh ! Ouais. Pourquoi pas. »
  • « Mes trésors, levez-vous.” dit-elle en allant dans la chambre de ses filles. “Je vous ai apporté le petit-déjeuner. » dit-elle en brandissant un paquet de la boulangerie. « J'ai pris des croissants et des petits pains au chocolat. »
  • « C'est quoi un croissant ? » demanda Précilia en se frottant les yeux.



Fatima se massait le ventre. Elle ne savait pas encore quel nom donner à sa fille. Elle lisait les mails de sa patronne, la directrice de l’hôpital. Cette dernière se plaignait que la directrice adjointe de remplacement était encore trop nerveuse.

  • « En neuf mois, elle devrait trouver la technique. » pensa Fatima.

En “faisant le ménage” dans ces vieux mails, Fatima en trouva certains qui venaient de sa cousine, Anita, la mère des jumelles. Son enfance avec elle et ses frères Julien et Thomas avait laissé autant de bons que de mauvais souvenirs. Elle ne les détestait pas. Seulement Anita...

  • « Tata ! Il va dans quel bac celui-là ? J'ai compté, il y a le même nombre de rayures de chaque. »

Elle tenait dans ses mains un pull à rayures noires et blanches. Ça se lavait avec les clairs ou les foncés ? C'était sa question. Ça, à la limite, Fatima pouvait le tolérer. Mais elle craignait que comme leur mère, même après 20 ans les jumelles ne soient toujours pas capables de différencier un jean d'un autre ou un maillot de corps d'un t-shirt. Anita avait toujours eu ce côté excentrique, qui l'horripilait. Soit elle le faisait exprès, soit il lui manquait une case, ce n'était pas possible autrement. Et vu ses notes elle n'était pas bête. Fatima avait bien des fois essayer de faire mûrir les jumelles. Mais à chaque fois qu'elles les emmenaient dans un magasin de vêtements, soit elles ne choisissaient rien, soit elles prenaient la première chose sur laquelle elles tombaient, et Fatima pouvaient leur faire essayer tout le magasin, elles changeaient rarement d'avis. Enfin, Fatima n'était pas snob, juste un peu trop conventionnelle. Après qu'ils aient fini avec l'aspirateur et la lessive, elle les laissa jouer une heure puis elle les appela à nouveau pour qu'ils l'aident à faire la salade. Parce que la tartiflette c'est bon, mais ça manque de légumes.



Avec trois sacs de terreau dans chaque bras, Alexandre, un blond aux yeux verts, longeait les rayons du magasin. Le diable ne roulait plus alors il a dû donner un coup de main. Lorsqu'il arriva au rayon où il devait les déposer, il tomba sur Ginaya et Préssilia, qui se trouvaient non loin.

  • « Allons Préssilia, » dit Ginaya, tandis qu'Alexandre rangeait ses sacs, tout en les observant du coin de l’œil. « Tu as juste à choisir une fleur. »
  • « J'aime pas les fleurs ! » répliqua Préssilia.
  • « Tu ne veux pas un bouquet de marguerites ? Tu pourrais te faire une couronne. »
  • « Non ! »
  • « L'amaryllis est la fleur de la victoire. »
  • « Alex ! Alex ! Alex ! » s’exclama Europe en se précipitant vers Alexandre.
  • « Ouais ? » répondit-il.

Europe était une fille brune aux yeux vert, qui semblait avoir l'âge de Mathéo.

  • « Tu devineras jamais à quel niveaux Agnès et moi, on est arrivés. »
  • « Agnès comment ? » interrogea Julien.
  • « Hein ? »
  • « Pourquoi ? Vous êtes qui, vous ? »

C'était une femme rousse, dans la force de l'âge qui avait posé cette question.

  • « Madame, la directrice. » dit Alexandre.



Dégoûtant, le coton-tige de cette dame. Elle a tenu à faire passer un test ADN à tout le monde, même Préssilia.

  • « Nathalia est comme ça avec tous les orphelins, » dit Alexandre, à cheval sur son vélo. « même ceux qui ne sont pas dans son établissement. Si vous n'étiez pas passer par chez nous, elle aurait débarqué chez Fatima sans aucune hésitation. Au fait, vous compter les emmener où ? »
  • « Ça ne vous regarde pas. » objecta sèchement Thomas.
  • « En tout cas, » ajouta Europe, sur ses rollers. « J'espère que de là où vous serez elles ne rateront pas l’éclipse de lune. »
  • « C'est quoi une éclipse de Lune ? » demandai-je sans faire attention au regard de mon père, qui fut mis au silence par mon oncle.
  • « Ce soir là, la Terre sera entre le Soleil et la Lune, la lumière de notre étoile à travers notre atmosphère rendra rouge l'astre nocturne, puis il disparaîtra, quelque instants, avant de réapparaître puis de redevenir blanc. »
  • « T'as fini de te la péter ? » répliqua Alex.



Lentement, Anne écarta les bras et se laissa tomber en arrière, à rollers, du haut de la rampe la plus élevée et la plus raide du skate-parc. Vingt mètres de descente à deux doigts de la chute libre qui se terminait cinquante centimètres avant le sol. Elle s'est retournée. Le vent lui fouettait le visage. Elle plia légèrement les genoux, puis un peu avant la fin, elle sauta pour atterrir sur une barrière métallique, où elle roula en équilibre dessus. Tandis qu'Agnès enchaînait les figures sur les autres rampes, avec son skate. La barrière faisait le tour du skate-parc, mais était incomplète pour les entrées qui étaient de simples espaces de trois mètres. Alors Anne sautait, en tournoyant à la manière des patineurs artistiques, la tête en bas, pour atterrir sur l'autre barrière. Alors qu'elle sautait par-dessus l'une d'entre elles, Anne tapa dans la main d'Alex.

  • « C'est... C'est quoi ça ? » demanda Laura.
  • « Natalia dit qu'elles ont la légère hyperactivité de leur mère. » dit Europe. « Elles ne tiennent pas en place. »

Anne attrapa un lampadaire, tourna autour en plein saut pour descendre au sol, puis revint vers nous. Son regard tomba sur Morgan. Il faut dire que mon frère avait une maladie génétique qui lui mettait des plaques et des boutons partout, il boitait et il paraissait qu'il avait les os fragiles. La première fois c'est perturbant, pour tout le monde. Anne sembla intriguée, puis elle se tourna vers Europe :

  • « C'est quoi tout ce monde ? Il y a une fête. »
  • « Je sais pas. Y paraît que c'est la famille de ta mère. »
  • « Une fête en hommage à maman ? » demanda Agnès, en arrivant à son tour. « Avec un thème spécial ? Qu'est-ce qu'elle aimait ? Peinture, roman, un sport ? »
  • « Les échecs. » répondit Thomas.

À son ton, il ne pensait pas au jeu, mais si les jumelles l'avaient vu, elles avaient décidé de l'ignorer.

  • « En pâte à sel ? » proposa Anne.
  • « Oh ! Oui ! On lui fait une dame grande comme ça. » ajouta Agnès.

Elle plaça ses mains l'une au-dessus de l'autre écartées de 15 centimètres.

  • « Si c'est pour faire ça, autant lui faire un serpent. Ça lui ira bien. » répliqua Julien.
  • « Avec ou sans souris entre les dents. »
  • « Pourquoi pas, en train de s'agiter dans le ventre ? » objecta Europe.
  • « Ou en train de lui ouvrir le ventre. »

Elles rirent accompagnées par Anne, Morgan et Julien.

  • « Arrêtez ! C’est dégoûtant. » intervint Alexandre.
  • « T'inquiète ! On n'a pas le talent pour faire un truc aussi détaillé. Je m’abstiendrai de placer un serpent de cartoon sur une tombe, mais je le garderai en souvenir. »
  • « Plus sérieusement, la tartiflette est-elle pour vous ? » demanda Anne.
  • « Une tartiflette ? Fatima nous invite à déjeuner ? » s'étonna Julien.
  • « Pas elle. Mathis son mari. »
  • "On n'a pas le temps, pour ça.”
  • “Si t’es pressé je pense qu’il vaut mieux qu’on en discute chez eux. Parce que te connaissant, on va s'éterniser sur la question.”
  • « C'est quoi une tartiflette ? » demanda Préssilia.


Pdv externe

Malheureusement, quelqu'un les observait, une homme assis sur un banc, qui faisait semblant de lire un journal.

  • "Mais, c'est qu'il sont tous là,” murmura-t-il, “comme servis sur un plateau d'argent.”

Il allait prendre son téléphone. Quand une femme brune et une rousse vinrent s’asseoir à côté de lui sur le banc, en lui attrapant les mains et en plaçant celle-ci sur leurs épaules, lui faisant lâcher son journal.

  • “Salut, beau brun ! Si, tu venais « t'amuser » avec nous”, dit la brune tandis qu'elle et son amie l’entraînaient avec elles.
  • “M... mais... mes demoiselles, je n'ai pas le temps,” répondit-il, en essayant de se dégager les mains, mais c'était comme si ces deux femmes semblaient avoir passer plus de temps à la salle que lui.
  • “Ça ne sera pas long”, intervient la rousse, la main sur la crosse du pistolet qu'il avait dans sa poche.



Pdv de Mathéo

Fatima alla ouvrir la porte pour voir qui avait sonné et qu’elle ne fut pas sa surprise quand elle tomba sur les jumeaux, leurs enfants et la femme de Julien, qui accompagnaient les jumelles et leurs amis.

  • “Coucou, tata !” dit Agnès. “Tu les connais ces monsieurs ?”

Un sourire crispé s'afficha sur son visage.


Mon père a tenté de convaincre Fatima qu’on devait partir maintenant, mais Fatima n’a pas voulu discuter. Elle emmena tout le monde dans le salon. Et ignora toute tentative de mon père de couper court à la conversation. Elle leur posa les questions traditionnelles : Quel âge ont les enfants ? Comment ça se passe à l’école ? Qu’est-ce que les adultes font dans la vie ? Où est ma mère ?

  • “Tata, il est l’heure d’appeler Sanda.”
  • “Et bien, descends l’ordinateur. Mettez-vous là, sur la table de la salle à manger.”

Ah, j’ai compris. Elle devait vouloir rester le plus longtemps possible avec les filles. C’est tellement évident que je me sens idiot de ne pas l’avoir compris plus tôt. Anne se précipita à l’étage, puis obéit. Agnès alluma l’ordinateur et activa skype. C’est là que pour la première fois mon frère vit Sanda. Elle apparut sur l'écran dans sa chambre du chalet où elle vivait dans les Appalaches. Elle avait des yeux d'un bleu glacial et sa peau était presque aussi blanche que les flocons de neige qui voletaient à la fenêtre de sa chambre.

  • “Salut !” dit-elle en enlevant son passe-montagne qui firent voler ses cheveux noir ébène.
  • “Alors, comment est la piste noire ?” demanda Agnès.
  • “Génial, il n'y a pas encore beaucoup de monde en cette période de l’année. Mais je te rappelle qu'aux États-unis ce n'est pas la piste noire, mais la double diamant noir.”



Quand Mathis rentra, nous pûmes entamer la tartiflette. Alex et Europe étaient rentrés chez eux. Mathis nous invita à prendre place à table. J’ai découvert qu’il était très gentil. Et muet aussi. Kevin devait souvent traduire son langage des signes.


À la fin du repas, il faisait déjà nuit. Anne et Agnès sont parties à l’étage, pour faire leur bagages. Et c’est à ce moment là que les problèmes ont commencé. Je me souviens que mon esprit a commencé à s'embrouiller. J’entendais dans ma tête une voix qui me disait d’aller dehors. Fatima, sa famille et Ginaya ne bougeaient plus et avaient le regard vitreux. Les autres voulaient sortir. Seuls mon oncle et Laura avaient les idées claires. Il a ordonné à Laura de s’enfuir avec Préssilia qui voulait partir avec nous. Ce qu’elle a fait, en partant par le jardin. Puis Julien a tenté de nous arrêter, mais son frère l'a assommé avec une bouteille. Je me souviens qu’ensuite nous sommes sorties dehors. Anne et Agnès étaient déjà sorties par la fenêtre de leurs chambres apparemment, car elles nous attendaient déjà dans les cages à l’arrière du camion.


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