1 - Boules de neige

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Cette histoire débute dans mon hémisphère Nord, lors de la Sélénéson glacée – la deuxième de l’année – dans le petit village de Trapan-en-Œstrel. Les humains l’avaient construit sur un de mes bourrelets, ou comme vous dites plus volontiers, à flanc de colline. Il faut voir que selon mon inclinaison, Solaris éclaire mon corps de manière différente, pouvant entraîner, parfois, des violences climatiques. Ne me blâme pas, la faute incombe à cet astre de malheur ! S’il m’éclairait un peu mieux, ça ne se produirait pas ! En tous cas, la région connut cet hiver-là une période de froid dure et longue. Depuis plusieurs mois, la neige recouvrait la vallée.

Les adultes s’inquiétaient pour leurs réserves de nourriture, quant aux enfants, ils aimaient ces masses froides, blanches et agglomérantes, sources de divertissements.

Justement, les mioches, assemblés sur la place centrale du village s’amusaient comme des fous à ce jeu, découvert le jour où j’ai inventé le flocon : la bataille de boules de neige – je ne te fais pas un dessin, je pense que tu connais.

Afin de complexifier un peu l’action, les enfants avaient constitué trois groupes. Lilou avait pris son petit frère Noisi dans son équipe et les projectiles volaient en tous sens à la grande joie des petits monstres. Les tirs, à défaut d’être précis, se révélaient nombreux et les boules, lorsque la chance les récompensait, trouvaient avec délectation la tête de l’un des belligérants.

Noisi, du haut de ses huit ans, ne se débrouillait pas trop mal. Il savait lancer, mais aussi esquiver. Sa sœur comptait sur lui afin d’emporter la victoire. Lilou, elle, se tenait un peu en retrait et criait ses ordres tout en sautillant sur place pour se réchauffer :

— Vas-y Noisi, mets-leur la pâtée ! Fais gaffe, il y en a un sur ta droite ! Attention Lulu, il y en a deux sur ta gauche !

Je pense que tu l’imagines comme une grande stratège, mais la réalité était bien décevante : elle avait la frousse d’entrer dans la mêlée ! À ceci se rajoutait son aversion pour la sensation de la neige s’insinuant sous son manteau, glissant fondue le long de son cou et enfin mouillant ses vêtements.

À cet instant précis, une grosse boule s’écrasa en pleine figure. Elle tourna la tête et aperçut Nella ricaner.

— Tous sur Nella, hurla la gamine. Elle est toute seule, là-bas !

Ni une ni deux, elle se précipita sur l’attaquante.

— Tu vas voir ! Tu ne l’emporteras pas aux jardins d’Æther(1) !

Ramassant de grandes quantités de neige, toute l’équipe concentra ses tirs sur Nella. Lilou, un peu rancunière, se mit à courser son amie. Cette dernière se carapata dans l’espoir de lui échapper, mais Lilou, un peu plus rapide, la rattrapa, lui écrasant le paquet précédemment collecté sur la tête. Les deux petites filles roulèrent par terre en riant comme des folles, se tartinant la figure avec la matière glacée.

Lilou, finalement, entrait dans le jeu.

Milo, de l’équipe adverse, attentif au terrain, repéra les deux gamines à découvert, et aidé par ses camarades, les bombarda joyeusement. Ce n’était pas tous les jours qu’on pouvait s’en prendre si facilement à Lilou. Les deux victimes se relevèrent et se dressèrent en face d’eux. Nella avait, ni une ni deux, changé de camp.

— Ah ! Mais défendez-moi ! s’écria Lilou, outrée, à l’adresse de son groupe. Vous voyez bien qu’on m’attaque !

Noisi, toujours à l’écoute des ordres de sa sœur, accourut, suivi par toute leur bande. Ce fut un massacre. La joyeuse bande finit au sol dans une rigolade générale.

Au bord du terrain, un homme solitaire, aux cheveux de cendre, regardait les enfants jouer avec un sourire carnassier. Ses yeux bleus perçants ne manquaient aucun de leurs mouvements. Après quelques minutes d’observation, il s’écria :

— Les enfants, il faut rentrer !

Sa voix résonna comme un glas pour Noisi et Lilou. Lupin, leur père, venait de mettre fin aux réjouissances.

— Maman a préparé le repas, c’est prêt ! Il faut y aller ! crut-il bon de rajouter.

Se relevant, le frère et la sœur prirent le chemin de la maison en maugréant.

— Mais, papa, on commençait juste à s’amuser ! s’écria Noisi, qui bataillait depuis tout l’avant-souper.

Les pommettes rouges du petit garçon faisaient plaisir à voir. Son air coquin également ! D’ailleurs puisqu’on parle de coquineries, figure-toi qu’il gardait deux boules derrière son dos. Quand il parvint à proximité de son père, il les lui lança bien promptement.

La vengeance n’attendit pas et Lupin, à son tour compacta de la neige entre ses mains et avec un rire complice lança à son fils la réplique attendue. Il s’ensuivit un petit jeu, qui dura jusqu’à la corderie. Lilou n’était plus dans le feu de l’action et préférait les suivre à une certaine distance. Elle ne souhaitait en aucun cas devenir leur cible !

En ouvrant la porte, les Cordiers perçurent les chants de Grive qui terminait les préparations du souper. Alors qu’ils se débarrassaient de leurs vêtements enneigés, elle se tourna vers eux, leur adressant un regard courroucé.

— Vous allez tout me salir ! Non mais, même toi tu es couvert de neige !

Le ton résonna sèchement, mais Grive décocha un sourire à son mari. Le voir jouer avec les enfants la remplissait de bonheur. Un bon père !

— Ne t’en fais pas je vais pousser l’eau dehors avec le balai.

— Oui bien sûr, et il va me rester une belle flaque au sol ! Prends plutôt cette serpillière.

Noisi, l’air coquin, plongea une main à l’intérieur de sa poche et la ressortit, brandissant une belle boule blanche.

— Regarde maman, je t’en ai ramené une !

Le gamin rayonnait de bonheur, menaçant sa mère de l’arme improvisée. Sa mère ne put s’empêcher de rire.

— C’est gentil, Noisi, mais je crois que tu ferais mieux de la remettre dehors, ici elle va avoir trop chaud !

À contrecœur, il s’exécuta, remettant sa boule en liberté.

— Adieu boulette !

Et toute la famille passa à table.

— Aujourd’hui, soupe aux choux !

— Comme tous les soirs, déplorèrent les enfants.

— Que voulez-vous, on est en hiver, il n’y a pas grand-chose d’autre. Faites pousser des légumes différents, qui perdurent pendant la saison froide, l’année prochaine, si vous êtes si malins.

Chacun se concentra sur son assiette. Les bougonnements étaient purement rhétoriques. Après tout, ces choux leur permettaient de survivre, et puis chacun s’accommodait de leur goût.

Au sortir de table, Lilou se rendit à l’intérieur de la grange. Dans un seau, elle mit le grain destiné aux poules, accompagné de quelques trognons de choux, restant de leur repas. Tandis qu’elle pénétrait dans l’enclos, les animaux l’entourèrent rapidement à l’affût de leur nourriture.

Pendant que la petite fille de dix ans s’occupait de sa distribution quotidienne et de l’entretien complet du poulailler, Lupin s’approcha de l’enclos, regardant avec fierté sa fille faire son travail. Il me faut te dire qu’elle avait demandé elle-même à exercer cette responsabilité.

Après avoir nourri les animaux, elle alla chercher les œufs laissés par les poulettes.

— Papa, tu crois que je pourrais avoir une poule à moi ? Une qu’on ne mangerait pas et qui serait ma copine.

Le père réfléchit un instant. Même si l’hiver frappait durement les habitants d’Œstrel, je m’étais montrée généreuse en été et les humains avaient effectué de bonnes récoltes. La famille et ses animaux disposeraient de nourriture en abondance pour tenir jusqu’au printemps, même s’il se montrait tardif. Lupin acquiesça.

— Et tu veux laquelle ?

— La blanche, elle s’appelle Potecote.

— Ah ! Tu lui as déjà donné un nom, je vois.

Lilou tendit le seau vide à son père et avisa l’animal qu’elle prit dans ses bras.

— Maintenant, toi et moi, Potecote, on sera amies. Et si tu veux, on se promènera ensemble.

La poule appréciait certainement ce traitement spécial, car elle gratifia la petite fille de quelques « Poooot, Coooot » bien sonores.

— Tu vois, elle m’aime déjà !

Le papa sourit d’un air amusé. Je peux te le confier, même si les parents ne le savaient pas : en réalité Lilou câlinait Potecote depuis sa naissance, quelques sélénésons auparavant. Comme tous les poussins, elle l’avait vue sortir de l’œuf et s’était tout de suite attachée à elle. Si son père n’avait pas voulu, elle aurait bien trouvé un moyen de le lui faire accepter. Ou… elle l’aurait enlevée et emmenée à leur cabane ; elle n’aurait eu qu’à émettre l’hypothèse qu’un renard l’avait mangée.

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(1) Pour tout vous dire, Æther est ma seconde fille, et ses jardins sont comme ce que tu appelles, dans ton monde, le Paradis. Je les avais imaginés afin que les âmes de mes habitants après une vie bien remplie, aient l’occasion de s’y reposer.

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